Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête enregistrée sous le n° 1700713, l'association La Croix Rouge Française a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 12 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé de l'autoriser à procéder au licenciement pour faute de Mme G..., ainsi que le rejet implicite de son recours hiérarchique par le ministre du travail.
Par une requête enregistrée sous le n° 1702125, l'association La Croix Rouge Française a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision expresse du 23 mars 2017 par laquelle le ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique exercé à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail du 12 juillet 2016.
Par un jugement n° 1700713, 1702125 du 7 février 2019 procédant à la jonction des requêtes, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 avril 2019, l'association La Croix Rouge Française, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 12 juillet 2016 et la décision du ministre du travail du 23 mars 2017 ;
3°) d'enjoindre à l'inspecteur du travail de lui délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la matérialité des faits reprochés à Mme G... est établie : lors d'un exercice incendie organisé le 24 février 2016, elle a refusé de respecter les consignes d'évacuation de la responsable de la formation ; elle a adopté des comportements inadaptés et non professionnels à l'égard des élèves de l'IFA ; elle a fait plusieurs fois preuve d'insubordination vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques, notamment en tenant des propos irrespectueux à leur égard ; elle s'est délibérément abstenue de nouer des contacts avec les équipes responsables de partenariats ; elle est à l'origine de difficultés relationnelles persistantes contribuant à créer un climat délétère au sein de l'institut ;
- les faits reprochés à Mme G... ne sont pas prescrits ;
- ces faits sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de Mme G....
Par un mémoire en défense enregistré le 4 juin 2019, Mme G..., représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'association La Croix Rouge Française de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par l'association La Croix Rouge Française n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle renvoie aux observations qu'elle a formulées devant le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour l'association La Croix Rouge Française.
Considérant ce qui suit :
1. L'association La Croix Rouge Française, qui notamment assure des formations dans le domaine sanitaire et social par l'intermédiaire d'instituts régionaux, a recruté Mme G... en qualité de formatrice dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée prenant effet le 29 août 2011. A compter du 2 janvier 2014, Mme G... a été nommée responsable pédagogique de l'institut de formation préparant au diplôme d'Etat d'ambulancier (IFA) de Pau, rattaché à l'institut régional de formation sanitaire et sociales (IFRSS) d'Aquitaine. Reprochant à cette salariée des faits de nature à provoquer de graves dysfonctionnements au sein de l'institut, son employeur a envisagé de la licencier. Après que Mme G... a été entendue en entretien préalable à un éventuel licenciement le 4 avril 2016 et que le comité d'établissement consulté a rendu un avis favorable le 21 avril 2016, la directrice de l'IRFSS d'Aquitaine a saisi l'inspecteur du travail, par un courrier en date du 17 mai 2016, d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de l'intéressée, déléguée du personnel suppléante. Par une décision en date du 12 juillet 2016, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée. Par un courrier en date du 6 septembre 2016 reçu le 12 septembre suivant, le ministre du travail a été saisi d'un recours hiérarchique rejeté par une décision implicite née le 13 janvier 2017 puis par une décision expresse en date du 23 mars 2017 qui s'est substituée à celle du 13 janvier 2017. L'association La Croix Rouge Française relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail du 12 juillet 2016 et du ministre du travail du 23 mars 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Bénéficie de la protection contre le licenciement (...) le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel ; (...). ". En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié, ce doute profite au salarié.
4. A l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement de Mme G... pour motif disciplinaire, l'association La Croix Rouge Française a invoqué, premièrement, le refus de l'intéressée de respecter les consignes d'évacuation lors d'un exercice incendie organisé le 24 février 2016, deuxièmement, ses comportements inadaptés et non professionnels adoptés à l'égard des élèves de l'institut de formation, troisièmement, des faits d'insubordination hiérarchique s'étant traduits les 22 décembre 2015 et 17 mars 2016 par la tenue de propos irrespectueux, quatrièmement, son abstention délibérée à établir des contacts avec les équipes et instaurer un climat de confiance avec elles et, cinquièmement, ses difficultés relationnelles persistantes avec deux collègues.
5. L'inspecteur du travail, dont la décision du 12 juillet 2016 a été confirmée par le ministre chargé du travail le 23 mars 2017, a refusé d'autoriser le licenciement de Mme G... au motif qu'à l'exception de l'un d'entre eux, qui n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier la mesure sollicitée, la matérialité des faits n'était pas établie de manière certaine.
6. Il ressort des pièces du dossier que, en premier lieu, Mme G... entretenait des relations très conflictuelles avec deux collègues de l'IFA de Pau au sein duquel régnait une ambiance délétère. Il ne peut toutefois être tenu pour établi, au vu des éléments divergents fournis par les protagonistes de ce conflit, que ce climat était imputable de manière certaine à Mme G... laquelle avait certes reçu un avertissement le 12 novembre 2014 pour son comportement agressif mais avait informé la même année sa hiérarchie des tensions existantes puis déposé plainte pour harcèlement contre l'un de ses deux collègues.
7. En deuxième lieu, s'il est reproché à Mme G... une insubordination hiérarchique qui se serait notamment traduite par des hurlements lors d'un entretien du 17 mars 2016 avec la directrice de l'institut, un doute subsiste sur l'exactitude matérielle de ce fait seulement attesté par un rapport rédigé quatre jours après par ladite directrice. Ce doute devant profiter au salarié, il ne peut être regardé comme établi.
8. En troisième lieu, si l'association La Croix Rouge Française fait grief à Mme G... de s'être délibérément abstenue de tout contact avec le responsable communication et le service administratif de l'IRFSS, faisant ainsi obstacle à l'instauration d'un climat de confiance avec les équipes, les pièces versées au dossier sont essentiellement constituées d'attestations dont il ressort que cette absence de lien correspond à des périodes au cours desquelles l'intéressée était en congé de maladie. La matérialité de ce fait n'est donc pas établie.
9. En quatrième lieu, l'association La Croix Rouge Française se plaint des comportements inadaptés et non professionnels de Mme G... qui aurait remis en cause la légitimité de la demande d'affectation de stages des élèves, tenté d'impliquer des élèves dans le conflit l'opposant à ses collègues et se serait abstenue de prendre contact avec les tuteurs de stages. Toutefois, alors que l'employeur a seulement versé trois attestations de stagiaires à l'appui de sa demande d'autorisation pour corroborer les faits invoqués, il ressort des pièces du dossier que Mme G... a soutenu les élèves dans leurs demandes de stage dont certaines ont pu être satisfaites grâce à elle. S'il est vraisemblable que les élèves ont été impliqués dans le conflit opposant l'intéressée à ses collègues de travail, il ne saurait être tenu pour certain que Mme G... en est la responsable.
10. En cinquième lieu, si, lors d'un exercice incendie organisé le 24 février 2016, Mme G... a refusé de sortir de son bureau et d'y laisser seul l'un des deux collègues, " serre-file " de l'exercice, avec lequel elle était en conflit notoire, elle a immédiatement évacué les lieux à la demande du responsable de l'exercice dont elle a ainsi respecté les consignes. La matérialité de ce fait n'est donc pas établie.
11. En revanche, en sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que, lors d'un entretien du 22 décembre 2015 au cours duquel les relations entre la directrice de l'IRFSS Aquitaine et Mme G... étaient tendues, il peut être tenu pour établi, au vu notamment du compte-rendu de cet entretien rédigé par un tiers salarié qui y a participé, que Mme G... a dit que la directrice de l'IRFSS souffrait de " troubles de la mémoire ". Pour inappropriés et très regrettables qu'ils soient, de tels propos isolés tenus d'une manière non publique ne sont, en tout état de cause, pas d'une gravité suffisante pour fonder le licenciement pour motif disciplinaire de Mme G....
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'association La Croix Rouge Française n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail du 12 juillet 2016 et du ministre du travail du 23 mars 2017. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit à la demande présentée sur le même fondement par Mme G... en mettant à la charge de l'association La Croix Rouge Française la somme de 1 500 euros à lui verser.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association La Croix Rouge Française est rejetée.
Article 2 : L'association La Croix Rouge Française versera à Mme G... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association La Croix Rouge Française, à Mme E... G... et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme D... B..., présidente-assesseure,
Mme F... H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2021.
La présidente,
Brigitte Phémolant
La République mande et ordonne à la ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 19BX01294