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22/12/2021 | FRANCE | N°20BX01735

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 22 décembre 2021, 20BX01735


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Pointe-à-Pitre à lui rembourser la somme de 82 582,48 euros qu'il a versée à M. B... A..., en réparation des préjudices ayant résulté de l'incendie survenu le 21 décembre 2007 au bazar " Fortuna ", ainsi que les intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1900354 du 14 avril 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une

expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de M. B... A....

Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Pointe-à-Pitre à lui rembourser la somme de 82 582,48 euros qu'il a versée à M. B... A..., en réparation des préjudices ayant résulté de l'incendie survenu le 21 décembre 2007 au bazar " Fortuna ", ainsi que les intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1900354 du 14 avril 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de M. B... A....

Procédure devant la cour :

I°) Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020 sous le n° 20BX01735, la commune de Pointe-à-Pitre, représentée par Me Trillat, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement n° 1900354 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 14 avril 2020 en tant qu'il a retenu sa responsabilité à hauteur de 30 % ;

2°) de rejeter la demande du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ;

3°) à titre subsidiaire, de ne retenir sa responsabilité qu'à hauteur de 10 % ;

4°) de mettre à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Pointe-à-Pitre soutient que :

- la demande indemnitaire portée par M. B... A... devant le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions était irrecevable en application de l'article 706-5 du code de procédure pénale ;

- la responsabilité de la commune n'est pas engagée, en l'absence de faute, dès lors, d'une part, qu'elle n'avait aucune obligation de visite périodique, l'établissement incendié ayant été qualifié par les experts judiciaires d'établissement recevant du public de 2ème groupe, 5ème catégorie, type M, et, d'autre part, qu'elle a mis en œuvre les mesures nécessaires et appropriées aux fins de protéger ses administrés, notamment concernant la vente des pétards et autres pièces d'artifice ;

- sa responsabilité n'intervient qu'en 4ème position eu égard à la gravité des fautes retenues.

Par ordonnance du 2 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 septembre 2021.

II°) Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2020 sous le n° 20BX02315, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par Me Cassel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1900354 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 14 avril 2020 en tant qu'il prescrit une expertise ;

2°) de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de la Guadeloupe ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Pointe-à-Pitre la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions soutient que l'expertise ne présente aucune utilité.

Par un mémoire, enregistré le 12 novembre 2021, le FGVTI déclare se désister de sa requête.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré d'irrégularité du jugement, les premiers juges ayant omis d'appeler en cause la CPAM et méconnu ainsi les dispositions de l'alinéa 8 de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par ordonnance du 2 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,

- et les observations de Me Langomazino, représentant la commune de Pointe-à-Pitre.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 décembre 2007, un groupe de collégiens est entré au magasin dit le " Bazar Fortuna " situé au 15-17, rue Carnot à Pointe-à-Pitre, dans le but d'y dérober des pétards et autres artifices dits " de divertissement " exposés à la vente sur un étal situé à l'entrée du magasin, à proximité de diverses marchandises inflammables, dont un présentoir de toiles cirées, des jouets et des bassines en plastique. L'un d'eux a jeté un artifice de type " pyrabombe 40 " sur cette table, provoquant un incendie qui a entraîné la mort de huit personnes et a grièvement blessé M. B... A..., habitant au deuxième étage de l'immeuble et qui s'est défenestré pour échapper aux flammes.

2. Par un jugement du 29 octobre 2013, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a reconnu la responsabilité pénale du propriétaire de l'immeuble, de son locataire exploitant le magasin, ainsi que du maire d'alors de la commune de Pointe-à-Pitre pour défaut d'exercice de son pouvoir de police en matière d'établissement recevant du public et de vérification de l'exécution de ses arrêtés de police en matière d'artifices, et a condamné ce dernier à deux ans d'emprisonnement avec sursis. L'intéressé n'a pas interjeté appel de ce jugement.

3. Par un jugement du 17 novembre 2017 et une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 1er février 2018, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a fixé le montant des indemnités dues à M. B... A... à la somme totale de 82 582,48 euros. Le 19 décembre 2017, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGVTI) a versé cette somme à la victime.

4. En la qualité de subrogé dans les droits de la victime qu'il tient de l'article 706-11 du code de procédure pénale, le FGVTI a adressé à la commune de Pointe-à-Pitre, par lettre du 15 janvier 2019, notifiée le 31 janvier suivant, une demande préalable tendant au paiement de la somme de 82 582,48 euros, puis a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant aux mêmes fins. Par jugement du 14 avril 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de M. B... A.... La commune de Pointe-à-Pitre et le FGVTI relèvent appel de ce jugement.

5. Les requêtes n° 20BX01735 et n° 20BX02315 sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même jugement.

Sur le désistement :

6. Par un mémoire, enregistré le 12 novembre 2021, le FGVTI déclare se désister de sa requête n° 20BX02315. Ce désistement est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur la subrogation du FGVTI :

7. Il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la régularité du jugement du 17 novembre 2017, lequel au demeurant n'a pas été frappé d'appel et est devenu définitif, par lequel la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a fixé le montant des indemnités dues à M. B... A... à la somme totale de 82 582,48 euros. Par suite, le moyen tiré, par la commune, de ce que la demande indemnitaire portée par M. B... A... devant la commission était irrecevable, en application des dispositions de l'article 706-5 du code de procédure pénale, et de ce que le FGTVI ne peut être regardé comme subrogé dans les droits de la victime doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur la faute de la commune de Pointe-à-Pitre :

8. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif.

9. Il résulte du jugement de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre du 29 octobre 2013, confirmé en ce qu'il a statué sur la culpabilité des prévenus par la cour d'appel de Basse-Terre le 28 octobre 2014, que les pétards et autres artifices vendus au " bazar Fortuna " étaient disposés sur une grande table située à l'entrée du magasin, à proximité d'objets inflammables. Un groupe de collégiens a pénétré dans le magasin pour dérober des artifices, et l'un d'eux en a allumé un et l'a jeté sur la table, provoquant une explosion et un embrasement immédiat à l'entrée du magasin, empêchant les personnes présentes de sortir en l'absence d'autre issue, la servitude de passage grevant la propriété voisine, et servant d'issue de secours, ayant été fermée en 1979 pour permettre l'exploitation d'un commerce de vêtements par le fils du propriétaire de l'immeuble. Le " bazar Fortuna ", dont la surface de vente était d'environ 300 m², était ainsi dépourvu de sortie de secours et les pompiers ont dû percer une partie du mur donnant rue Schoelcher pour faire passer une lance à incendie. Huit personnes sont décédées dans le magasin.

10. Dans le même jugement du 29 octobre 2013, la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a constaté qu'à la date des faits aucune liste des établissements recevant du public de la commune n'avait été dressée et que, depuis l'origine du commerce en 1969, aucune visite de la commission de sécurité n'avait été effectuée. Il relève que le maire de la commune de Pointe-à-Pitre " affirme clairement dans son audition le choix politique qu'il a fait de ne pas exercer sa police dans les ERP durant ses sept mandats ", au risque de devoir fermer tous les commerces de centre-ville. Le jugement relève également que le centre-ville de Pointe-à-Pitre est particulièrement exposé au risque d'incendie, en raison de l'étroitesse de ses rues commerçantes et de la présence de bâtiments anciens en bois de type créole, et que les élèves des nombreux établissements scolaires situés dans le centre-ville ont pour habitude, de la Toussaint à la Noël, de jouer avec des artifices de divertissement. Il ajoute que, malgré le signalement du 12 novembre 2007 des services de l'Éducation nationale et l'intervention d'une commerçante auprès de la police municipale, le maire n'a organisé à cette période de l'année aucun contrôle des points de vente d'artifices de divertissement dans ce secteur en vue d'assurer le respect des arrêtés édictés en 1961, en 1976 et en 1982 réglementant la vente et l'utilisation des pétards et autres pièces d'artifice sur le territoire de la commune.

11. Ces constatations de fait mentionnées dans le jugement correctionnel, qui sont le support nécessaire de la condamnation pénale prononcée à l'encontre du maire de la commune de Pointe-à-Pitre, sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. Il en ressort une carence du maire à prendre les mesures de police nécessaires pour assurer la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les immeubles recevant du public, nonobstant la circonstance, invoquée par la commune, que, du fait du classement de l'établissement en cause, il n'était pas soumis à une obligation de visite périodique de la commission de sécurité. La commune de Pointe-à-Pitre produit les arrêtés des 18 décembre 1961 et 28 décembre 1976, interdisant la vente et le tir de pétards sur le territoire de la commune, et du 27 octobre 1982, interdisant la vente de pétard et pièces d'artifices aux mineurs, le courrier du 12 septembre 2005, dans lequel elle sollicite l'accord de l'inspecteur d'académie pour intervenir dans les établissements scolaires dans le cadre d'une opération de sensibilisation sur les méfaits du jet de pétards, ainsi qu'un courrier à l'attention des commerçants de Pointe-à-Pitre du 7 novembre 2007, informant ces derniers du lancement d'une nouvelle campagne contre les nuisances sonores occasionnées par les pétards. Toutefois, il est constant qu'alors que la commune était consciente de la dangerosité des pétards, aucune opération n'a été déployée sur le terrain pour que les interdictions édictées en matière de vente de pétards soient respectées. Ces fautes non détachables du service sont de nature à engager la responsabilité de la commune de Pointe-à-Pitre.

12. En second lieu, s'il est constant que les fautes de la commune ne sont pas seules à l'origine de l'incendie du 21 décembre 2007, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard à la gravité des fautes de la commune, que les premiers juges se seraient mépris en évaluant sa part de responsabilité à 30 % et qu'il y aurait lieu, comme elle le soutient, de la ramener à 10 %.

13. Il résulte de ce qui précède que la commune de Pointe-à-Pitre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a retenu sa responsabilité, à hauteur de 30 %, dans les préjudices subis par M. A.... Le FGVTI n'étant pas partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'oppose à ce que la cour le condamne à verser à la commune de Pointe-à-Pitre une somme au titre des frais d'instance

DÉCIDE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête n° 20BX02315 du FGVTI.

Article 2 : La requête n° 20BX01735 de la commune de Pointe-à-Pitre est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Pointe-à-Pitre et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par dépôt au greffe le 22 décembre 2021.

La rapporteure,

Frédérique Munoz-Pauziès Le président

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01735 20BX02315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 20BX01735
Date de la décision : 22/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-03 Responsabilité de la puissance publique. - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale. - Subrogation.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Frédérique MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET TRILLAT et ASSOCIES;CABINET CASSEL;CABINET TRILLAT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-22;20bx01735 ?
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