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22/12/2021 | FRANCE | N°21BX01764

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 22 décembre 2021, 21BX01764


Vu la procédure suivante

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 mars 2021 par lequel la préfète de la Gironde a demandé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2101326 du 31 mars 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2021, M. F..., représenté par Me Poissonnet

, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 mars 2021 de la magistrate désignée par le...

Vu la procédure suivante

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 3 mars 2021 par lequel la préfète de la Gironde a demandé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2101326 du 31 mars 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2021, M. F..., représenté par Me Poissonnet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 mars 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Gironde du 3 mars 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui remettre une attestation et un formulaire de demande d'asile, ou, à défaut, de réexaminer sa situation, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté méconnait de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que sa notification est irrégulière ;

- il méconnait les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la préfète ne justifie pas de la nécessité du recours à un interprète par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication ;

- l'arrêté a été pris au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'est pas établi que l'entretien individuel se soit déroulé avec l'assistance d'un interprète, que la préfète ne justifie pas de la nécessité de recourir à un interprète par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication ;

- il méconnait les dispositions de l'article 29 du règlement UE n° 603/2013 du 26 juin 2013 en ce qu'il n'est pas justifié qu'il ait reçu l'ensemble des informations concernant la procédure dans une langue qu'il comprend ;

- la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il justifie d'une vie privée et familiale stable en France.

Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête de M. F....

Elle soutient que M. F... ayant été déclaré en fuite, le délai de transfert a été prolongé pour une durée de 18 mois, soit jusqu'au 30 septembre 2022, et qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par décision du 20 mai 2021, M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... E...,

- et les observations de Me Poissonnet représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant algérien né le 22 juillet 1990, est entré en France le 31 décembre 2020, selon ses déclarations. Le 12 janvier 2021, il a présenté une demande d'asile enregistrée par les services de la préfecture de la Gironde. Le relevé de ses empreintes décadactylaires ayant révélé qu'il avait déposé une demande similaire en Espagne, les autorités espagnoles ont été saisies, le 1er février 2021, d'une demande de reprise en charge, sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " B... A... ". Ces autorités ont explicitement accepté cette demande le 5 février 2021 sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 de ce règlement. Par une décision du 3 mars 2021, la préfète de la Gironde a prononcé le transfert de M. F... aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. F... relève appel du jugement du 31 mars 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, selon l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ". L'article 5 de ce même règlement dispose : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. ".

3. L'entretien individuel prévu par ces dispositions n'a pour objet que de permettre de déterminer l'État membre responsable d'une demande d'asile et de veiller, dans l'hypothèse où les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 trouvent à s'appliquer, à ce que les informations prévues par cet article aient été comprises par l'intéressé. Par ailleurs, les dispositions de l'article 5 du même règlement et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'imposent aucunement la présence physique d'un interprète pour assister l'étranger lors de l'entretien individuel mais prévoient, au contraire, qu'une telle assistance peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication en cas de nécessité.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. F... a bénéficié, le 12 janvier 2021, d'un entretien individuel au sein des services de la préfecture de la Gironde, mené par un fonctionnaire du guichet unique et du bureau de l'asile, avec l'assistance téléphonique d'un interprète de la société ISM interprétariat, agréée par le ministère de l'intérieur et basée à Paris, dans la langue qu'il avait déclaré comprendre, en l'occurrence l'arabe, au terme duquel l'intéressé a confirmé avoir compris tous les termes de cet entretien et a apposé sa signature sur le compte-rendu de l'entretien individuel. D'une part, l'appelant n'apporte aucun commencement de preuve de nature à établir que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions permettant d'en garantir la qualité et la confidentialité. D'autre part, M. F... n'est pas fondé à se prévaloir de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone sans que le préfet n'en ait justifié la nécessité, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privé de la garantie liée au bénéfice d'un interprète assermenté. Par ailleurs, les conditions de notification de l'arrêté litigieux sont sans incidence sur sa légalité. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté dans toutes ces branches.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées (...) ".

6. A la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, aujourd'hui reprises à l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il suit de là que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'État français ordonne le transfert d'un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. M. F... ne peut dès lors pas utilement soutenir qu'il n'est pas établi que la brochure Eurodac lui a été communiquée. Au demeurant, il ressort des pièces dossier que l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 a bien été respectée en l'espèce, le guide du demandeur d'asile, ainsi que les brochures d'information A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", ayant été remises à M. F... en langue arabe, qu'il a déclaré comprendre, le 12 janvier 2021, à l'occasion du dépôt de sa demande d'asile à la préfecture de la Gironde.

7. En troisième lieu, si M. F... fait valoir qu'il justifie d'une vie privée et familiale stable dès lors que certains de ses cousins et amis résident en France, et produit à l'appui de ses dires des attestations de ces derniers, au demeurant très peu circonstanciées et toutes postérieures à l'arrêté en litige. Toutefois, à les supposer même établies, ces circonstances ne peuvent justifier à elles seules de la nécessité d'un examen dérogatoire de sa demande par les autorités françaises. Par ailleurs, M. F... soutient qu'il se trouve dans une situation très conflictuelle avec les membres de sa famille restés en Algérie depuis le décès de son père. Toutefois, la décision attaquée portant remise aux autorités espagnoles n'a ni pour objet ni pour effet de renvoyer l'intéressé dans son pays d'origine. Au demeurant, le requérant n'établit ni la réalité ni l'actualité des risques qu'il allègue encourir en cas de retour dans son pays d'origine consécutivement à son transfert aux autorités espagnoles. Par suite, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par l'appelant, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État au titre des frais non compris dans les dépens dès lors qu'il n'est pas dans la présente instance la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur. Copie sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

Mme Sylvie Cherrier, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2021.

La rapporteure,

Sylvie E...

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX01764


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01764
Date de la décision : 22/12/2021
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : POISSONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-22;21bx01764 ?
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