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18/03/2022 | FRANCE | N°20BX00170

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 18 mars 2022, 20BX00170


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 16 mai 2018 par laquelle le recteur de l'académie de la Guyane a refusé de lui accorder le bénéfice de la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique.

Par un jugement n° 1800848 du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 janvier 2020 et le 14 juin 2021, Mme A..., r

eprésentée par Me Weyl, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 16 mai 2018 par laquelle le recteur de l'académie de la Guyane a refusé de lui accorder le bénéfice de la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique.

Par un jugement n° 1800848 du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 janvier 2020 et le 14 juin 2021, Mme A..., représentée par Me Weyl, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du recteur de l'académie de la Guyane du 16 mai 2018 ;

3°) d'enjoindre au recteur de lui verser une somme correspondant à la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique, assortie des intérêts légaux, et de la capitalisation des intérêts à compter de la date de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges n'ont pas soulevé d'office le moyen tiré de l'illégalité des dispositions de l'article 8 du décret du 15 avril 2013 portant création d'une indemnité de sujétion géographique ;

- ils n'ont pas non plus soulevé d'office le moyen tenant à la prohibition de toute forme de discrimination ;

- l'article 8 du décret du 15 avril 2013 portant création d'une indemnité de sujétion géographique est illégal, dès lors que l'indemnité de sujétion géographie a pour objet de compenser les sujétions spécifiques résultant des conditions de vie en Guyane, qui ne varient pas selon l'ancienneté des fonctionnaires ;

- sa décision d'affectation en Guyane, à raison de laquelle est attribuée l'indemnité de sujétion géographique, est une décision créatrice de droits qui, n'ayant pas été retirée dans le délai prévu par la loi, est irrévocable.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2021, le recteur de l'académie de la Guyane conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que l'exception d'illégalité de l'article 8 du décret du 15 avril 2013 n'avait pas été soulevée en première instance ;

- les moyens de Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2013-314 du 15 avril 2013 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Charlotte Isoard,

- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., professeure d'anglais, a été affectée à compter du 1er septembre 2017 à un poste au sein de l'académie de la Guyane, après avoir accompli une année de stage dans l'académie d'Orléans-Tours. Par une décision du 16 mai 2018, le recteur de l'académie de la Guyane a refusé de lui accorder le bénéfice du versement de la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique. Mme A... relève appel du jugement du 28 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Si le recteur de l'académie de la Guyane fait valoir que le moyen tiré de l'illégalité de l'article 8 du décret du 15 avril 2013 portant création d'une indemnité de sujétion géographique est nouveau en appel, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de la requête d'appel de Mme A.... Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée avait invoqué en première instance des moyens tirés de l'illégalité interne de la décision du 16 mai 2018. Ce moyen relevant de la même cause juridique, il est recevable en appel. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le recteur en défense doit être écartée.

Sur la légalité de la décision du 16 mai 2018 :

2. Aux termes de l'article 1er du décret du 15 avril 2013 portant création d'une indemnité de sujétion géographique : " Une indemnité de sujétion géographique est attribuée aux fonctionnaires de l'État et aux magistrats, titulaires et stagiaires affectés en Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy ou à Mayotte, s'ils y accomplissent une durée minimale de quatre années consécutives de services. ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " L'indemnité de sujétion géographique est versée aux fonctionnaires de l'État et aux magistrats dont la précédente résidence administrative était située hors de la Guyane, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy ou de Mayotte./ Les fonctionnaires de l'État et les magistrats qui demeurent en Guyane, à

Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy ou à Mayotte ne peuvent bénéficier de cette indemnité s'ils sont affectés sur place./ Elle est versée aux stagiaires qui ne demeurent pas en Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy ou à Mayotte et qui y sont affectés à l'issue de leur entrée dans l'administration ou à l'issue d'une promotion. ". Et aux termes de l'article 4 de ce décret : " L'indemnité de sujétion géographique est payable en trois fractions égales : - une première lors de l'installation du fonctionnaire ou du magistrat dans son nouveau poste ; - une deuxième au début de la troisième année de service ; - une troisième au bout de quatre ans de services. ". Enfin, aux termes de l'article 8 du même décret : " Une affectation ouvrant droit à l'indemnité de sujétion géographique prévue ne peut être sollicitée qu'à l'issue d'une affectation d'une durée minimale de deux ans hors de la Guyane, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy ou de Mayotte. / Par dérogation au précédent alinéa, l'indemnité de sujétion géographique est versée aux stagiaires qui ne demeuraient pas, précédemment à leur affectation en stage, en Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy ou à Mayotte et qui y sont affectés à leur entrée dans l'administration ou à la suite d'une promotion. ".

3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

4. Il ressort des pièces du dossier que le recteur de l'académie de la Guyane a rejeté la demande de Mme A... tendant au bénéfice de la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique au motif qu'en application de l'article 8 du décret du 15 avril 2013 cité ci-dessus, elle n'avait pas accompli deux années de service en dehors de la Guyane, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy ou de Mayotte antérieurement à son affectation en Guyane. Ces dispositions de l'article 8, qui prévoient une condition d'ancienneté de services accomplis en dehors de ces territoires de deux années, conduisent à exclure du bénéfice de l'indemnité de sujétion géographique les agents justifiant, comme l'intéressée, d'une année de services en qualité de stagiaire accomplie en dehors de ces territoires, alors que les fonctionnaires titulaires appartenant au même corps disposant d'une année de services supplémentaire et ceux affectés dès leur entrée dans l'administration en Guyane, à Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy ou Mayotte pour y accomplir leur stage, peuvent en bénéficier. Or, cette différence de traitement ne répond pas à une différence de situation objective en rapport avec l'objet du texte du décret, alors que la requérante fait valoir, sans que cela ne soit contesté, que les sujétions géographiques que l'indemnité a pour objet de compenser sont de même nature et de même charge pour un stagiaire, pour un titulaire justifiant d'une année de services antérieurs ou pour un titulaire justifiant de deux années de services antérieurs. Le recteur de l'académie de la Guyane ne se prévaut d'ailleurs d'aucun objectif qui pourrait justifier une telle différence de traitement. Par suite, les dispositions que l'administration a appliquées pour rejeter la demande Mme A... instituent entre les agents appartenant à un même corps et exerçant des fonctions dans les mêmes conditions, une différence de traitement, sans rapport direct avec l'objet de l'indemnité créée par le décret et sont par suite illégales. Dès lors, Mme A... est fondée à soutenir, par un moyen soulevé pour la première fois en appel, qui n'est pas d'ordre public, que le recteur de l'académie de la Guyane ne pouvait légalement se fonder sur l'article 8 du décret du 15 avril 2013 portant création d'une indemnité de sujétion géographique pour refuser de lui accorder la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ni d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 novembre 2019 et de la décision du recteur de l'académie de la Guyane du 16 mai 2018.

Sur l'injonction :

6. Au regard de ses motifs, le présent arrêt implique qu'il soit enjoint à l'État de verser à Mme A... la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête introductive d'instance le 13 juillet 2018. La capitalisation des intérêts ayant été demandée le 11 janvier 2020, au moins une année d'intérêts était due à cette date. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 novembre 2019 et la décision du recteur de l'académie de la Guyane du 16 mai 2018 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à l'État de verser à Mme A... la somme correspondant à la première fraction de l'indemnité de sujétion géographique dans un délai de deux mois. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2018. Les intérêts échus à la date du 13 juillet 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'État versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 17 février 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 mars 2022.

La rapporteure,

Charlotte IsoardLa présidente,

Brigitte Phémolant

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX00170 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00170
Date de la décision : 18/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-08-03-02 Fonctionnaires et agents publics. - Rémunération. - Indemnités et avantages divers. - Indemnités allouées aux fonctionnaires servant outre-mer (voir : Outre-mer).


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : WEYL TAULET ASSOCIES (WTA AVOCATS)

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-18;20bx00170 ?
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