La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2021 | FRANCE | N°20BX00470

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 16 décembre 2021, 20BX00470


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Concepts Travaux Publics (CTP) a demandé au tribunal de Poitiers d'annuler l'avis des sommes à payer émis le 6 décembre 2017 par le département de la Vienne, d'un montant de 119 000 euros, correspondant aux pénalités de retard au titre de l'exécution d'un marché public de travaux portant sur la fourniture et la livraison d'un outil finisseur rapide neuf sur camion benne existant et de moduler à de plus justes proportions le montant de ces pénalités.

Par un

jugement n°1800287 du 11 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rej...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Concepts Travaux Publics (CTP) a demandé au tribunal de Poitiers d'annuler l'avis des sommes à payer émis le 6 décembre 2017 par le département de la Vienne, d'un montant de 119 000 euros, correspondant aux pénalités de retard au titre de l'exécution d'un marché public de travaux portant sur la fourniture et la livraison d'un outil finisseur rapide neuf sur camion benne existant et de moduler à de plus justes proportions le montant de ces pénalités.

Par un jugement n°1800287 du 11 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 29 octobre 2020, la société CTP, représentée par Me Bocognano, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 décembre 2019 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) d'annuler l'avis des sommes à payer émis le 6 décembre 2017 par le département de la Vienne sollicitant le paiement d'une somme de 119 000 euros ;

3°) de prononcer la décharge des pénalités pour un montant de 56 750 euros, subsidiairement pour un montant de 48 000 euros correspondant à un retard de 39 jours, infiniment subsidiairement pour un montant de 28 000 euros ;

4°) de mettre à la charge du département de la Vienne une somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'avis des sommes à payer, dont l'administration n'apporte pas la preuve que l'original ait été réellement signé, méconnaît les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- si le département de la Vienne produit la délégation de signature octroyée à M. B..., elle ne produit ni la preuve de la transmission de cet acte à la préfecture ni celle de l'affichage de cette décision, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales ;

- le titre exécutoire contesté n'indique pas les bases de la liquidation en méconnaissance des articles 81 et 82 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

- les pénalités ont été calculées sur la base d'un décompte de jours de retard inexact ;

- les premiers juges ont procédé à une appréciation erronée en jugeant que la modulation des pénalités ne pouvait être exigée au regard du préjudice subi par le département de la Vienne et des délais déjà accordés au titulaire ; les premiers juges ont écarté, sans justification, les éléments de comparaison apportés pour justifier du caractère exorbitant du montant des pénalités de retard.

Par deux mémoires, enregistrés les 17 mars et 4 novembre 2020, le département de la Vienne, représenté par Me Capiaux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société CTP le paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens développés par la société CTP ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nathalie Gay;

- les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Bocognano, pour la société CTP.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 1er décembre 2016, le département de la Vienne a confié à la société Concepts Travaux Publics (CTP) un marché public ayant pour objet la fourniture et le montage d'un outil finisseur d'intervention rapide neuf sur camion benne 6X4 de 26 tonnes dans le but de réaliser une campagne de reprofilage de son réseau routier. La société CTP relève appel du jugement du 11 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation du titre exécutoire émis le 6 décembre 2017 par le département de la Vienne pour un montant de 119 000 euros correspondant aux pénalités de retard au titre de l'exécution de ce marché et de modulation du montant de ces pénalités.

Sur les conclusions à fin d'annulation du titre exécutoire :

En ce qui concerne la régularité du titre exécutoire :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " En application de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation ". Aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, alors applicable, codifié depuis lors au premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 3131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités départementales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département (...) ".

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales citées au point 2 que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif doivent mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision, au sens des dispositions citées au point précédent de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, de même, par voie de conséquence, que l'ampliation adressée au redevable, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de cet auteur. La seule circonstance que l'ampliation de la décision contestée ne comporte pas les mentions prescrites par les dispositions précitées est sans incidence sur la régularité de cette décision.

5. Il résulte de l'instruction que le bordereau de titre de recettes n° 863 relatif au titre n° 8981 faisant apparaître les nom, prénom et qualité de son auteur, a été signé le 6 décembre 2017 à 9h41 par M. A... B..., directeur des finances du département, de façon électronique, par un procédé certifié conformément aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, codifié depuis lors à l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration. Il résulte par ailleurs de l'article 3 de l'arrêté du 4 avril 2018 que le président du conseil départemental de la Vienne a donné délégation à M. A... B... à l'effet de signer, notamment, les bordereaux de titres de recettes. Il ressort des mentions portées sur cet arrêté qu'il a été transmis aux services de la préfecture le 5 avril 2018 et il résulte de l'instruction qu'il a fait l'objet d'un affichage règlementaire du 6 avril au 6 août 2018 et qu'il a été publié au recueil des actes administratifs n° 476 d'avril 2018. Par suite, la société CTP n'est fondée à soutenir ni que le titre exécutoire contesté méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ni qu'il serait entaché d'incompétence.

6. Par ailleurs, aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...) ". Ainsi, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

7. D'une part, le titre exécutoire contesté porte la mention " marché M16022 pénalités de retard 06/12/2017 " qui permettait à la société de comprendre qu'il correspondait aux pénalités de retard au titre de l'exécution du marché M16022. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société CTP avait été préalablement rendue destinataire d'un document intitulé " Marché M16022 - état liquidatif ", auquel le titre exécutoire faisait implicitement mais nécessairement référence, qui lui permettait de comprendre les modalités de calcul de la somme de 119 000 euros. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été régulièrement informée des bases et éléments de calcul de la dette dont il lui était demandé règlement. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :

S'agissant du décompte des jours de retard :

8. D'une part, aux termes de l'article 11.1 du cahier des clauses particulières : " Pénalités de retard / Lorsque le délai contractuel d'exécution ou de livraison est dépassé, par le fait du titulaire, celui-ci encourt, par jour de retard et sans mise en demeure préalable des pénalités fixées à 1 000 euros pendant 7 jours puis 2 000 euros au-delà (...) ".

9. D'autre part, aux termes de l'article 4 du cahier des clauses particulières : " conditions d'exécution des prestations / les prestations doivent être conformes aux stipulations du marché (...) la livraison des fournitures s'effectuera dans les conditions de l'article 20 du CCAG-FCS ". Aux termes de l'article 20.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services : " La livraison des fournitures est constatée par la délivrance d'un récépissé au titulaire ou par la signature du bon de livraison (...) ". Aux termes de l'article 5 du cahier des clauses particulières : " les vérifications quantitatives et qualitatives approfondies sont effectuées par Responsable du Pôle Méthodes, Matériels et Travaux dans un délai de 15 jours à compter de la date de livraison, conformément aux articles 22 et 23.2 du CCAG-FCS (...) A l'issue des opérations de vérification, le pouvoir adjudicateur prendra sa décision dans les conditions prévues aux articles 24 et 25 du CCAG-FCS ".

10. Il résulte de l'instruction que le délai d'exécution, qui court à compter de la date de notification du marché, soit le 5 décembre 2016, proposé par le candidat était de six semaines. La date limite d'exécution de l'ensemble des prestations a été reportée au 10 mars 2017 inclus par une décision du département de la Vienne du 8 février 2017. Si la société CTP se prévaut d'un bon de livraison du 13 avril 2017, ce dernier est dépourvu de signature. En outre, s'il résulte de l'instruction que la société CTP a procédé à une première livraison de l'outil finisseur d'intervention rapide (FIR), objet du marché, le 18 avril 2017, il est constant que ce dernier présentait de nombreuses anomalies et qu'en accord avec le département, elle a récupéré le FIR le 2 mai 2017 pour procéder aux réparations dans ses locaux. De plus, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de réception, que la livraison a eu lieu le 12 mai 2017. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Poitiers a retenu un délai de retard de 63 jours pour calculer les pénalités dues par la société CTP.

S'agissant de la demande de modulation des pénalités :

11. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.

12. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

14. Ainsi qu'il a été indiqué au point 10, le retard de la société CTP dans la livraison du finisseur d'intervention rapide a été de 63 jours. Ce retard conséquent, eu égard à la durée initiale du marché de six semaines proposée par la société CTP, a eu une incidence réelle sur le fonctionnement du service du département, qui avait programmé sa campagne de reprofilage du réseau routier à compter du 13 mars 2017. Ce retard l'a ainsi contraint à louer un matériel équivalent pour pallier la carence de la société CTP et à limiter ses possibilités de production. Au regard de l'ampleur du retard et des conséquences sur le fonctionnement du service, en se bornant à soutenir que les pénalités qui ont été infligées, d'un montant de 119 000 euros pour un marché de 249 000 euros TTC, sont excessives, la société appelante ne peut être regardée comme établissant cette excessivité. Par suite, les conclusions de la société CTP tendant à la modulation des pénalités de retard doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Vienne, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre de ces dispositions. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société CTP une somme de 1 500 euros en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société CTP est rejetée.

Article 2 : La société CTP versera au département de la Vienne une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Concepts Travaux publics et au département de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2021.

La rapporteure,

Nathalie GayLe président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°20BX00470


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 20BX00470
Date de la décision : 16/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-03 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Rémunération du co-contractant. - Pénalités de retard.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SELARL BLANC TARDIVEL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-16;20bx00470 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award