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04/10/2022 | FRANCE | N°21BX04023

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 04 octobre 2022, 21BX04023


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100680 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistr

s les 24 octobre 2021 et 7 juillet 2022, complétés par une production de pièces le 12 août 2022,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2100680 du 17 juin 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 octobre 2021 et 7 juillet 2022, complétés par une production de pièces le 12 août 2022, Mme A... E..., représentée par Me Préguimbeau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 17 juin 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 1er mars 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi qu'une somme de 13 euros au titre du droit de plaidoirie.

Elle soutient que la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle apporte la preuve de la réalité et de la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France et de celle de sa présence continue sur le territoire français depuis qu'elle y est arrivée en 2015 et qu'elle est fondée à se prévaloir de circonstances exceptionnelles de nature à justifier son admission au séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré 22 mars 2022, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... E... ne sont pas fondés.

Mme A... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 23 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°95-161 du 15 février 1995 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2022 :

- le rapport de Mme D...,

- les observations de Mme A... E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... E..., ressortissante marocaine, née le 5 août 1986, est entrée en France le 19 août 2015 sous couvert d'un visa court séjour valable du 8 août au 7 septembre 2015. Sa demande de titre de séjour du 29 janvier 2016, déposée au titre de la vie privée et familiale, a été rejetée par un arrêté du 29 décembre 2017 du préfet de la Haute-Vienne, contesté par un recours rejeté par un jugement n° 1800224 du tribunal administratif de Limoges du 26 mars 2018 et un arrêt n° 18BX02886 de cette cour du 12 décembre 2018. Le 21 janvier 2020, Mme A... E... a, à nouveau, sollicité, pour les mêmes motifs, un titre de séjour. Par un arrêté du 1er mars 2021, le préfet de la Haute-Vienne a opposé un refus à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme A... E... relève appel du jugement du 17 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 1er mars 2021 :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de nombreux documents émanant de l'administration, de l'autorité judiciaire ou d'institutions privées, que Mme A... E... justifie, sans que cela soit au demeurant contesté par l'autorité préfectorale, d'une présence continue en France depuis son arrivée le 7 septembre 2015. Il ressort encore des pièces du dossier que l'assassinat par arme à feu, au domicile familial, le 28 juin 2017, du jeune frère de la requérante, alors âgé de dix-sept ans, a placé les membres de la famille, dont certains, au nombre desquels l'intéressée, ont assisté aux faits, dans un état de stress post-traumatique, celui de sa mère nécessitant un suivi psychiatrique particulier. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment des rapports d'expertise psychiatrique des membres de la famille, que cette situation requiert la présence de Mme A... E... au sein de la cellule qu'elle forme désormais avec sa mère, son jeune frère et sa jeune sœur, mineurs, dès lors qu'elle occupe, en sa qualité d'aînée d'une fratrie de sept enfants, depuis son arrivée sur le territoire national, le décès de son père en 2016 et les évènements du 28 juin 2017, une place prépondérante, même si le compagnon de la mère de la requérante est présent à ses côtés et que deux de ses sœurs, désormais majeures, résident à proximité du foyer. Si, par ailleurs, le préfet de la Haute-Vienne remet en cause la relation qu'entretiennent Mme A... E... et M. A... C..., de nationalité marocaine, titulaire d'un titre de séjour en qualité de salarié, en faisant valoir que les intéressés ne sont pas unis pas les liens du mariage, n'ont conclu aucun pacte civil de solidarité et n'ont pas de domicile commun, M. A... C... étant établi à Asnières sur Seine (Hauts-de-Seine) alors que Mme A... E... demeure à Limoges, il ressort des pièces du dossier que leur lien affectif existe depuis 2016, le couple ayant notamment vu la première grossesse de Mme A... E... prendre fin au bout de six mois le 14 octobre 2020, par la naissance d'un enfant mort-né. Dans ces conditions, eu égard à la présence de la majorité des membres de sa famille en France, tous en situation régulière et titulaires pour la plupart de titres de résident valables 10 ans, au caractère intense, ancien et stable des liens qu'elle entretient avec eux et avec M. A... C..., Mme A... E..., alors même qu'elle a vécu au Maroc jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et qu'y résident deux de ses frères, est fondée, dans les circonstances particulières de l'espèce, à soutenir que l'arrêté contesté a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que Mme A... E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er mars 2021.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, de délivrer un titre de séjour à Mme A... E... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige et le droit de plaidoirie :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Préguimbeau, avocate de Mme A... E... qui a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, au titre des frais d'instance, ce versement entraînant renonciation de l'avocate à la part contributive de l'Etat, conformément au deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

7. Aux termes de l'article 2 du décret n°95-161 du 15 février 1995 relatif aux droits de plaidoirie et à la contribution équivalente : " Le droit de plaidoirie est dû à l'avocat pour chaque plaidoirie faite aux audiences dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. /A défaut de plaidoirie, est considéré comme ayant plaidé l'avocat représentant la partie à l'audience (...) ". Mme A... E... n'ayant pas été représentée à l'audience, le droit de plaidoirie n'est pas dû. Ses conclusions tendant au remboursement d'un tel droit ne peuvent donc qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 17 juin 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 1er mars 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Vienne de délivrer un titre de séjour à Mme A... E... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Préguimbeau la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., à Me Préguimbeau, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la préfète de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

La rapporteure,

Claire D...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04023
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Claire CHAUVET
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SELARL PREGUIMBEAU GREZE AEGIS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;21bx04023 ?
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