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04/06/2021 | FRANCE | N°21BX01050

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7eme chambre (formation a 3), 04 juin 2021, 21BX01050


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... G... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2005281 du 7 décembre 2020, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 9 mars 2021 sous le n° 21BX

01050, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 févri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... G... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2005281 du 7 décembre 2020, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 9 mars 2021 sous le n° 21BX01050, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 février 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2020 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui remettre une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile ; à titre subsidiaire de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 72 heures sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État au bénéfice de son conseil la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la compétence du signataire de cet arrêté n'est pas établie ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen ;

- les garanties prévues aux articles 4 et 5 du règlement 604/2013/UE n'ont pas été respectées ;

- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article 17 de ce règlement et de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation dès lors qu'il ne parle pas l'espagnol et qu'aucune information relative à ses droits ne lui a été délivrée dans ce pays.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 9 septembre 1996, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 6 septembre 2020. Il a déposé une demande d'asile le 23 septembre 2020 à la préfecture de la Gironde. La consultation du fichier Eurodac a permis de constater que ses empreintes décadactylaires ont préalablement été relevées en Espagne le 28 avril 2020. Les autorités espagnoles, saisies le 21 octobre 2020 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont explicitement donné leur accord le 29 octobre 2020. Par un arrêté du 12 novembre 2020, la préfète de la Gironde a décidé de transférer M. B... aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile. M. B... relève appel du jugement du 8 février 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, par un arrêté du 31 août 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Gironde n°33-2020-138 du 31 août 2020, la préfète de la Gironde a donné délégation à M. C..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, " Toutes décisions et correspondances prises en application du livre VII (partie législative et réglementaire) du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ". Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. B..., il appartient à la partie contestant la qualité du signataire pour signer l'arrêté litigieux d'établir que les personnes précédant le signataire de l'acte dans la chaine des délégations n'étaient ni absentes ni empêchées lors de la signature de cet arrêté. Faute pour l'appelant de rapporter cette preuve, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.

3. En deuxième lieu, M. B... reprend en appel, sans les assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de l'arrêté attaqué démontrant un défaut d'examen de sa situation et de ce que l'information prévue par l'article 4 du règlement 604/2013/UE n'a pas été réalisée par écrit, ce qui l'a privé d'une garantie. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

5. Si M. B... soutient que les conditions de son entretien ne lui ont pas permis de pouvoir comprendre le sens et la portée des questions posées ni de pouvoir s'exprimer utilement, toutefois, les informations contenues dans la brochure commune ont été portées oralement à sa connaissance par le biais d'un interprète d'ISM Interprétariat dans la langue qu'il avait déclaré comprendre, en l'occurrence la langue soussou, et la notification de l'arrêté en litige mentionne que " Monsieur reconnaît avoir eu connaissance de l'arrêté de remise aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile et des droits qu'il peut exercer (...) ". M. B... a apposé sa signature sur cette notification. Par conséquent, il n'est pas fondé à soutenir que le recours à l'interprétariat par un moyen de télécommunication n'est pas justifié. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 doit être écarté.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

7. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.

8. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne et de la situation particulière de M. B..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités espagnoles, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.

9. M. B... soutient qu'il existe en Espagne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Toutefois, comme l'a relevé la magistrate désignée par le président du tribunal administratif, l'Espagne est un État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, M. B... n'établit pas, en s'abstenant de produire tout élément de nature à corroborer ses allégations, l'existence de défaillances en Espagne qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Ainsi, les circonstances invoquées par M. B..., tenant à l'existence de défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne, ne permettent pas d'établir qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la préfète de la Gironde aurait commis une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 doivent être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 12 novembre 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... G... B... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise pour information à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2021, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

Mme E... F..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2021.

Le rapporteur,

Florence F...

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

095-02-03


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SCP ASTIE-BARAKE-POULET-MEYNARD

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7eme chambre (formation a 3)
Date de la décision : 04/06/2021
Date de l'import : 15/06/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21BX01050
Numéro NOR : CETATEXT000043645686 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-04;21bx01050 ?
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