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31/08/2021 | FRANCE | N°19BX04883

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 31 août 2021, 19BX04883


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une ordonnance du 8 janvier 2017 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 15 décembre 2015 et présentée par la SASU Vortex a été attribué au tribunal administratif de Poitiers, sur le fondement des dispositions conjuguées des articles R.351-3 et R.312-10 du code de justice administrative.



La société Vortex a demandé au tribunal administr

atif de Poitiers d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 par laquelle la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une ordonnance du 8 janvier 2017 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 15 décembre 2015 et présentée par la SASU Vortex a été attribué au tribunal administratif de Poitiers, sur le fondement des dispositions conjuguées des articles R.351-3 et R.312-10 du code de justice administrative.

La société Vortex a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 par laquelle la demande d'autoriser le licenciement de M. A... B... a été rejetée, confirmée par la décision implicite de rejet de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social saisie d'un recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1702187 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de la société Vortex.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en production de pièces enregistrés le 13 décembre 2019 et le 16 janvier 2020, la société Vortex, représentée par Me Desmoulins, demande à la cour

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2019 ,

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ayant confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 par laquelle la demande d'autoriser le licenciement de M. B... a été rejetée, et d'annuler également la décision de l'inspecteur du travail ;

3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social de saisir à nouveau l'inspecteur du travail pour qu'il se prononce sur la demande d'autorisation de licenciement de M. B... ;

4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. B... a commis des fautes, qui lui sont bien imputables et dont la matérialité est établie ; en outre, lors de l'entretien préalable du 9 février 2015, M. B... a reconnu la réalité des faits reprochés ;

- l'affirmation de l'inspecteur du travail selon laquelle il y aurait un climat social conflictuel ou des conditions de travail difficiles n'est pas démontrée ;

- ces fautes, à savoir des propos mensongers et diffamatoires formulés dans le cadre

d'une démarche visant exclusivement à nuire aux intérêts de la société Vortex, constituent un manquement suffisamment grave justifiant que soit prononcée l'autorisation de licencier l'intéressé ;

- le licenciement demandé est sans lien avec le mandat de M. B....

Par un mémoire en intervention, un mémoire en production de pièces et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet 2020, 1er septembre 2020 et 21 mai 2021, Me Philippe Pemaud et Me Vincent Aussel, liquidateurs judiciaires, représentés par Me Barbe, demandent l'infirmation du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2019 et l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, ainsi que la mise à la charge de M. B... de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils demandent l'annulation du jugement par les mêmes moyens que ceux présentés

par la société Vortex.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2021, M. B..., représenté par Me Hocquet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Vortex la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés par la société Vortex ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,

- les observations de Me Guerard se substituant à Me Barbe, représentant la société Vortex, ainsi que Me Vincent Pemaud, liquidateur de la société Vortex et Me Vincent Aussel, co-liquidateur de la société Vortex ;

- et les observations de Me Hocquet pour M. B....

Une note en délibéré enregistrée le 7 juillet 2021 a été présentée par Me Hocquet

pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat à durée indéterminée signé le 5 janvier 2009, M. A... B... a été engagé en qualité de conducteur de bus par la société Vortex, spécialisée dans le transport routier de personnes handicapées ou à mobilité réduite. Depuis le 25 avril 2012, il exerce les mandats de délégué syndical désigné par la Fédération générale des transports et de l'équipement CFDT route et de représentant syndical auprès du comité d'entreprise. Après l'avoir convoqué à un entretien préalable le 9 février 2015, la société Vortex a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. B... pour motif disciplinaire. Par une décision du 29 avril 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B.... En l'absence de réponse au recours hiérarchique formé le 15 juin 2015 par la société Vortex, une décision implicite de rejet de la ministre du travail est née le 29 juin 2015. La société Vortex relève appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2019 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et de celle de la décision implicite de la ministre du travail ayant confirmé le refus d'autoriser le licenciement de M. B....

Sur l'intervention :

2. En leur qualité de co-administrateurs et de co-mandataires, devenus co¬ liquidateurs judiciaires de la société Vortex, Me Pernaud et Me Aussel, qui doivent être regardés comme s'associant aux conclusions de cette société, ont intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi, leur intervention est recevable.

Sur la légalité des décisions attaquées :

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge de l'excès de pouvoir sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié protégé, ce doute profite au salarié.

4. Pour refuser l'autorisation de licencier M. B... pour faute, l'inspecteur du travail, dont la décision du 29 avril 2015 a été implicitement confirmée par la ministre du travail, s'est fondé sur l'absence de matérialité d'une partie des faits reprochés au salarié et l'insuffisance de gravité d'une autre partie d'entre eux, ainsi que sur l'existence d'un lien entre le licenciement de M. B... et son mandat syndical.

En ce qui concerne la matérialité et la gravité des faits :

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour solliciter l'autorisation de licencier M. B..., la société Vortex s'est fondée sur le fait que ce salarié avait pris l'initiative, le 9 décembre 2014, de contacter téléphoniquement M. C..., chargé d'affaires de l'entreprise " Initiative et Finance " alors engagée dans un processus d'entrée au capital de la société Onis Développement, celle-ci détenant 100 % du capital de la société Vortex, en vue de lui communiquer des informations négatives, notamment sur le climat social régnant dans l'entreprise, de nature à faire échec au projet d'investissement financier envisagé.

6. Dès lors, d'une part, que la société Vortex a d'abord soutenu que cette communication téléphonique était intervenue le 9 décembre 2014 avant d'indiquer qu'elle datait en réalité du 16 décembre 2014 et, d'autre part, que l'analyse divergente des relevés téléphoniques ne permet pas de déterminer avec certitude si M. B... qui le conteste et fait référence à un entretien du 9 décembre dans le premier courriel adressé à M. C... le 16 décembre, a été à l'origine du premier contact avec ce dernier, c'est sans erreur d'appréciation que l'inspecteur du travail confirmé par la ministre du travail a constaté la persistance d'un doute sur une partie de la matérialité des faits reprochés au salarié et considéré qu'ils n'étaient ainsi que partiellement établis.

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à partir du 16 décembre 2014 et jusqu'au 15 janvier 2015, M. B..., qui le reconnaît lui-même, a adressé au potentiel investisseur quatorze courriels comportant cinquante-sept pièces jointes parmi lesquelles de nombreux articles de presse et articles de revues syndicales unanimement critiques sur la politique sociale de la société Vortex, divers courriers échangés entre la direction de l'entreprise et les présidents de conseils généraux dont celui de la Vienne, des courriers d'observations et procès-verbaux dressés par la Direccte ainsi que des jugements ayant prononcé des condamnations à l'encontre de son employeur. L'envoi de ces documents était accompagné d'appréciations négatives de M. B... mettant notamment en exergue l'existence d'une souffrance au travail généralisée au sein de la société ainsi qu'un historique critique de son développement économique présenté comme reposant sur une surfacturation du coût des transports à des collectivités publiques et une sous-estimation des heures travaillées des salariés.

8. Ces agissements, qui révèlent de la part de M. B... une volonté de dénigrement de la société Vortex et une manifestation de son intention de faire échouer la prise de participation financière projetée, doivent être regardés comme un manquement à l'obligation de loyauté de l'intéressé qui n'a, en outre, pu accéder à certaines informations transmises à l'entreprise " Initiative et Finance " qu'en sa qualité de délégué syndical. Ainsi, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les faits reprochés à M. B... constituent une faute dont la gravité ne saurait être atténuée ni par la circonstance que son employeur aurait manqué à ses propres obligations professionnelles et aurait laissé se développer un climat social délétère dans l'entreprise dont il entendait informer l'investisseur potentiel, ni par le fait que certains des documents adressés à ce dernier étaient d'accès public, ni au motif que ces agissements n'ont pas préjudicié à la société Vortex dès lors que l'ouverture de capital social, à laquelle M. B... a tenté de faire échec, s'est finalement réalisée. En outre, il ressort des pièces du dossier que ce salarié avait déjà fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire en raison de l'envoi à des tiers à l'entreprise, le 2 janvier 2013, d'un courrier discréditant son employeur.

9. Par suite, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, le motif tiré du caractère insuffisamment grave des faits matériellement établis reprochés à M. B... ne saurait justifier le refus d'autorisation de licenciement opposé à la société Vortex.

En ce qui concerne le lien avec le mandat :

10. Pour considérer que le licenciement de M. B... était en rapport avec le mandat syndical dont il était investi, l'inspecteur du travail, dont la décision du 29 avril 2015 a été implicitement confirmée par la ministre du travail, a relevé l'existence d'un climat social très dégradé au sein de la société Vortex et la présentation de la demande d'autorisation de licenciement de M. B... en période de renouvellement des institutions du personnel. Toutefois, compte tenu de l'ensemble des faits reprochés à M. B..., qui en divulguant des informations sur son entreprise à un potentiel investisseur ne peut être regardé comme ayant agi dans le cadre de l'exercice normal de son mandat syndical, le motif du lien avec le mandat ne saurait davantage justifier le refus d'autorisation de licenciement opposé à la société Vortex.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Vortex est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 confirmée par la décision implicite de la ministre du travail.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Eu égard au motif d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et de la ministre du travail, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Vortex, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Vortex, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme quelconque au titre de ces dispositions. Les conclusions présentées sur ce fondement par Me Pernaud et Me Aussel, qui n'ont pas la qualité de partie dans la présente instance mais seulement celle d'intervenants, ne peuvent être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de Me Pernaud et de Me Aussel, co-liquidateurs judiciaires de la société Vortex, est admise.

Article 2 : Le jugement n° 1702187 du 15 octobre 2019 du tribunal administratif de Poitiers et les décisions de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 et de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ayant refusé l'autorisation de licencier M. B... sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à la ministre du travail, de l'emploi, et de l'insertion de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. B... présentée par la société Vortex, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : les conclusions présentées par Me Pernaud et Me Aussel au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vortex, à Me Pernaud et Me Aussel, ses co-liquidateurs judiciaires, à M. A... B... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

Mme Sylvie Cherrier, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 août 2021.

L'assesseure la plus ancienne,

Florence Rey-GabriacLa présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04883


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04883
Date de la décision : 31/08/2021
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : BARBE INGRID

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2021-08-31;19bx04883 ?
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