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07/04/2022 | FRANCE | N°21BX02162

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 07 avril 2022, 21BX02162


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux demandes distinctes, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2021 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et d'annuler la décision l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 2101924-n° 2101925 du 22 avril 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a join

t ces demandes, renvoyé les conclusions dirigées contre la décision portant refus de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux demandes distinctes, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2021 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et d'annuler la décision l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 2101924-n° 2101925 du 22 avril 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a joint ces demandes, renvoyé les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour devant une formation collégiale et annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français et assignation à résidence.

Par un jugement n° 2101924, du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision portant refus de titre de séjour.

Procédure devant la cour :

I.° Par une requête, enregistrée le 11 mai 2021 sous le n° 21BX02162, le préfet de Lot-et-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux du 22 avril 2021 ;

2°) de rejeter la demande portée par Mme A... devant le tribunal administratif.

Le préfet de Lot-et-Garonne soutient que rien ne justifie l'admission exceptionnelle au séjour de Mme A..., dès lors que son époux séjourne irrégulièrement en France, que la cellule familiale peut se reconstituer au Maroc, où vivent ses parents et frères et sœurs, qu'elle est sans emploi et sans domicile stable, perçoit l'aide médicale d'État et ne fait état d'aucune circonstance exceptionnelle ou humanitaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2021, Mme A..., représentée par Me Babou, conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

II° Par une requête, enregistrée le 9 aout 2021 sous le n° 21BX03294, le préfet de Lot-et-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande portée par Mme A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que le refus de titre de séjour ne méconnaît pas le droit de l'intéressée de mener une vie privée et familiale normale, dès lors que son époux séjourne irrégulièrement en France, que la cellule familiale peut se reconstituer au Maroc, où vivent ses parents et frères et sœurs, qu'elle est sans emploi et sans domicile stable, perçoit l'aide médicale d'État et ne fait état d'aucune circonstance exceptionnelle ou humanitaire.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987.

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme J...,

- et les observations de Me Molle, représentant Mme C... épouse A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... C..., épouse A..., née le 21 mars 1998, de nationalité marocaine, déclare être entrée en France en 2013, à l'âge de 15 ans, sous couvert d'un visa de type C. Le 18 juillet 2016, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiante, qui lui a été refusée par décision du 18 août 2016, le préfet lui délivrant toutefois des autorisations

provisoires de séjour du 18 juillet 2016 au 1er mars 2017. Le 15 février 2021, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 15 avril 2021, le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, et par un second arrêté du même jour, il l'a assignée à résidence pendant une durée de 45 jours. Par jugement du 22 avril 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 15 avril 2021 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, ainsi que l'arrêté du 15 avril 2021 portant assignation à résidence, et par jugement du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté en tant qu'il porte refus de titre de séjour. Le préfet de Lot-et-Garonne relève appel de ces jugements.

2. Les requêtes enregistrées sous les n° 21BX02162 et n° 21BX03294 présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les motifs d'annulation retenus par les premiers juges :

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Mme A... fait valoir qu'elle est entrée en France en 2013 à l'âge de 15 ans, et que, arrivée à l'âge de la majorité, elle a bénéficié de deux autorisations provisoires de séjour du 18 juillet 2016 au 1er mars 2017 afin de passer son baccalauréat professionnel " Services aux personnes et aux territoires " qu'elle a obtenu en juin 2017. Elle a épousé, le 19 août 2017, un compatriote, dont elle a eu un enfant, né en 2018, le couple étant depuis le mariage hébergé chez les parents de l'époux. Toutefois, Mme A..., qui ne fait état d'aucune insertion professionnelle, hormis un stage de 15 jours effectué pendant sa classe de terminale, et qui vit chez ses beaux-parents, son mari étant sans emploi et sans ressources, s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français depuis le mois de mars 2017. Son mari est lui aussi en situation irrégulière, et rien ne s'oppose à ce que la vie familiale reprenne au Maroc, pays dont les deux époux ont la nationalité et où vivent les parents et frères et sœurs de Mme A.... Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le préfet de Lot-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur ce que le refus de séjour contesté portait au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision et méconnaissait par suite les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Pour les mêmes motifs, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, l'assignation à résidence, s'est fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de Mme A....

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif et la cour.

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

7. En premier lieu, par arrêté du 22 février 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet a donné délégation à M. Morgan Tanguy, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer, notamment, les décisions relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le même arrêté donne délégation, pour signer les mêmes décisions, à M. B... D... en cas d'absence ou d'empêchement de M. G..., à Mme F... en cas d'absence ou d'empêchement de M. D..., et, enfin, à M. I... H..., sous-préfet directeur de cabinet, signataire de l'arrêté litigieux, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme F.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.

8. En deuxième lieu, la décision contestée vise les textes dont elle fait application, et énonce les principaux éléments de la situation de Mme A... sur lesquels elle se fonde, et notamment son entrée à l'âge de 15 ans, les deux autorisations provisoires de séjour dont elle a bénéficié du 18 juillet 2016 au 1er mars 2017, son maintien irrégulier sur le territoire français au-delà de cette date, son mariage en août 2017 avec un compatriote lui-même en situation irrégulière et la naissance en 2018 de leur fille, et son absence d'intégration professionnelle. Par suite, elle est suffisamment motivée, et cette motivation révèle que le préfet s'est livré à un examen approfondi de sa demande.

9. En troisième lieu, M. A... n'entre dans aucune des hypothèses où la saisine de la commission du titre de séjour est obligatoire.

10. En quatrième lieu, lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. À l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.

11. En cinquième lieu, en se bornant à faire valoir qu'elle ne constitue pas une menace à l'ordre public, n'ayant jamais fait l'objet d'une condamnation pénale, qu'elle est respectueuse des valeurs de la République, que sa fille est née en France en 2018 et qu'elle est intégrée, Mme A... ne fait valoir aucune circonstance humanitaire qui justifierait son admission exceptionnelle au séjour.

12. En sixième lieu, rien ne s'oppose à ce que l'enfant de Mme A..., née en 2018, suive ses parents au Maroc, pays dont les membres de la famille ont la nationalité. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

Sur l'assignation à résidence :

13. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Lot-et-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif a annulé les décisions contenues dans son arrêté du 15 avril 2021, ainsi que sa décision du même jour portant assignation à résidence. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de Mme A... à fin d'injonction, ainsi que celle tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Bordeaux des 22 avril et 30 juin 2021 sont annulés.

Article 2 : La demande portée par Mme A... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme A... à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E... C..., épouse A.... Une copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public après mise à disposition au greffe le 7 avril 2022.

La rapporteure,

Frédérique J...Le président

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkougou

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 21BX02162, 21BX03294


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 21BX02162
Date de la décision : 07/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : BABOU

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-04-07;21bx02162 ?
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