Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme G... A... C... et M. B... E... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 31 août 2018 par lequel la préfète de la Charente a déclaré d'utilité publique, à la demande de l'Etablissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine (EPF-NA) agissant pour le compte de la commune d'Angoulême et de la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, le projet de requalification d'une friche industrielle sur le site " Chais Montaigne " situé à Angoulême.
Par un jugement n° 1802975 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 31 août 2018.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête, enregistrée le 31 août 2020 sous le n° 20BX02916, et un mémoire en réplique enregistré le 3 février 2022, la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, représentées par Me Gauci, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802975 du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme G... A... C... et M. B... E... devant le tribunal administratif de Poitiers ;
3°) de mettre à leur charge solidaire la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
-M. E..., n'étant pas propriétaire des parcelles concernées par la DUP, était dépourvu d'intérêt à agir ;
-c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas établi qu'existait un projet à la date de l'engagement de la procédure d'utilité publique ; le projet porté par la commune et la communauté d'agglomération est réel et répond aux critères des articles L. 221-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ; l'intérêt public de constituer une réserve foncière sur le terrain où sont sis les chais Montaigne est décrit dans la notice explicative, ainsi que dans les documents joints au dossier d'enquête publique ; cet intérêt est également démontré par le rapport du commissaire-enquêteur ; le PLU et le PLUi en vigueur à la date de la DUP prônent la reconversion des friches ; par ailleurs, le site des chais Montaigne est fortement pollué par des dépôts d'hydrocarbures ; ce n'est qu'une fois les études sur la dépollution effectuées que le programme de l'opération pourra être précisément déterminé ; on ne saurait exiger davantage dans le cadre d'une DUP réserve foncière, d'autant plus que le dossier rentrait dans le champ d'application du dossier simplifié ; dans un jugement du 13 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Angoulême a constaté l'état de délabrement et d'abandon du site ;
-en tout état de cause, la DUP des chais Montaigne détermine clairement la nature du projet, à savoir accueillir des activités économiques et des logements, une programmation plus précise ne pouvant être faite qu'une fois l'étude de pollution du site effectuée ; le terrain est à moins de 2 km du centre-ville, jouxte une zone d'activités et correspond parfaitement aux objectifs du PADD ; une étude de faisabilité a d'ailleurs été menée sur le site en 2017, qui a permis d'établir un programme général doté d'enjeux programmatiques et comportant plusieurs scenarii de réaménagement ;
-tous les autres moyens de première instance soulevés par M. et Mme G... A... C... et M. E... doivent être rejetés, dès lors que le projet contient l'avis des Domaines et une estimation sommaire des dépenses, qu'il est pourvu d'une utilité publique et n'est pas entaché de détournement de pouvoir.
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II.- Par une requête, enregistrée le 1er septembre 2020 sous le n° 20BX02917, et un mémoire en réplique enregistré le 20 décembre 2021, l'Etablissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine (EPF-NA), représenté par Me Charbonnel, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802975 du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme G... A... C... et M. B... E... devant le tribunal administratif de Poitiers ;
3°) de mettre à leur charge solidaire la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
-le jugement est irrégulier au regard de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, dès lors qu'il n'a pas analysé ni communiqué la note en délibéré produite par la commune et la communauté de communes ;
-c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas établi qu'existait un projet à la date de l'engagement de la procédure d'utilité publique, d'autant plus que la jurisprudence tend à aligner le régime de l'expropriation pour réserves foncières sur celui de la préemption en vue de la constitution de telles réserves, dès lors qu'est justifiée de la réalité d'un projet répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme ;
-en l'espèce, la notice explicative justifie et décrit le projet ; il s'agit de la constitution d'une réserve foncière dans le but de réhabiliter une friche industrielle dégradée ; dans le cadre de la constitution d'une réserve foncière, par définition les caractéristiques précises du projet ne sont pas encore définies ; d'autre part, il existe une réelle urgence à maîtriser le foncier avant de s'engager de façon approfondie dans la définition du projet lui-même ; une étude de faisabilité a d'ailleurs été menée sur le site en 2017, qui a permis d'établir un programme général doté d'enjeux programmatiques et comportant plusieurs scenarii de réaménagement ; elle atteste de la réalité d'un projet de requalification de la friche ; enfin, ce site est en déshérence depuis plusieurs années, est squatté et présente une dangerosité certaine ; en tout état de cause, que ce soit pour y implanter une zone industrielle ou des logements, l'utilité publique du projet est avérée ;
-tous les autres moyens de première instance soulevés par M. et Mme G... A... C... et M. E... doivent être rejetés, dès lors que le projet contient l'avis des Domaines et une estimation sommaire des dépenses, qu'il est pourvu d'une utilité publique et n'est pas entaché de détournement de pouvoir.
Par quatre mémoires en défense, enregistrés les 26 novembre 2021, 7 janvier 2022, 20 janvier 2022 et 28 mars 2022, M. et Mme G... A... C... et M. B... E..., représentés par Me Ballade, concluent au rejet de la requête de l'EPF-NA et à ce qu'il soit mis à sa charge, au profit de chacun, la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
-les moyens soulevés par l'EPF-NA ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... F...,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gault-Ozimek, représentant la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, Me Charbonnel, représentant l'Etablissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine, et de Me Ballade, représentant M. et Mme G... A... C... et M. B... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C... est propriétaire d'une parcelle bâtie d'un hangar, cadastrée CP 106, d'une surface d'un peu plus de 4 ha (43 829 m2) située boulevard Jean Monet à Angoulême. Cet ensemble immobilier est dénommé " chais Montaigne ". M. A... C... a concédé à M. E..., le 18 décembre 2015, une promesse de vente, ce dernier ayant la volonté d'aménager cet espace. Une demande de permis d'aménager a été effectivement déposée le 16 février 2017 et a fait l'objet d'un sursis par un arrêté du 10 novembre 2017. En 2017, la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême ont conclu une convention opérationnelle avec l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine (EPF-NA), relative à la requalification des friches industrielles et d'activités, qui prévoit notamment la requalification du site des chais Montaigne. Par un arrêté du 31 août 2018, la préfète de la Charente a déclaré d'utilité publique ce projet autorisant ainsi l'EPF-NA à acquérir cette parcelle par voie amiable ou par voie d'expropriation. Par un jugement du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers, à la demande de M. et Mme A... C... et de M. E..., a annulé l'arrêté du 31 août 2018. Par une ordonnance du 10 février 2021, la présente cour a rejeté la demande de sursis à exécution de ce jugement, présentée par la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême. Par une requête au fond, enregistrée sous le n° 20BX02916, la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême font appel du jugement du 2 juillet 2020. Par une requête, enregistrée sous le n° 20BX02917, l'EPF-NA demande l'annulation de ce même jugement. Ces deux requêtes, dirigées contre un même jugement, présentant des questions identiques à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême :
2. La circonstance que l'un des auteurs d'une requête collective ne justifie pas d'un intérêt à agir ou, s'agissant d'une personne morale, de la qualité pour agir de son représentant, ne fait pas obstacle à ce que les conclusions de cette requête soient jugées recevables. La demande de première instance présentée par M. A... C..., qui justifie être propriétaire du terrain faisant l'objet de la déclaration d'utilité publique litigieuse et dont l'intérêt à agir n'est pas contesté, était recevable. Par suite, à supposer même, ainsi que le font valoir la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, que M. E... n'aurait plus justifié, à la date de son édiction, d'un intérêt à agir contre la déclaration d'utilité publique en litige, cette circonstance était sans incidence sur la recevabilité de la demande de première instance, présentée sous la forme d'une requête collective. Dès lors, la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême ne sont pas fondées à soutenir que, pour ces motifs, la requête de première instance, en ce qu'elle était présentée par les intéressés, était irrecevable.
Sur la régularité du jugement :
3. En vertu de l'article R. 731-3 du code de justice administrative, toute partie à l'instance peut, à l'issue de l'audience, adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré et il appartient alors au juge administratif d'en prendre connaissance et de mentionner cette production dans sa décision, en application de l'article R. 741-2 du même code. S'il a toujours également la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
4. Il ressort de l'examen de la note en délibéré produite le 25 juin 2020 par la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême après l'audience du tribunal administratif de Poitiers, visée par le jugement attaqué, que celle-ci ne comportait aucun des éléments mentionnés au point 3 ci-dessus et que, par suite, le tribunal administratif n'avait ni à en tenir compte ni à rouvrir l'instruction pour la communiquer aux parties. Le moyen tiré par l'EPF-NA de l'irrégularité à cet égard du jugement attaqué doit, par suite, être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'urbanisme : " L'Etat, les collectivités locales, ou leurs groupements y ayant vocation, les syndicats mixtes, les établissements publics mentionnés aux articles L. 321-1 et L. 324-1, les bénéficiaires des concessions d'aménagement mentionnées à l'article L. 300-4, les sociétés publiques définies à l'article L. 327-1 et les grands ports maritimes sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d'expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d'une action ou d'une opération d'aménagement répondant aux objets définis à l'article L. 300-1. ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que les personnes publiques concernées peuvent légalement acquérir des immeubles par voie d'expropriation pour constituer des réserves foncières, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle la procédure de déclaration d'utilité publique est engagée, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si le dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique fait apparaître la nature du projet envisagé, conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
7. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, si l'objectif général de l'acquisition envisagée du site des chais Montaigne est connu, à savoir la requalification de cette zone actuellement en état de friche polluée et dont la dégradation est avancée, aux fins d'y proposer des terrains disponibles pour les entreprises ou pour la construction de logements, il n'existait à la date de l'engagement de la procédure de déclaration d'utilité publique, et nonobstant la réalisation en 2017 d'une étude de faisabilité, laquelle envisageait au demeurant des options très différentes, aucun projet d'action ou d'opération d'aménagement défini même dans ses grandes lignes.
8.Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Angoulême et la communauté d'agglomération du Grand Angoulême et l'EPF-NA ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté portant déclaration d'utilité publique pris par la préfète de la Charente le 31 août 2018.
Sur les frais des instances :
9.Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de M. et Mme A... C... et de M. E..., qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances, les sommes demandées par la commune d'Angoulême, la communauté d'agglomération du Grand Angoulême et l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine sur ce fondement. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine une somme de 2 000 euros au profit de M. et Mme A... C... et de M. E....
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes n° 20BX02916 de la commune d'Angoulême et de la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, et n° 20BX02917 de l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine sont rejetées.
Article 2 : L'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine versera la somme de 2 000 euros au profit de M. et Mme A... C... et de M. E..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Angoulême et à la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, à l'établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine, à M. et Mme G... A... C... et à M. B... E..., ainsi qu'au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Copie en sera adressée à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mai 2022.
La rapporteure,
Florence F...
La présidente,
Frédérique Munoz-Pauziès
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la préfète de la Charente, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02916, 20BX02917