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28/06/2022 | FRANCE | N°21BX00359

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 28 juin 2022, 21BX00359


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 janvier 2021, 4 mars et 29 avril 2022, le département de la Charente-Maritime, représenté par Me Izembard, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Parc éolien des Chaumes Carrées une autorisation environnementale en vue de l'installation et l'exploitation d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituée de trois aérogénérateurs sur le terri

toire de la commune de Genouillé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la socié...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 janvier 2021, 4 mars et 29 avril 2022, le département de la Charente-Maritime, représenté par Me Izembard, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Parc éolien des Chaumes Carrées une autorisation environnementale en vue de l'installation et l'exploitation d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituée de trois aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Genouillé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Parc éolien des Chaumes Carrées le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il justifie d'un intérêt à agir ; il constitue un tiers intéressé au sens des dispositions de l'article L. 514-3-1 du code de l'environnement ; en vertu de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, le département est compétent pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, or l'implantation des projets éoliens principalement sur le nord du territoire du département pose un grave problème de cohésion territoriale ; la concentration d'éoliennes dans un périmètre restreint constitue une atteinte à la commodité du voisinage et un problème d'utilisation rationnelle de l'énergie, lesquelles sont au nombre des intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; la saturation d'éoliennes pose un problème en termes de paysage et de préservation des espaces naturels et porte atteinte tant au patrimoine qu'à l'image du département de la Charente-Maritime ; le département qui a en charge le schéma d'aménagement touristique et le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, est compétent en matière de tourisme ; il est également compétent en matière de mise en valeur du patrimoine ; le département est responsable des espaces naturels sensibles sur son territoire et le site d'implantation des éoliennes se situe non loin d'une zone écologique riche ; l'ensemble de ces préoccupations ont conduit le département à voter en octobre 2018 la création d'un observatoire de l'éolien et le 22 mars 2019, un moratoire de deux ans quant à l'implantation d'éoliennes sur le territoire du département ; en outre, le département est compétent en matière d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement en vertu du l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales ;

- la capacité d'ester en justice du représentant du conseil départemental pour engager le présent recours ressort de la délégation accordée par son assemblée délibérante du 2 avril 2015 ;

- l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en ce que le gestionnaire de la route départementale 112 n'a pas été consulté en méconnaissance de l'article R. 423-53 du code de l'urbanisme ;

- l'évaluation environnementale comporte des insuffisances ; l'impact sonore du projet est mal évalué ; l'étude d'impact est insuffisante en ce qu'elle n'intègre pas suffisamment plusieurs facteurs déterminants pour apprécier le niveau d'impact sur l'avifaune et les chiroptères ; l'évaluation environnementale ne comporte aucun développement relatif aux solutions alternatives au site retenu ;

- le projet est incompatible avec les orientations du schéma régional d'aménagement de développement durable et d'égalité des territoires de la région Nouvelle-Aquitaine ;

- la demande ne comporte aucune précision tenant aux capacités financières de la société pétitionnaire ; le montage financier envisagé ne comporte pas d'engagement précis de financement de sorte qu'il n'est pas certain que la société pétitionnaire dispose des capacités financières requises par l'article L. 512-1 du code de l'environnement ;

- le projet méconnait le règlement de la zone A du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes Aunis sud approuvé le 11 février 2020 dès lors que les éoliennes en litige portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ;

- le projet porte atteinte aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement notamment en ce qui concerne les paysages et le patrimoine culturel, l'avifaune et les chiroptères, ainsi que la commodité du voisinage et la santé publique ;

- l'impact du projet sur l'avifaune et sur les chiroptères rend nécessaire une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées ; à défaut, la décision méconnaît l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

Par des mémoires, enregistrés les 7 mai 2021 et 4 avril 2022, la société Parc éolien des Chaumes Carrées, représentée par Me Guiheux, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du département de la Charente-Maritime d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le département de la Charente-Maritime ne justifie pas d'un intérêt à agir au sens de l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;

- la requête est irrecevable en ce que le département s'abstient de produire la délibération du conseil départemental autorisant le président du département à contester l'arrêté du 13 octobre 2020 ;

- les moyens soulevés par le département ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en l'absence de justification de l'habilitation du président du conseil départemental pour agir au nom du département ;

- le département de la Charente-Maritime ne justifie pas d'un intérêt à agir au sens de l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;

- les moyens soulevés par le département ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du tourisme ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Evano, représentant le département de la Charente-Maritime et de Me Guiheux, représentant la société Parc éolien des Chaumes Carrées.

Considérant ce qui suit :

1. Le 3 octobre 2018, la société Parc éolien des Chaumes Carrées a présenté une demande d'autorisation environnementale en vue d'installer et d'exploiter une installation d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, comprenant trois éoliennes sur le territoire de la commune Genouillé. Le département de la Charente-Maritime demande l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2020 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a délivré l'autorisation sollicitée.

2. En application de l'article R. 181-50 du code de l'environnement, les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative " par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 ". L'article L. 511-1 du même code, auquel renvoie l'article L. 181-3, vise les dangers et inconvénients " soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Pour pouvoir contester une autorisation environnementale, les collectivités territoriales doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct et certain leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour elles l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de leur situation, de la configuration des lieux et des compétences que la loi leur attribue.

3. Aux termes de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département dans les domaines de compétences que la loi lui attribue. / Il est compétent pour mettre en œuvre toute aide ou action relative à la prévention ou à la prise en charge des situations de fragilité, au développement social, à l'accueil des jeunes enfants et à l'autonomie des personnes. Il est également compétent pour faciliter l'accès aux droits et aux services des publics dont il a la charge. / Il a compétence pour promouvoir les solidarités, la cohésion territoriale et l'accès aux soins de proximité sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes ". En admettant même que, comme le soutient le département de la Charente-Maritime, le territoire du département accueillerait un nombre de parcs éoliens relativement plus important que la plupart des autres départements et que le nord du département en accueillerait beaucoup plus que le sud, la compétence du département en matière de promotion des solidarités et de la cohésion territoriale, sur laquelle il n'est pas allégué que le projet de la société Parc éolien des Chaumes Carrées serait de nature à avoir des conséquences directes, ne lui confère pas par elle-même un intérêt direct à l'annulation de l'arrêté attaqué. La promotion des solidarités et de la cohésion territoriale n'est, au surplus, pas au nombre des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

4. Le département requérant ne peut davantage se prévaloir de l'atteinte que le projet porterait à la commodité de ses habitants.

5. Aux termes de l'article L. 113-8 du code de l'urbanisme : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2 ".

6. Le département, qui invoque ces dispositions, ne fait cependant état d'aucun espace naturel sensible au sens desdites dispositions auquel le projet serait susceptible de porter atteinte.

7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales : " Les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence. / Ils concourent avec l'Etat à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, à la promotion de la santé, à la lutte contre les discriminations, à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu'à la protection de l'environnement, à la lutte contre l'effet de serre par la maîtrise et l'utilisation rationnelle de l'énergie, et à l'amélioration du cadre de vie. Ils peuvent associer le public à la conception ou à l'élaboration de ces politiques, selon les modalités prévues à l'article L. 131-1 du code des relations entre le public et l'administration (...) ".

8. Si le département se prévaut de son rôle en matière d'aménagement du territoire, d'utilisation rationnelle de l'énergie et de protection de l'environnement, les dispositions précitées se bornent à donner vocation aux départements à agir dans le sens de la promotion des intérêts qu'elles visent, sans leur conférer aucune compétence dans ces domaines. Par suite, et alors au surplus que, s'agissant de l'aménagement du territoire, cet intérêt ne figure pas parmi ceux visés à l'article L. 511-1 précité du code de l'environnement et que, s'agissant de l'utilisation rationnelle de l'énergie, le département ne fait état d'aucune caractéristique du projet susceptible de porter atteinte à cet intérêt, l'article L. 1111-2 précité du code général des collectivités territoriales ne lui confère pas un intérêt direct à l'annulation de l'arrêté contesté.

9. L'article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, qui désigne le département comme chef de file quant à l'exercice des compétences relatives à l'action sociale, le développement social et la contribution à la résorption de la précarité énergétique, l'autonomie des personnes et la solidarité des territoires, ne donne aux départements aucune compétence dans des domaines d'action relatifs aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

10. Si le code du tourisme donne compétence aux départements pour élaborer et mettre en œuvre une politique touristique sur leurs territoires, le département requérant n'invoque en l'espèce aucune atteinte particulière que le projet, de par son implantation ou ses caractéristiques, serait susceptible de porter à sa politique touristique ou à un élément de son patrimoine. Il ne résulte par ailleurs d'aucun élément de l'instruction que le parc éolien en litige, de par son implantation ou ses caractéristiques, serait susceptible de porter atteinte à l'image du département de la Charente-Maritime.

11. Enfin, si le conseil départemental de la Charente-Maritime a voté, au mois d'octobre 2018, la création d'un observatoire de l'éolien et, le 22 mars 2019, une demande de moratoire de deux ans quant à l'implantation de parcs éoliens sur le territoire du département, ces délibérations ne confèrent pas davantage, par elles-mêmes, un intérêt direct au département pour contester l'arrêté préfectoral du 13 octobre 2020.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le département n'est pas recevable à demander l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2020.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État et de la société Parc éolien des Chaumes Carrées, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par le département de la Charente-Maritime et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de la Charente-Maritime le versement à la société Parc éolien des Chaumes Carrées d'une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département de la Charente-Maritime est rejetée.

Article 2 : Le département de la Charente-Maritime versera à la société Parc éolien des Chaumes Carrées la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Charente-Maritime, à la société Parc éolien des Chaumes Carrées et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Laury Michel, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022.

La rapporteure,

Nathalie A...La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX00359 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00359
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU et ASSOCIES;CABINET FCA;SCP BOUYSSOU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-28;21bx00359 ?
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