Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre des armées sur sa demande du 17 avril 2018 tendant à la revalorisation du montant de l'indemnité différentielle qui lui a été versée entre le 1er septembre 1984 et le 30 septembre 2013, d'autre part, d'enjoindre au ministre de lui verser les sommes actualisées, correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il a droit, sous astreinte.
Par un jugement n° 1801868 du 26 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 février 2020, M. C... B..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 26 décembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le ministre des armées a implicitement rejeté sa demande du 17 avril 2018 tendant à la revalorisation du montant de l'indemnité différentielle qui lui a été versée entre le 1er septembre 1984 et le 30 septembre 2013 ;
3°) d'enjoindre au ministre de lui verser les sommes actualisées, correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il a droit, soit la somme totale de 124 662 euros, sauf à parfaire, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les entiers dépens, la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative relativement à la procédure de première instance, et la somme de 2 000 euros en application des mêmes dispositions, relativement à la présente instance.
M. B... soutient que :
- le tribunal a fait une inexacte application des dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 alors que, d'une part, la prescription n'était pas acquise dès lors qu'il se trouvait dans une situation d'ignorance légitime quant à sa créance au sens de l'article 3 de cette loi, d'autre part, le retard pris par l'administration a régularisé sa situation justifie qu'il soit dérogé à la règle jurisprudentielle du préjudice continue et de la prescription glissante ;
- l'administration aurait dû, en raison des circonstances particulières tenant à sa situation, relever la prescription comme le permettent les dispositions de l'article 6 de cette loi ; à cet égard, le tribunal a commis une erreur de droit en omettant d'examiner la possibilité d'un tel relèvement en raison de sa situation ;
- la prescription a été intérrompue en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 par le recours qu'il a introduit contre la décision du 18 septembre 2013 par laquelle l'administration l'a informé de la modification du calcul de l'indemnité différentielle, le délai de prescription de la créance n'ayant recommencé à courir qu'à l'issue de l'intervention de l'arrêt de la cour d'administrative d'appel de Bordeaux du 16 février 2018, soit le 1er janvier 2019, de sorte que la créance litigieuse ne sera prescrite que le 31 décembre 2022 ; a minima, il a droit au versement des sommes dues pour la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 ;
- les articles 1er, 3 et 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 méconnaissent les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles des articles 13 et 14 de cette convention ;
- le calcul de son indemnité différentielle méconnaît les dispositons du décret du 23 novembre 1962 relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées.
Par des mémoires distincts, enregistrés les 26 août et 19 novembre 2020,
M. B... a demandé à la cour de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des articles 1er, 3 et 6 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 en tant qu'ils méconnaissent le droit de propriété des agents de l'administration garanti par les articles 1er, 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe d'égalité entre les agents publics et le principe d'égalité des agents devant la justice garantis par l'article 6 de la Déclaration, le droit des agents à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration et le principe de responsabilité garanti par l'article 4 de la Déclaration.
Par une ordonnance n° 20BX00670 du 1er décembre 2020, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
La clôture d'instruction a été fixée au 3 juin 2022 à 12 heures par une ordonnance du
2 mai 2022.
Un mémoire, pour M. B..., a été enregistré le 6 octobre 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Un mémoire en défense, pour le ministre des armées, a été enregistré le 11 octobre 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le décret n°62-1389 du 23 novembre 1962 ;
- le décret n°67-101 du 31 janvier 1967 ;
- le décret n°89-753 du 18 octobre 1989 ;
- la décision du 13 juin 1968 relative aux taux de la prime de rendement attribuée aux ouvriers du ministère des armées ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien ouvrier de l'Etat, a été intégré, à compter du 1er septembre 1983, dans le corps des techniciens d'études et de fabrications (TEF) et affecté à Angoulême (Charente) au sein d'un organisme extérieur de la délégation générale de l'armement du ministère de la défense et occupant en dernier lieu, depuis le 1er janvier 2016, le grade d'ingénieur d'études et de fabrication (IEF). Depuis son intégration dans un corps de fonctionnaires, M. B... perçoit une indemnité différentielle allouée dans les conditions prévues initialement par les dispositions de l'article 1er du décret n°62-1389 du 23 novembre 1962, désormais reprises à l'article 6 du décret n° 89-753 du 18 octobre 1989 portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense. Le ministre de la défense a, par une décision du 18 septembre 2013, porté à la connaissance de M. B... qu'à compter du 1er octobre 2013, l'indemnité différentielle serait désormais calculée selon de nouvelles modalités moins favorables. Par un jugement n° 1302331 du 17 février 2016, le tribunal administratif de Poitiers a, à la demande de M. B..., d'une part, annulé cette décision ministérielle du 18 septembre 2013 et, d'autre part, enjoint à l'Etat de verser à l'intéressé une indemnité différentielle calculée à compter du 1er octobre 2013, à partir du salaire mensuel d'un ouvrier d'Etat appartenant au groupe VIII, 8ème échelon, incluant une prime de rendement de 32% du salaire du 1er échelon de ce groupe, duquel sera déduite la rémunération réellement perçue par lui, déterminée en tenant compte de la prime de rendement qui lui a été attribuée pour cette même période. Ce jugement a été confirmé par un arrêt n°16BX01027 du 16 février 2018 de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Estimant que les montants versés au titre de cette indemnité sur la période du 1er septembre 1984 au 30 septembre 2013 inclus étaient également inférieurs à ceux auxquels il avait droit, M. B... a, par courrier du 17 avril 2018, reçu le lendemain, sollicité la révision de ces montants et le versement de la somme correspondante. Le ministre des armées ayant implicitement rejeté sa demande par une décision, née le 18 juin 2018 du silence gardé par l'administration pendant deux mois, M. B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler cette décision implicite et d'enjoindre au ministre de lui verser la somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue sur cette période et celle à laquelle il avait droit. Par un jugement du 26 décembre 2019 dont M. B... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande en première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. B... a sollicité, en cours d'instance devant le tribunal, par un courrier recommandé reçu le 29 juillet 2019 par les services du ministère des armées, le versement de la somme totale de 124 662 euros correspondant aux sommes non perçues au titre de l'indemnité différentielle sur la période du 1er septembre 1984 au 30 septembre 2013. Le silence gardé par le ministère des armées sur cette réclamation a eu pour effet de faire naître une décision implicite de rejet qui a lié le contentieux indemnitaire à l'égard de l'intéressé. La fin de non-recevoir opposée en première instance par le ministre des armées doit, par suite, être écartée.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale accueillie par le tribunal administratif :
5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". L'article 2 de la même loi dispose : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ".
6. Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit et que le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé, la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés. Le cours de la prescription peut être interrompu, en application des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 citées au point précédent, par un recours formé devant une juridiction ou par une communication écrite d'une administration intéressée, à la condition que ce recours ou cette communication ait trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance.
7. En l'espèce, la créance dont se prévaut M. B... au titre de l'indemnité différentielle qui lui a été versée mensuellement à compter du 1er septembre 1984 trouve son origine dans le service fait par l'intéressé. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés, sauf si la prescription a été suspendue ou interrompue dans les conditions fixées par l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968. Il résulte de l'instruction que le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense, avait, le 18 septembre 2013, adressé un courrier à M. B... par lequel il précisait les règles applicables pour la détermination de la prime de rendement à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité différentielle en litige et informait le requérant de l'évolution de celle-ci. Ainsi, ce courrier, qui se prononçait sur le fait générateur de la créance de M. B..., doit être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et, en conséquence, comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance. La circonstance que ce courrier précisait également les décisions prises pour l'application de ces règles sur les montants versés à compter de 1er octobre 2013 est dépourvue d'incidence sur cette qualification. Il résulte également de l'instruction que, par un arrêt du 16 février 2018, devenu définitif, la cour a confirmé le jugement du tribunal administratif de Poitiers prononçant l'annulation de la décision du ministre adressée par ce courrier du 18 septembre 2013 et ordonnant à l'Etat de lui verser une indemnité différentielle calculée à compter du 1er octobre 2013. En application des dispositions du même article 2 de la loi du 31 décembre 1968, un nouveau délai de quatre ans a commencé à courir à compter du 1er janvier 2019. Il s'ensuit que, à la date où l'administration a, le 18 avril 2018, réceptionné le courrier de M. B... par lequel ce dernier réclamait le versement des sommes au titre de l'indemnité différentielle, la créance était prescrite en ce qui concerne la période du 1er septembre 1984 au 31 décembre 2008. En revanche, le cours de la prescription quadriennale avait été interrompu en ce qui concerne les sommes correspondant à la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a, pour rejeter sa demande, accueilli la prescription quadriennale opposée en première instance par le ministre des armées sur la période du 1er septembre 1984 au 30 septembre 2013.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant devant le tribunal administratif de Poitiers que devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par M. B... :
10. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 susvisée : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".
11. En l'espèce, les modalités de calcul de l'indemnité différentielle ont été fixées directement par le décret du 23 novembre 1962 susvisé, lequel a été régulièrement publié. La circonstance que l'administration a, par une décision du 18 septembre 2013, illégalement restreint le montant de l'indemnité différentielle versée à M. B... à compter du 1er octobre 2013 n'est pas de nature à faire légitimement regarder le requérant comme ayant ignoré l'existence de sa créance au titre de la période du 1er septembre 1984 au 31 décembre 2008. Par suite, le moyen tiré de ce que le délai de prescription n'aurait pas commencé à courir, en application de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968, sur la période considérée doit être rejeté.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1968 : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi. / Toutefois, par décision des autorités administratives compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou en partie de la prescription, à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier. (...) ". La décision refusant un relèvement de la prescription quadriennale peut être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir.
13. Il est constant que M. B... n'a pas adressé à l'administration une demande de relèvement de tout ou partie de la prescription qui lui avait été opposée. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le ministre des armées aurait dû tenir compte de sa situation pour relever la prescription. Le moyen doit donc être écarté comme inopérant.
14. En dernier lieu, les articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 ont pour objet de prescrire au profit des collectivités publiques qui y sont visées les créances non payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, tout en prévoyant des mécanismes d'interruption de ce délai de prescription permettant aux créanciers de faire valoir leurs demandes ou leurs réclamations dès lors qu'elles ont trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. Ces articles ont été édictés dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions, sans préjudice des droits qu'il est loisible aux créanciers de faire valoir dans les conditions et les délais fixés par ces textes.
15. D'une part, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ".
16. Les indemnités demandées par M. B... auxquelles donnent droit les services accomplis constituent pour son bénéficiaire une créance qui a la nature d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'une part, le seul fait que les prétentions d'un agent au versement de telles indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel un caractère exagérément court, n'est pas en lui-même incompatible avec ces stipulations. D'autre part, la loi du 31 décembre 1968 prévoit des mécanismes d'interruption du délai de prescription permettant aux créanciers de faire valoir leurs demandes ou leurs réclamations dès lors qu'elles ont trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. En l'espèce, si, ainsi qu'il a été dit au point 7, le recours formé par M. B... contre la décision du 18 septembre 2013 modifiant les modalités de calcul de l'indemnité différentielle à compter du 1er octobre 2013 a eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription en ce qui concerne les sommes versées au titre de la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013, il ne résulte pas de l'instruction que le requérant ait, avant le 17 avril 2018, adressé à son administration une réclamation de nature à interrompre la prescription. En outre, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 11, M. B... ne peut légitimement être regardé comme ayant ignoré l'existence de sa créance sur la période du 1er septembre 1984 au 31 décembre 2008, il ne peut se prévaloir du caractère répété de l'insuffisance du traitement qui lui a été servi sur cette période et de l'absence de toute négligence de sa part pour soutenir que l'atteinte portée à son droit de propriété serait manifestement disproportionnée. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 13 que l'appelant n'a pas sollicité de l'administration le relèvement de tout ou partie de la prescription. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions des articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 seraient contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. D'autre part, le délai de quatre ans, à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court, et n'a pas eu pour effet de priver M. B... de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le requérant aurait été privé du droit à un recours effectif au sens de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être accueilli.
18. Enfin, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 seraient contraires à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
19. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le ministre lui a opposé la prescription quadriennale sur la créance portant sur les sommes versées au titre de l'indemnité différentielle pour la période du 1er septembre 1984 au 31 décembre 2008.
Sur les créances restant en litige :
20. En vertu de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 susvisé relatif à l'octroi d'une indemnité différentielle à certains techniciens d'études et de fabrications du ministère des armées, ceux de ces techniciens qui proviennent du personnel ouvrier perçoivent, le cas échéant, une telle indemnité, qui est égale à la différence entre, d'une part, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers et, d'autre part, la rémunération qui leur est allouée en qualité de fonctionnaire. Le décret du 18 octobre 1989 susvisé, portant attribution d'une indemnité compensatrice à certains techniciens supérieurs d'études et de fabrications du ministère de la défense, a maintenu en son article 6, pour ceux de ces techniciens supérieurs d'études et de fabrications qui en bénéficiaient à leur nomination dans ce corps, le bénéfice de cette indemnité différentielle.
21. Il résulte de ces dispositions que l'indemnité différentielle à laquelle peuvent prétendre les techniciens d'études et de fabrications provenant du personnel ouvrier et dont le bénéfice peut être maintenu au profit des techniciens supérieurs d'études et de fabrications qui en bénéficiaient, doit être calculée sur les émoluments correspondant au salaire le plus élevé pouvant être perçu, à la date de leur nomination, dans la profession qu'ils ont exercée en dernier lieu avant d'être promus fonctionnaires. Conformément à l'article 3 du décret, alors en vigueur, du 31 janvier 1967 relatif à la détermination des taux des salaires des techniciens à statut ouvrier du ministère des armées, afin de fixer la rémunération à laquelle peuvent prétendre les agents ayant le statut d'ouvrier d'Etat, il y a lieu d'ajouter à ces taux les primes et indemnités fixées par des instructions interministérielles. Au nombre de ces primes et indemnités figure la prime de rendement et, en vertu d'une instruction du ministre des armées du 13 juin 1968, les primes de rendement allouées aux ouvriers et aux techniciens à statut ouvrier des armées varient de 0 à 32 % du salaire du 1er échelon du groupe professionnel auquel ils appartiennent, la moyenne des primes ainsi accordées ne pouvant toutefois dépasser 16% du salaire minimum de chaque groupe.
22. Il résulte de l'instruction que M. B... a perçu, pour la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013, une indemnité différentielle mensuelle, calculée sur la base du montant du salaire moyen d'un ouvrier d'Etat chef d'équipe appartenant, comme c'était le cas du requérant avant son intégration dans le corps des techniciens d'études et de fabrications, au groupe VIII, auquel s'ajoutait une prime de rendement, dont, contrairement à ce que soutenait le ministre en première instance, il est établi par les éléments produits que le taux s'élevait à 16%. En limitant ainsi à 16% le taux de la prime de rendement pour calculer l'indemnité différentielle versée à M. B... sur la période considérée alors, d'une part, que ce taux n'est qu'un objectif moyen fixé au service gestionnaire, d'autre part, que, comme il a été dit au point précédent, la prime de rendement est une composante de la rémunération des ouvriers d'Etat, quand bien même son niveau est fonction de leur manière de servir, et, enfin, que, comme il a été dit au point 20, les dispositions de l'article 1er du décret du 23 novembre 1962 imposaient de retenir, pour le calcul de l'indemnité différentielle, le salaire maximum de la profession ouvrière à laquelle appartenaient les anciens ouvriers, lequel salaire inclut nécessairement la prime de rendement au taux maximal de 32%, le ministre a méconnu ces dispositions.
23. Il résulte de ce l'ensemble de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le ministre des armées a implicitement refusé de revaloriser le montant de son indemnité différentielle en tant seulement que ce refus porte sur la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013. Il est également fondé à solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue et celle qu'il aurait dû percevoir sur cette période en retenant une prime de rendement au taux de 32%. En l'état des éléments dont elle dispose, la cour n'est pas en mesure de déterminer précisément le montant de la somme due à M. B.... Il y a donc lieu de le renvoyer devant les services du ministère des armées pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette somme.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'actualisation des sommes dues :
24. D'une part, dès lors que les dispositions du II de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, reproduites à l'article L. 911-9 du code de justice administrative, permettent à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai prescrit, d'obtenir le mandatement d'office de la somme que la partie perdante est condamnée à lui verser par cette même décision, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la première tendant à ce qu'il soit enjoint à celle-ci, sur le fondement des articles L. 911-1 et
L. 911-3 du même code, de payer cette somme sous astreinte[0]. Par suite, les conclusions de
M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des armées de lui payer, sous astreinte, la somme auquel il a droit dans les conditions mentionnées au point 23 doivent être rejetées.
25. D'autre part, eu égard à la période concernée, du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013, les conclusions de M. B... tendant à ce que la somme à lui verser soit actualisée en euros de l'année de mise en paiement sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
26. D'une part, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du ministre des armées une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B..., tant en première instance qu'en appel, et non compris dans les dépens.
27. D'autre part, la présente instance n'ayant occasionné aucuns dépens, les conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801868 du tribunal administratif de Poitiers du 26 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La décision par laquelle le ministre des armées a implicitement rejeté la demande de M. B... du 17 avril 2018 tendant à la revalorisation du montant de son indemnité différentielle est annulée en tant qu'elle concerne la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. B... une somme correspondant à la différence entre l'indemnité différentielle qu'il a perçue du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2013 et celle qu'il aurait dû percevoir au cours de cette période en prenant en compte une prime de rendement au taux de 32%, et calculée selon les modalités décrites au point 23 le présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
M. Anthony Duplan premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 novembre 2022.
Le rapporteur,
Anthony A...
La présidente,
Florence DemurgerLa greffière,
Catherine JussyLa République mande et ordonne au ministre des armées ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX00670