Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVTI) a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Pointe-à-Pitre à lui rembourser la somme de 68 600 euros, ainsi que les intérêts au taux légal, en remboursement des sommes qu'il a allouées aux membres de la famille B..., épouse A..., et de Catiuska A..., décédées dans l'incendie survenu le 21 décembre 2007 au bazar " Fortuna ", un commerce situé rue Sadi Carnot à Pointe-à-Pitre.
Le FGVTI a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Pointe-à-Pitre à lui rembourser la somme de 62 600 euros, ainsi que les intérêts au taux légal, en remboursement des sommes qu'il a allouées aux membres de la famille C..., décédé dans l'incendie survenu le 21 décembre 2007 à Pointe-à-Pitre.
Le FGVTI a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Pointe-à-Pitre à lui rembourser la somme de 8 800 euros, ainsi que les intérêts au taux légal, en remboursement des sommes qu'il a allouées au frère de René Joigny, décédé dans l'incendie survenu le 21 décembre 2007.
Par un jugement n° 1900351-1900352-1900353 du 14 avril 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a joint ces demandes et condamné la commune de Pointe-à-Pitre à verser au FGVTI la somme de 27 300 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2019.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020, la commune de Pointe-à-Pitre, représentée par Me Trillat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 14 avril 2020 ;
2°) de rejeter la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;
3°) à titre subsidiaire, de ne retenir sa responsabilité qu'à hauteur de 10 % ;
4°) de mettre à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Pointe-à-Pitre soutient que :
- la responsabilité de la commune n'est pas engagée, en l'absence de faute, dès lors, d'une part, qu'elle n'avait aucune obligation de visite périodique de l'établissement incendié, qui a été qualifié par les experts judiciaires d'établissement recevant du public de 2ème groupe, 5ème catégorie, type M, et d'autre part, qu'elle a mis en œuvre les mesures nécessaires et appropriées, aux fins de protéger ses administrés notamment concernant la vente des pétards et autres pièces d'artifice ;
- sa responsabilité n'intervient qu'en 4ème position eu égard à la gravité des fautes retenues.
Par ordonnance du 4 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,
- et les observations de Me Langomazino, représentant la commune de Pointe-à-Pitre.
Considérant ce qui suit :
1. Le 21 décembre 2007, un groupe de collégiens est entré au magasin dit le " Bazar Fortuna ", situé au 15-17, rue Carnot à Pointe-à-Pitre, dans le but d'y dérober des pétards et autres artifices dits " de divertissement " exposés à la vente sur un étal situé à l'entrée du magasin, à proximité de diverses marchandises inflammables, dont un présentoir de toiles cirées, des jouets, des bassines en plastique. L'un d'eux a jeté un artifice de type " pyrabombe 40 " sur cette table, provoquant un incendie qui a entraîné la mort de huit personnes.
2. Par un jugement du 29 octobre 2013, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a reconnu la responsabilité pénale du propriétaire de l'immeuble, de son locataire exploitant le magasin, ainsi que celle du maire de la commune de Pointe-à-Pitre pour défaut d'exercice de son pouvoir de police en matière d'établissement recevant du public et de vérification de l'exécution de ses arrêtés de police en matière d'artifices, et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis. Le maire n'a pas interjeté appel de ce jugement.
3. Par un jugement du 22 avril 2016, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a fixé le montant des indemnités dues aux membres de la famille B..., épouse A..., et de Catiuska A..., toutes deux décédées dans l'incendie, à 65 000 euros. Par jugements du 16 février et 16 mars 2018, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a fixé le montant des indemnités dues aux membres de la famille C... à la somme de 45 000 euros, et, par constat d'accord homologué par le président de la commission le 29 décembre 2017, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVTI) s'est engagé à verser à l'un d'eux la somme de 15 000 euros. Enfin, par un jugement du 22 avril 2016, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a fixé le montant des indemnités dues au frère de René Joigny à la somme de 8 000 euros.
4. En la qualité de subrogé dans les droits des victimes qu'il tient de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le FGVTI a adressé à la commune de Pointe-à-Pitre, par lettres du 15 janvier 2019, une demande préalable tendant au paiement des sommes ainsi versées aux victimes et des frais irrépétibles mis à sa charge lors de chacune des instances, puis a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe de demandes tendant aux mêmes fins. Par jugement du 14 avril 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la commune de Pointe-à-Pitre au paiement de la somme de 27 300 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2019. La commune de Pointe-à-Pitre relève appel de ce jugement.
5. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif.
6. Il résulte du jugement de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre du 29 octobre 2013, confirmé en ce qu'il a statué sur la culpabilité des prévenus par la cour d'appel de Basse Terre le 28 octobre 2014, que les pétards et autres artifices vendus au " bazar Fortuna " étaient disposés sur une grande table située à l'entrée du magasin, à proximité d'objets inflammables. Un groupe de collégiens a pénétré dans le magasin pour dérober des artifices, et l'un d'eux en a allumé un et l'a jeté sur la table, provoquant une explosion et un embrasement immédiat à l'entrée du magasin, empêchant les personnes présentes de sortir en l'absence d'autre issue, la servitude de passage grevant la propriété voisine, et servant d'issue de secours, ayant été fermée en 1979 pour permettre l'exploitation d'un commerce de vêtements par le fils du propriétaire de l'immeuble. Le " bazar Fortuna ", dont la surface de vente était d'environ 300 m², était ainsi dépourvu de sortie de secours et les pompiers ont dû percer une partie du mur donnant rue Schoelcher pour faire passer une lance à incendie. Huit personnes sont décédées dans le magasin.
7. Dans le même jugement du 29 octobre 2013, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a constaté qu'à la date des faits aucune liste des établissements recevant du public de la commune n'avait été dressée et que, depuis l'origine du commerce en 1969, aucune visite de la commission de sécurité n'avait été effectuée. Il relève que le maire de la commune de Pointe-à-Pitre " affirme clairement dans son audition le choix politique qu'il a fait de ne pas exercer sa police dans les ERP durant ses sept mandats ", au risque de devoir fermer tous les commerces de centre-ville. Le jugement relève également que le centre-ville de Pointe-à-Pitre est particulièrement exposé au risque d'incendie, en raison de l'étroitesse de ses rues commerçantes et de la présence de bâtiments anciens en bois de type créole, et que les élèves des nombreux établissements scolaires situés dans le centre-ville ont pour habitude, de la Toussaint à la Noël, de jouer avec des artifices de divertissement. Il ajoute que, malgré le signalement du 12 novembre 2007 des services de l'Éducation nationale et l'intervention d'une commerçante auprès de la police municipale, le maire n'a organisé à cette période de l'année aucun contrôle des points de vente d'artifices de divertissement dans ce secteur en vue d'assurer le respect des arrêtés édictés en 1961, en 1976 et en 1982 réglementant la vente et l'utilisation des pétards et autres pièces d'artifice sur le territoire de la commune.
8. Ces constatations de fait mentionnées dans le jugement correctionnel, qui sont le support nécessaire de la condamnation pénale prononcée à l'encontre du maire de la commune de Pointe-à-Pitre, sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. Il en ressort une carence du maire à prendre les mesures de police nécessaires pour assurer la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les immeubles recevant du public, nonobstant la circonstance, invoquée par la commune, que, du fait du classement de l'établissement en cause, il n'était pas soumis à une obligation de visite périodique de la commission de sécurité. La commune de Pointe-à-Pitre produit les arrêtés des 18 décembre 1961 et 28 décembre 1976, interdisant la vente et le tir de pétards sur le territoire de la commune, et du 27 octobre 1982, interdisant la vente de pétard et pièces d'artifices aux mineurs, le courrier du 12 septembre 2005, dans lequel elle sollicite l'accord de l'inspecteur d'académie pour intervenir dans les établissements scolaires dans le cadre d'une opération de sensibilisation sur les méfaits du jet de pétards, ainsi qu'un courrier à l'attention des commerçants de Pointe-à-Pitre du 7 novembre 2007, informant ces derniers du lancement d'une nouvelle campagne contre les nuisances sonores occasionnées par les pétards. Toutefois, il est constant qu'alors que la commune était consciente de la dangerosité des pétards, aucune opération n'a été déployée sur le terrain pour que les interdictions édictées en matière de vente de pétards soient respectées.
Ces fautes non détachables du service sont de nature à engager la responsabilité de la commune de Pointe-à-Pitre.
9. En second lieu, s'il est constant que les fautes de la commune ne sont pas seules à l'origine de l'incendie du 21 décembre 2007, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à la gravité des fautes de la commune, qu'il y aurait lieu, comme elle le soutient, de ramener sa part de responsabilité à 10 %.
10. Il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à indemniser le FGVTI. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Pointe-à-Pitre est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Pointe-à-Pitre et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Munoz-Pauziès, présidente assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par dépôt au greffe le 22 décembre 2021.
La rapporteure,
Frédérique Munoz-Pauziès Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°20BX01736