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31/01/2022 | FRANCE | N°19BX03136

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 31 janvier 2022, 19BX03136


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 215 102,82 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de son licenciement pour inaptitude physique décidé le 6 novembre 2012.

Par un jugement n° 1700330 du 6 juin 2019, le tribunal a condamné la commune de Toulouse à verser à Mme B... une indemnité de 16 380 euros et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la

cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 25 juillet 2019, le 25 août 2021 et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse condamner la commune de Toulouse à lui verser une indemnité de 215 102,82 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de son licenciement pour inaptitude physique décidé le 6 novembre 2012.

Par un jugement n° 1700330 du 6 juin 2019, le tribunal a condamné la commune de Toulouse à verser à Mme B... une indemnité de 16 380 euros et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 25 juillet 2019, le 25 août 2021 et le 27 septembre 2021, Mme B..., représentée par Me Montazeau, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1700330 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme de 46 572,11 euros au titre de l'indemnité de licenciement, la somme de 16 559,96 euros au titre du non-respect de la procédure de licenciement, la somme de 302 291 euros au titre de son préjudice matériel lié à sa perte de salaire, la somme de 2 536,10 euros au titre de l'indemnité de congés payés, la somme de 141 786,33 euros au titre de son préjudice de retraite, la somme de 30 000 euros pour son préjudice moral et la somme de 10 000 euros pour ses troubles dans ses conditions d'existence ;

3°) d'assortir les sommes dues des intérêts et des intérêts capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il comporte une erreur quant à sa date de lecture ;

- le jugement est entaché d'une omission à statuer car il relève qu'elle avait omis de chiffrer certains de ses préjudices alors qu'elle avait satisfait à la mise de demeure de régulariser sa demande dont elle a été destinataire ;

Elle soutient, en ce qui concerne l'appel incident formé par la commune de Toulouse, que :

- il est irrecevable dès lors que l'appel principal ne porte que sur l'étendue des préjudices indemnisables alors que la commune entend contester le principe même de sa responsabilité retenue à juste titre par le tribunal ; ce faisant, la commune soulève un litige distinct ;

Elle soutient, au fond, que :

- c'est à tort que le tribunal a limité à 16 380 euros le montant des dommages et intérêts auxquels elle a droit ; il résulte des éléments de l'instruction qu'elle a travaillé près de 30 ans au sein de l'orchestre national du Capitole et que, âgée de 51 ans, l'illégalité de son licenciement la prive d'un traitement qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à 62 ans, âge de son départ à la retraite ; ainsi, il appartient à la cour de condamner la commune de Toulouse à lui verser la somme de 46 572,11 euros au titre de l'indemnité de licenciement, la somme de 16 559,96 euros au titre du non-respect de la procédure de licenciement, une somme au titre de son préjudice matériel lié à sa perte de salaire, la somme de 2 536,10 euros au titre des congés payés, la somme de 141 786,33 euros au titre de son préjudice de retraite, la somme de 30 000 euros pour son préjudice moral et la somme de 10 000 euros pour ses troubles dans ses conditions d'existence.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 novembre 2019 et le 16 septembre 2021, la commune de Toulouse, représentée par Me Lonqueue, conclut :

1°) à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de première instance ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet au fond de la requête de Mme B... ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le tribunal ne pouvait prononcer une condamnation sans répondre à la fin de

non-recevoir qui avait été soulevée en défense ; il a ainsi commis une irrégularité.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- la requête de Mme B... est tardive dès lors qu'en vertu du décret du 2 novembre 2016, entré en vigueur le 1er janvier 2017, les recours indemnitaires faisant suite à une décision implicite de rejet d'une demande préalable doivent être présentés dans le délai de deux mois suivant la naissance de cette décision ; ce délai n'a pas été respecté par Mme B... ;

- la requête de Mme B... n'a pas été présentée dans un délai raisonnable en application de la jurisprudence " Czabaj " du Conseil d'Etat compte tenu que son licenciement a été décidé en novembre 2012 soit trois et quatre ans avant ses demandes indemnitaires.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité des conclusions d'appel de Mme B..., que :

- ses conclusions tendant à la réparation de ses préjudices liés à la perte de ses salaires, au non-respect de la procédure de licenciement et aux indemnités de congés payés sont nouvelles et donc irrecevables faute d'avoir été évoquées dans la demande préalable.

Elle soutient, au fond, que :

- tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988

- le code de justice administrative et le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, notamment son article 35.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. En 1983, la commune de Toulouse a recruté par contrat Mme A... B..., née le 2 octobre 1961, pour occuper un emploi de musicienne à l'orchestre national du Capitole. Après avoir contracté une tendinopathie du sus-épineux dans le cadre de ses fonctions, Mme B... a été placée en congé pour maladie professionnelle du 9 septembre 2008 au 9 février 2010, puis en congé pour maladie ordinaire jusqu'au 4 mars 2011. Par un avis rendu le 3 octobre 2012, le comité médical départemental a estimé qu'en raison de son état de santé, Mme B... était inapte de façon absolue et définitive à l'exercice de ses fonctions. Aussi, par un arrêté du 6 novembre 2012, le maire de Toulouse a licencié pour inaptitude physique Mme B... à compter de la notification de sa décision. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Toulouse à réparer les préjudices qu'elle estime subir à raison de l'illégalité qui entache, selon elle, l'arrêté de licenciement du 6 novembre 2012. Par un jugement rendu le 6 juin 2019, le tribunal a retenu que le licenciement de Mme B... était entaché d'illégalités et a condamné la commune de Toulouse à lui verser la somme de 16 380 euros à titre de dommages et intérêts. Mme B... relève appel de ce jugement et demande à la cour de réévaluer le montant de sa réparation. La commune de Toulouse demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal et de rejeter comme tardive la demande de première instance de Mme B.... Subsidiairement, la commune de Toulouse sollicite de la cour la confirmation du jugement en tant qu'il a limité à 16 380 euros le montant des dommages et intérêts octroyés à Mme B....

Sur la recevabilité de l'appel incident de la commune de Toulouse :

2. L'appel incident de la commune de Toulouse tendant à être déchargée de sa condamnation en première instance ne soulève pas un litige différent de celui qui fait l'objet de l'appel principal par lequel il est demandé à la cour de réévaluer le montant de la réparation accordée à Mme B.... Par suite, la fin de non-recevoir opposée par Mme B..., tirée de ce que l'appel incident soulève un litige distinct, doit être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Dans ses écritures de première instance, la commune de Toulouse a opposé une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions indemnitaires présentées par Mme B.... Le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune à verser à Mme B... une somme à titre de dommages et intérêts sans se prononcer au préalable sur cette fin de

non-recevoir. Ce faisant, le tribunal a entaché son jugement d'une irrégularité.

4. Il y a lieu pour la cour d'annuler ce jugement et de se prononcer, par la voie de l'évocation, sur la demande de Mme B....

Sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de Mme B... :

5. Il résulte de l'instruction que par courrier du 12 octobre 2015, Mme B... a demandé à la commune l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait subir du fait de son licenciement. En l'absence de réponse explicite de la commune, une décision implicite de rejet de cette demande est née le 12 décembre 2015.

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification (...) de la décision attaquée (...) ". S'agissant du délai de recours contre les décisions implicites, l'article R. 421-2 du même code dispose : " (...) dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". A cette règle, l'article R. 421-3 du code de justice administrative prévoyait une exception en disposant que le délai de recours de deux mois ne courait qu'à compter d'une décision expresse " en matière de plein contentieux ". Cette exception a cependant été supprimée par l'article 10 du décret du 2 novembre 2016. Quant à l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui fixe les conditions de son entrée en vigueur, il dispose que : " I. - Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2017. / II. - Les dispositions des articles 9 et 10 (...) sont applicables aux requêtes enregistrées à compter de cette date ".

7. S'agissant des décisions nées avant le 1er janvier 2017, les dispositions précitées de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 n'ont pas dérogé au principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir. Il s'ensuit que, s'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016 qui prévoient l'application de l'article 10 de ce décret à " toute requête enregistrée à compter " du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Par suite, un délai de recours de deux mois court à compter du 1err janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date.

8. En application de la règle rappelée ci-dessus, il appartenait à Mme B..., dont la demande d'indemnisation a fait l'objet d'une décision implicite de rejet du 12 décembre 2015, de saisir le juge administratif avant l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois à compter du 1er janvier 2017. Or Mme B... a saisi le tribunal administratif de Toulouse par une requête enregistrée le 23 janvier 2017. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande doit être écartée.

9. En second lieu, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a eu connaissance de cette décision dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés.

10. La demande de Mme B... tend non pas à l'annulation ou à la réformation d'une décision de la commune de Toulouse mais uniquement à la condamnation de celle-ci à réparer les conséquences dommageables de son licenciement décidé le 6 novembre 2012. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la demande a été présentée au-delà du délai raisonnable que commande le principe de sécurité juridique doit être écartée.

11. En troisième lieu, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

12. Dans sa demande préalable d'indemnisation du 12 octobre 2015, Mme B... a sollicité, à raison de son licenciement, la réparation de son préjudice matériel constitué par la différence entre les rémunérations dont elle a été privée et les revenus qu'elle perçoit depuis son licenciement, la réparation de son préjudice moral, l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence ainsi qu'une somme au titre de l'indemnité de licenciement. Ce faisant, la requérante doit être regardée comme ayant réclamé réparation pour l'ensemble des conséquences dommageables du fait générateur constitué par son licenciement. Cela l'autorisait à détailler ces conséquences devant le juge en invoquant, le cas échéant, des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état dans sa réclamation préalable. Par suite, Mme B... est recevable, dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance et sous réserve d'une éventuelle aggravation de ses préjudices en cours d'instance, à demander une indemnité au titre du " non-respect de la procédure de licenciement ", de la perte de salaires, de la perte de ses droits à la retraite, ainsi qu'une indemnité au titre des congés payés non pris dès lors que ces demandes tendent à réparer des chefs de préjudice qui se rattachent au fait générateur dont elle a fait état dans sa demande préalable.

Sur le fond :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Toulouse :

13. En premier lieu, aux termes de l'article 42 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale : " Le licenciement ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. La décision de licenciement est notifiée à l'intéressé par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis. ".

14. Si la commune de Toulouse fait valoir que Mme B... s'est entretenue avec le directeur des ressources humaines de la collectivité, le responsable du service de gestion du temps de travail et avec celui du service des postes, métiers et repositionnement professionnel, il résulte de l'instruction que ces entretiens ont eu lieu le 30 novembre 2012 et le 18 décembre 2012, soit postérieurement à la décision de licenciement du 6 novembre 2012 qui a pris effet le 26 novembre 2012, date de sa notification. Ainsi, Mme B... n'a pas bénéficié d'un entretien préalable à son licenciement contrairement à ce que prévoient les dispositions précitées de l'article 42 du décret du 15 février 1988. Dans ces conditions, Mme B..., qui n'a pu exposer ses arguments avant son licenciement, a été privée d'une garantie. Ainsi, l'arrêté du 6 novembre 2012 est entaché d'un vice de procédure.

15. En deuxième lieu, conformément au principe général des droits de la défense, le licenciement pour inaptitude physique d'un agent public ne peut légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de demander la communication de l'ensemble de son dossier individuel et pas seulement de son dossier médical.

16. La commune de Toulouse se borne à produire au dossier une lettre simple datée du 6 novembre 2012, soit le jour même du licenciement, par laquelle ses services ont informé Mme B... de l'avis du comité médical départemental et de ce qu'elle serait licenciée pour inaptitude physique. Cet élément est insuffisant pour établir que Mme B... a été mise à même, préalablement à son licenciement, de prendre connaissance de son dossier médical et de son dossier administratif. Dans ces conditions, l'arrêté du 6 novembre 2012 est intervenu en méconnaissance du principe des droits de la défense, ce qui a privé Mme B... d'une garantie.

17. En troisième lieu, il résulte du principe général du droit dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, son licenciement. Ce principe est applicable aux agents contractuels de droit public, catégorie à laquelle appartient Mme B... qui devait être invitée par son employeur à formuler une demande de reclassement sans qu'elle ait l'obligation d'avoir à préciser la nature des emplois sur lesquels elle sollicite son reclassement.

18. La mise en œuvre de ce principe implique que l'employeur propose à son agent un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Ce n'est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu'il n'existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l'intéressé, soit que l'intéressé est déclaré inapte à l'exercice de toutes fonctions ou soit qu'il refuse la proposition d'emploi qui lui est faite, qu'il appartient à l'employeur de prononcer son licenciement.

19. L'employeur doit être regardé comme ayant satisfait à son obligation de reclassement s'il établit être dans l'impossibilité de trouver un nouvel emploi approprié aux capacités de son agent malgré une recherche effective et sérieuse.

20. Il résulte de l'instruction et notamment des rapports des médecins du travail que Mme B... a été jugée inapte non pas à toute fonction au sein de la commune de Toulouse mais à son emploi de musicienne. Ni le comité médical départemental, dans son avis du 3 octobre 2012, ni le maire dans sa décision de licenciement du 6 novembre 2012, n'ont estimé que Mme B... était définitivement inapte à l'exercice de toutes fonctions au sein de la commune. Dans ces conditions, le maire de Toulouse ne pouvait licencier Mme B... sans, au préalable, la mettre à même d'obtenir un possible reclassement sur autre emploi adapté à son état de santé.

21. La circonstance qu'en 2010, la commune de Toulouse ait invité Mme B... à établir un bilan de ses compétences et que cette dernière ait rédigé, dans ce cadre, un projet pédagogique d'atelier musical qui a été présenté au directeur des ressources humaines de la collectivité ne suffit pas à établir que la commune aurait invité cet agent à formuler une demande de reclassement en bonne et due forme ni qu'elle aurait ensuite accompli, de manière sérieuse et effective, des démarches en vue de reclasser cet agent sur un emploi adapté à ses capacités, alors qu'une période d'un mois seulement s'est écoulée entre l'avis du comité médical et le licenciement en litige. Dans ces conditions, la commune de Toulouse, qui se borne à soutenir qu'elle ne disposait pas de poste offrant une rémunération équivalente à celle perçue par Mme B... avant son licenciement, a manqué à son obligation de recherches préalables d'un reclassement.

22. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que son licenciement décidé le 6 novembre 2012 est illégal. Ainsi, la commune de Toulouse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de la requérante.

En ce qui concerne le préjudice :

23. L'agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s'il était resté en fonctions. Lorsque l'agent ne demande pas l'annulation de cette mesure mais se borne à solliciter le versement d'une indemnité en réparation de l'illégalité dont elle est entachée, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte notamment de la nature et de la gravité des illégalités affectant la mesure d'éviction, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure ainsi que, le cas échéant, des fautes qu'il a commises.

24. Il résulte de l'instruction qu'à la date de son licenciement, survenu alors qu'elle était âgée de 51 ans, Mme B... justifiait d'une ancienneté de 29 ans dans les effectifs de la commune de Toulouse. Elle percevait avant son licenciement un salaire net de 2 730 euros par mois. Au regard de l'ancienneté de Mme B... sur son poste, du revenu que celui-ci lui procurait, des rémunérations auxquelles elle aurait pu prétendre si elle était restée en fonctions, de son âge et des illégalités, tant externes qu'internes, qui entachent le licenciement, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des préjudices de Mme B..., qui n'a commis aucune faute susceptible de diminuer le montant de sa réparation, en les évaluant à la somme globale de 40 000 euros.

25. Mme B... sollicite par ailleurs le versement de diverses indemnités en application de dispositions réglementaires.

26. Il résulte de l'instruction que conformément aux articles 43 à 49 du décret du 15 février 1988, Mme B... a perçu en février 2013 une indemnité de licenciement d'un montant de 36 170 euros. Ainsi que le reconnait d'ailleurs la commune, l'indemnité à laquelle Mme B... a droit, en application de l'article 46 du décret, est de 38 235 euros. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à obtenir une somme correspondant à la différence entre les deux montants mentionnés ci-dessus. La commune de Toulouse versera en conséquence à Mme B... la somme de 2 065 euros.

27. Aux termes de l'article 5 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " L'agent contractuel en activité a droit (...) à un congé annuel dont la durée et les conditions d'attribution sont identiques à celles du congé annuel des fonctionnaires titulaires (...) en cas de licenciement n'intervenant pas à titre de sanction disciplinaire, l'agent qui, du fait de l'autorité territoriale, en raison notamment de la définition du calendrier des congés annuels, n'a pu bénéficier de tout ou partie de ses congés annuels a droit à une indemnité compensatrice (...) ". Si Mme B... sollicite le versement de l'indemnité compensatrice prévue par les dispositions précitées, elle ne produit au dossier, ainsi que le fait valoir la commune, aucun élément permettant d'estimer qu'elle n'a pas été en mesure de bénéficier de ces congés du fait de l'autorité territoriale. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à demander le versement de l'indemnité en cause.

28. Mme B... demande enfin que lui soit allouée l'indemnité prévue par l'article L. 1235-2 du code du travail en cas de procédure de licenciement irrégulière. En l'absence de toute disposition prévoyant que cet article est applicable aux agents contractuels employés par des personnes morales de droit public, la requérante ne peut utilement l'invoquer.

29. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à demander la condamnation de la commune de Toulouse à lui verser la somme totale de 42 065 euros.

Sur les intérêts légaux et les intérêts capitalisés :

30. La somme de 42 065 euros portera intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2015, date non contestée de réception de la demande préalable.

31. La capitalisation des intérêts a été demandée le 23 janvier 2017, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, et conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

32. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de la commune de Toulouse la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées par la commune de Toulouse, partie perdante au principal, doivent être rejetées.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1700330 du tribunal administratif de Toulouse du 6 juin 2019 est annulé.

Article 2 : La commune de Toulouse versera à Mme B... la somme de 42 065 euros à titre de dommages et intérêts. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2015. Les intérêts échus à la date du 23 janvier 2017 puis, à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire

eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... et des conclusions d'appel incident de la commune de Toulouse sont rejetés.

Article 4 : La commune de Toulouse versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Toulouse présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune de Toulouse.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2022.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Brigitte Phémolant

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03136


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03136
Date de la décision : 31/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions.

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions - Radiation des cadres - Inaptitude physique.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP SARTORIO-LONQUEUE-SAGALOVITSCH et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-01-31;19bx03136 ?
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