Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Altrad Richard B..., société par actions simplifiée, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 mai 2017 par lequel le préfet de la Gironde lui a imposé la réalisation d'études et de travaux de dépollution sur le site situé au lieudit " Virecourt " à La Rivière.
Par un jugement n° 1702877 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2019 et un mémoire enregistré le 20 janvier 2021, la société Altrad Richard B..., représentée par Me Coussy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 octobre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 mai 2017 du préfet de la Gironde ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les pollutions présentes sur le site sont pleinement imputables aux activités de la société Richard Fils A..., lesquelles ont cessé en 1996 ;
- elle a acquis en 2005 certains actifs de la société Richard Fils A... et repris une partie de l'exploitation de l'usine de fabrication de brouettes métalliques correspondant aux activités déclarées par récépissé du 28 mai 1996 ;
- les activités utilisant de la peinture liquide et le dégraissage au trichloroéthylène ont été remplacées par une chaîne de travail n'utilisant plus de solvants chlorés et de peintures liquides ;
- elle n'est pas juridiquement l'exploitant en charge de la dépollution du site ;
- elle a réalisé les travaux de remise en état du site après la cessation de son activité en novembre 2014 ainsi que cela est rappelé dans le procès-verbal de récolement du 27 juillet 2016, lequel précise que la pollution résiduelle dans les sols et les eaux souterraines sur le site n'est pas imputable à la société Altrad au regard des éléments fournis par APAVE ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en ne l'exonérant pas des obligations de remise en état du site alors qu'il a reconnu très clairement que les substances polluantes en cause ne se rattachaient pas à l'activité de la société Altrad Richard B... ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté la responsabilité du mandataire liquidateur judiciaire, du propriétaire et de l'exploitant ayant réalisé les démarches de cessation d'activités en 1996 ;
- l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'imputabilité de la pollution au regard des mentions de la note du 8 juillet 2016 du bureau d'études APAVE ; les activités de la société Altrad Richard B... sont très différentes de celles de la SA Richard notamment dans la technique de mise en peinture utilisée ; elle n'a pas exercé les activités génératrices de la pollution présente sur le site ;
- l'administration a méconnu la circulaire du 6 mai 2011 en n'invitant pas le mandataire liquidateur à mettre en œuvre les actions de mise en sécurité du site et d'évacuation des produits dangereux qui lui incombaient en application du code de commerce ;
- c'est la société Richard B... SA, représentée par son mandataire liquidateur qui est juridiquement débitrice de l'obligation de dépollution conformément aux prescriptions de l'inspecteur des installations classées et de l'article L. 514-1 du code de l'environnement ; la liquidation de cette société n'étant pas close, son mandataire liquidateur est en mesure d'assurer les travaux de dépollution ; les premiers juges ont éludé la responsabilité environnementale du liquidateur sans motivation juridique ;
- il ne lui appartient pas de supporter le coût de nouvelles investigations qui seraient frustratoires et pourraient être contestées par les précédents exploitants faute de caractère contradictoire alors en outre qu'elle n'a pas repris le passif environnemental mais seulement les actifs sans transfert de la propriété des installations et des terrains et qu'aucune déclaration de reprise d'activité n'avait été demandée ou déposée ;
- l'obligation de mise en sécurité incombe également au propriétaire, en sa qualité de gardien de la chose prévue à l'article 1384 du code civil ; il ne ressort pas de l'arrêté attaqué que l'accord du propriétaire aurait été recueilli pour la mise en sécurité du site ; en application de la circulaire du 6 mai 2011 relative à la cessation d'activité d'une installation classée, il appartenait à l'administration de rechercher la co-responsabilité de chacun des acteurs, a fortiori lorsque la qualité de l'exploitant n'est pas clairement établie ;
- en ne tenant pas compte du procès-verbal de récolement, en ignorant la cessation d'activité intervenue en 1996 à laquelle les polluants orphelins sont associés et en méconnaissant les instructions à valeur réglementaire de la circulaire impérative du 6 mai 2011 quant à la détermination de la chaîne de responsabilité, les premiers juges ont commis une erreur de droit ;
- elle reprend les autres moyens de légalité externe et interne exposés en première instance ;
- il appartient à la cour d'apprécier l'opportunité d'attraire à la cause le mandataire judiciaire et commissaire au plan de la société Richard B... ainsi que M. C... B... en sa qualité de propriétaire du terrain.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'elle s'en rapporte aux écritures de première instance et ajoute que :
- la circonstance, établie par l'inspecteur des installations classées dans son rapport du 27 juillet 2016, que la société requérante, après avoir repris l'activité, n'a pas recouru aux produits à l'origine de la pollution des sols et du sous-sol, est sans incidence sur sa qualité de débitrice de l'obligation de remise en état ;
- les formalités accomplies en 1996 ne constituent pas une déclaration de cessation d'activité impliquant la mise en œuvre par le préfet des pouvoirs qu'il tenait de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 pour ordonner la remise en état du site mais une déclaration de changement notable des éléments du dossier de déclaration initial donnant lieu à un classement différent des installations ;
- eu égard à son objet et à sa portée, la cession opérée qui portait sur la totalité des éléments corporels et incorporels et des stocks, a eu pour effet non seulement de faire de la société requérante l'ayant droit de la SA Richard, dernière exploitante des installations à l'origine de la pollution, mais, en outre, de l'y substituer en qualité d'exploitante, et ce, quand bien même elle n'a pas fait au préfet la déclaration prévue par l'article R. 512-68 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable ;
- les pouvoirs de police du préfet pouvant être exercés à toute époque, le rapport de l'inspecteur des installations classées du 27 juillet 2016 ne peut avoir eu pour effet de clore le dossier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne,
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,
- et les observations de Me Dumet, représentant la société Altrad Richard B....
Considérant ce qui suit :
1. La société Richard SA qui exploitait depuis 1960 une activité de fabrication de brouettes métalliques au lieudit " Virecourt " à La Rivière, a informé, le 6 mai 1996, le préfet de la Gironde de la cessation définitive de ses activités déclarées sous les rubriques 251, 261, 405 et 406 pour y substituer d'autres procédés, et a demandé la régularisation de ses activités sous les rubriques 2565-3 et 361 B2 de la nomenclature des installations classées alors applicable. Le 28 mai 1996, le préfet de la Gironde lui a délivré le récépissé de déclaration pour l'exploitation de ces activités. Par un jugement du 24 janvier 2005, le tribunal de commerce de Libourne a autorisé la cession de la SA Richard et de la SARL Richard B... à la société Altrad incluant la totalité des éléments corporels et incorporels des deux entreprises et leurs stocks, et le transfert des responsabilités assurées jusque-là par la SA Richard. Ladite cession a été actée par un contrat conclu le 17 juin 2005 entre le mandataire liquidateur des sociétés Richard et Richard B... et la société Altrad Richard B.... Le 18 novembre 2014, la SAS Altrad Richard B... a déclaré au préfet qu'elle cessait la totalité des activités sur le site de La Rivière. A la suite du constat par procès-verbal de récolement de l'inspection des installations classées en date du 27 juillet 2016 d'une pollution résiduelle des sols et eaux souterraines principalement par des hydrocarbures totaux et des composés aromatiques volatils mono-aromatiques et après l'avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires du 9 mars 2017, le préfet de la Gironde a, par arrêté du 10 mai 2017, imposé à la société Altrad Richard B... de réhabiliter le site de Virecourt dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et qu'il permette un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation. La société Altrad Richard B... relève appel du jugement du 10 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 10 mai 2017 :
2. Aux termes de l'article L. 512-12 du code de l'environnement : " Si les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 ne sont pas garantis par l'exécution des prescriptions générales contre les inconvénients inhérents à l'exploitation d'une installation soumise à déclaration, le préfet, éventuellement à la demande des tiers intéressés et après avis de la commission départementale consultative compétente, peut imposer par arrêté toutes prescriptions spéciales nécessaires ". Aux termes de l'article R. 512-66-1 du même code dans sa rédaction alors applicable : " I. - Lorsqu'une installation classée soumise à déclaration est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt un mois au moins avant celui-ci. Il est donné récépissé sans frais de cette notification. / II. - La notification prévue au I indique les mesures prises ou prévues pour assurer, dès l'arrêt de l'exploitation, la mise en sécurité du site. Ces mesures comportent, notamment : / 1° L'évacuation ou l'élimination des produits dangereux et la gestion des déchets présents sur le site ; / 2° Des interdictions ou limitations d'accès au site ; / 3° La suppression des risques d'incendie et d'explosion ; / 4° La surveillance des effets de l'installation sur son environnement. / III. - En outre, l'exploitant doit placer le site de l'installation dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation. Il en informe par écrit le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation ainsi que le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme ". Aux termes de l'article R. 512-66-2 du même code : " I. - A tout moment, même après la remise en état du site, le préfet peut imposer à l'exploitant, par arrêté pris dans les formes prévues à l'article L. 512-12, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / En cas de modification ultérieure de l'usage du site, l'exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s'il est lui-même à l'initiative de ce changement d'usage. (...) ".
3. L'obligation de remise en état du site prévue par les dispositions précitées du code de l'environnement pèse sur l'ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, sur son ayant-droit. Lorsque l'exploitant ou son ayant-droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant. Il incombe ainsi à l'exploitant d'une installation classée, à son ayant-droit ou à celui qui s'est substitué à lui, de mettre en œuvre les mesures permettant la remise en état du site qui a été le siège de l'exploitation dans l'intérêt, notamment, de la santé ou de la sécurité publique et de la protection de l'environnement. L'autorité administrative peut contraindre les personnes en cause à prendre ces mesures et, en cas de défaillance de celles-ci, y faire procéder d'office et à leurs frais. Toutefois, aucune de ces dispositions n'a pour objet ou pour effet d'imposer à l'exploitant, dans le cadre de la remise en état du site de remédier à des dommages ou des nuisances dépourvues de tout lien avec l'exploitation.
4. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal de récolement de l'inspection des installations classées en date du 27 juillet 2016 et des notes techniques du bureau d'études APAVE des 8 juillet 2016 et 26 mai 2018 que les composés aromatiques volatiles-benzènes, toluène, ethylbenzène, xylène et les composés organo-halogénés volatils à l'origine de la pollution des sols et des eaux souterraines du site trouvent leur origine dans les activités qui étaient exercées par la société Richard SA sous les rubriques 251 et 261 (atelier de dégraissage utilisant des produits halogénés ou des liquides inflammables de 2ème catégorie), 405 (application à froid de peintures à base de liquides inflammables) et 406 (séchage et cuisson de peinture à base de solvants) et qui ont cessé définitivement en mai 1996. S'agissant en particulier des eaux souterraines, il est indiqué que les contaminations mesurées trouvent prioritairement leur origine dans les anciennes zones de stockage de solvants chlorés, peintures liquides et autres produits dangereux liquides, non exploitées par la société Altrad Richard B.... Il résulte de ces mêmes documents que les nouvelles activités déclarées en mai 1996 sous les rubriques 2665-3 (revêtement métallique ou traitement de surfaces quelconques par voie électrolytique ou chimique - traitement en phase gazeuse ou autres traitements) et 361-B2 (installations de réfrigération ou compression) ne mettent pas en œuvre les paramètres traceurs des polluants en cause et que par suite, les contaminations retrouvées dans les sols et eaux souterraines au droit du site sont imputables aux seules activités exercées par la société Richard SA jusqu'en mai 1996, ce que reconnait d'ailleurs l'administration. Ainsi, la société requérante ne peut être regardée comme ayant poursuivi l'exploitation de l'installation à l'origine des pollutions. Si l'acte de cession du 17 juin 2005 par lequel la société Altrad a acquis le fonds de commerce, le stock de la SA Richard et le bail commercial, a eu pour effet de la substituer à la SA Richard en qualité d'exploitant du site de Virecourt, ce n'est que dans le strict périmètre des activités relevant des rubriques de la nomenclature telles que déclarées à cette date et il ne ressort pas des pièces du dossier que cette cession aurait eu pour objet le transfert de la responsabilité et des obligations de remise en état liées aux activités polluantes qui avaient cessé définitivement en mai 1996. Dans ces conditions, la société Altrad Richard B... ne pouvait faire l'objet des prescriptions mentionnées par l'arrêté préfectoral du 10 mai 2017, qui se trouve, dès lors, entaché d'illégalité.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Altrad Richard B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 mai 2017.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Altrad Richard B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 10 octobre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 10 mai 2017 du préfet de la Gironde est annulé.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Altrad Richard B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Altrad Richard B... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2021.
La rapporteure,
Birsen Sarac-DeleigneLa présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04870