Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants.
Par un jugement n° 1601716 du 26 mai 2020, le tribunal administratif de Poitiers a constaté un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance par le directeur départemental des finances publiques de la Vienne à hauteur d'une somme de 901 euros, et a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Martin, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1601716 du tribunal administratif de Poitiers du 26 mai 2020 ;
2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants, soit la somme de 11 416 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
- le service a méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dès lors qu'ils n'ont pas été en mesure d'obtenir la copie des demandes de raccordements ni le visa par le comité national pour la sécurité des usagers et de l'électricité (CONSUEL) des attestations émises par l'installateur des centrales photovoltaïques ;
- l'administration a méconnu le principe d'égalité des armes résultant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'ils ne pouvaient disposer des éléments nécessaires à leur défense ;
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
- l'application rétroactive par l'administration de la modification de l'interprétation du fait générateur de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts consacrée par le Conseil d'Etat dans sa décision " M. et Mme A... " n°398405 du 26 avril 2017, méconnaît d'une part les principes de confiance légitime et de sécurité juridique et d'autre part l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- aucune disposition ne prévoit l'obligation de restituer une aide d'État versée prématurément.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens développés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... ont souscrit au capital de trois sociétés en participation qui ont investi à La Réunion dans des centrales photovoltaïques données en location à d'autres sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'énergie électrique. Au titre de l'année 2010, ils ont imputé sur leur déclaration de revenus la réduction d'impôt prévue par les dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts à raison de ces investissements productifs neufs qu'ils estimaient avoir ainsi réalisés dans les départements et territoires d'outre-mer. A l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause la réduction d'impôt au motif que faute de raccordement des centrales au réseau électrique à la date du 31 décembre 2010, les investissements ne pouvaient être considérés comme ayant été réalisés. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 26 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a constaté un non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance par le directeur départemental des finances publiques de la Vienne à hauteur d'une somme de 901 euros, et a rejeté le surplus de leur demande. Dès lors qu'ils ne contestent pas la perte d'objet du litige à hauteur du dégrèvement de 901 euros, ils doivent être regardés comme faisant appel de ce jugement en tant qu'il porte rejet du surplus de leurs conclusions.
Sur les conclusions en décharge :
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
2. En premier lieu aux termes l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ".
3. Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. L'administration n'est en revanche pas tenue, avant d'établir lesdites impositions, de communiquer d'elle-même au contribuable les pièces obtenues auprès de tiers, sur lesquelles elle a entendu se fonder.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le service vérificateur a obtenu, dans le cadre de son droit de communication, des renseignements fournis par la société Electricité de France (EDF), desquels elle a déduit que le dossier complet de demande de raccordement des centrales n'avait pas été déposé au 31 décembre 2010. L'administration fiscale a joint à sa proposition de rectification les attestations d'EDF, obtenues dans ce cadre, comportant chacune la date de dépôt de la demande de raccordement, la date de réception du certificat du Comité national pour la sécurité des usagers et de l'électricité (CONSUEL) et la date de mise en production effective de la centrale. Si les appelants se prévalent de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales précitées dès lors qu'ils n'auraient pas eu accès aux données brutes ayant permis à l'opérateur d'établir ces attestations (copie des demandes de raccordements comportant la date de réception par EDF et date de visa par le CONSUEL des attestations émises par l'installateur des centrales photovoltaïques), il ne résulte de l'instruction ni que ces données auraient été communiquées à l'administration fiscale, ni en tout état de cause, que M. et Mme C... en auraient demandé communication avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la garantie énoncée par les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et invoquer, sur ce fondement, l'atteinte au principe d'égalité des armes pour contester la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu devant le juge de l'impôt, dès lors que ces stipulations ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale, ce qui n'est pas le cas s'agissant du présent litige.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
6. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer (...) dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34 (...) ". Aux termes du vingtième alinéa du même article : " La réduction d'impôt prévue au premier alinéa est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé. (...). ". Aux termes de l'article 95 K de l'annexe II à ce code : " Les investissements productifs neufs réalisés dans les départements d'outre-mer (...) qui ouvrent droit à la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies B du code général des impôts sont les acquisitions ou créations d'immobilisations corporelles, neuves et amortissables, affectées aux activités relevant des secteurs éligibles en vertu des dispositions du I de cet article ". Aux termes de l'article 95 Q de la même annexe : " La réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies B du code général des impôts est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée par l'entreprise ou lui est livrée (...) ".
7. En premier lieu, il résulte de la combinaison de ces dispositions que le fait générateur de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B est la date de la création de l'immobilisation au titre de laquelle l'investissement productif a été réalisé ou de sa livraison effective dans le département d'outre-mer. Dans ce dernier cas, la date à retenir est celle à laquelle l'entreprise, disposant matériellement de l'investissement productif, peut commencer son exploitation effective et, dès lors, en retirer des revenus. S'agissant de l'acquisition de centrales photovoltaïques installées sur les toits des habitations des particuliers et données en location à des sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'énergie électrique, la date à retenir est celle du raccordement des installations au réseau public d'électricité, dès lors que les centrales photovoltaïques, dont la production d'électricité a vocation à être vendue par les sociétés exploitantes, ne peuvent être effectivement exploitées et par suite productives de revenus qu'à compter de cette date. Il appartient en outre au juge de l'impôt de constater, au vu de l'instruction, qu'un contribuable remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir de cet avantage fiscal. Cette interprétation des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts telle qu'elle a été formulée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 26 avril 2017 n° 398405 s'agissant de l'acquisition de centrales photovoltaïques données en location à des sociétés en vue de leur exploitation pour la production et la vente d'électricité, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence et ne présente aucun caractère rétroactif, ne méconnaît pas le principe de sécurité juridique ni, en tout état de cause, le principe de confiance légitime. Il résulte de l'instruction, et notamment des renseignements obtenus auprès d'EDF, que les centrales photovoltaïques dans lesquelles avaient investi les sociétés dont les appelants étaient associés n'avaient pas fait l'objet, au 31 décembre 2010, d'un raccordement au réseau électrique, condition pourtant nécessaire à l'exploitation des installations selon l'usage prévu par les investisseurs en vue de bénéficier de l'avantage fiscal correspondant. Cette condition d'éligibilité à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B tenant à la réalisation de l'investissement était connue à la date à laquelle a été décidé cet investissement et n'a pas été modifiée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'application qui leur est faite de la jurisprudence A... du Conseil d'Etat du 26 avril 2017 méconnaît les principes de sécurité juridique et, en tout état de cause, de confiance légitime.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etat de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou amendes ". Le requérant ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que s'il peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.
9. Ainsi qu'il a été dit au point 7, il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date du 31 décembre 2010, les centrales avaient été raccordées au réseau électrique, M. et Mme C... n'apportant aucun élément de nature à infirmer le constat sur lequel s'est fondée l'administration. Dans ces conditions, les installations photovoltaïques à raison desquelles l'avantage fiscal est demandé ne pouvant ni être effectivement exploitées ni être productives de revenus au 31 décembre de l'année 2010, l'administration fiscale, qui n'a pas ajouté aux conditions fixées par la loi fiscale mais s'est bornée à mettre en œuvre les conditions légales auxquelles les investissements sont soumis pour pouvoir être regardés comme étant réalisés au sens des dispositions du I de l'article 199 undecies B du code général des impôts, a pu à bon droit remettre en cause la réduction d'impôt pratiquée par M. et Mme C.... Ces derniers ne peuvent, dès lors, se prévaloir d'aucune espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit, par suite, être écarté comme inopérant.
10. En troisième et dernier lieu, les appelants ne peuvent utilement se prévaloir des règles relatives à la récupération des aides d'Etat dans la mesure où ils sont des personnes physiques qui n'agissent pas en tant qu'opérateur économique ni n'exercent une activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné, qualifié d'économique. Par suite, le moyen tiré de ce que le droit de l'Union européenne relatif aux aides d'Etat aurait interdit à l'administration de demander la restitution de l'avantage fiscal dont ils ont bénéficié doit être écarté comme inopérant.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers, par le jugement attaqué, a refusé de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu restant en litige à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondants.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. et Mme C... de la somme qu'ils demandent sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information au directeur du contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.
La rapporteure,
Héloïse D...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°20BX02256