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29/03/2021 | FRANCE | N°20BX03614

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 29 mars 2021, 20BX03614


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 47 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des refus de séjour qui lui ont été illégalement opposés et du délai anormal de délivrance du titre de séjour auquel il avait droit.

Par un jugement n° 1701187 du 13 février

2020, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à M. A... la somm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 47 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des refus de séjour qui lui ont été illégalement opposés et du délai anormal de délivrance du titre de séjour auquel il avait droit.

Par un jugement n° 1701187 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme totale de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 et de leur capitalisation.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 novembre 2020, M. A..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 13 février 2020 en tant qu'il a limité à 15 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation de ses préjudices ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 42 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés en première instance et la même somme sur le même fondement au titre des frais exposés en appel.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat a été admise par le jugement contesté qui n'est pas critiqué sur ce point ;

- il a été illégalement privé d'un titre de séjour du 30 avril 2015 au 20 juin 2017 soit pendant une période de 25 mois, ce qui justifie le versement d'une indemnité de 12 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

- il a été empêché de suivre une formation au lycée des métiers du bâtiment de Felletin en 2015-2016 puis au centre de formation aux métiers du bâtiment et travaux publics de Trappes en 2016-2017 et ainsi privé des rémunérations et avantages liés au statut d'apprenti ainsi que de la chance d'avoir pu travailler plus tôt, ce qui justifie le versement d'une indemnité de 35 000 euros ;

- le montant des frais liés au litige alloués en première instance doit être porté à 2 400 euros ;

- les sommes allouées doivent être assorties des intérêts au taux légal, portant eux-mêmes intérêts, à compter de la date de réception de la demande préalable du 21 avril 2017.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.

Par une décision du 14 mai 2020 la demande d'aide juridictionnelle formée par M. A... a été rejetée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C... B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant malien né le 20 février 1997, est entré irrégulièrement en France le 15 octobre 2012 selon ses déclarations. Après avoir été pris en charge le 17 octobre 2012 par les services de l'aide sociale à l'enfance de l'Essonne en tant que mineur isolé étranger, il a été confié, en janvier 2013, au centre éducatif et de formation professionnelle " Le Vieux Collège " de Magnac-Laval (Haute-Vienne). Au titre des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015, il a préparé un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de carreleur mosaïste, obtenu en juin 2015. Bénéficiant d'un contrat d'aide à un jeune majeur conclu avec le département de l'Essonne, M. A... a sollicité, en février 2015, son admission au séjour sur le fondement du 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un refus assorti d'une mesure d'éloignement a été opposé à cette demande par un arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 30 avril 2015 qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Limoges du 19 novembre 2015 enjoignant par ailleurs à l'autorité administrative de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. A.... Toutefois, à la suite d'un nouvel examen de la situation de l'intéressé, le préfet de la Haute-Vienne a de nouveau refusé de l'admettre au séjour et a assorti ce refus d'une mesure d'éloignement, au motif d'une fraude à l'identité, par un arrêté du 23 mai 2016 qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Limoges du 16 février 2017 en tant qu'il portait refus de séjour. Dans ce dernier jugement, le tribunal a une nouvelle fois enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à M. A..., dans un délai d'un mois. Après qu'une procédure d'exécution du jugement du tribunal administratif de Limoges du 19 novembre 2015 a été ouverte, le préfet de la Haute-Vienne a décliné sa compétence, le 24 avril 2017, au profit du préfet de la Seine-Saint-Denis lequel a délivré une carte de séjour à M. A... valable à compter du 20 juin 2017. M. A... relève appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à lui verser une somme totale de 15 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 et de leur capitalisation, en tant que ce jugement limite à cette somme l'indemnisation qu'il réclame. Dans son mémoire en défense, le préfet de la Haute-Vienne se borne à conclure au rejet de la requête d'appel.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Par le jugement attaqué, qui n'est pas critiqué sur ce point, le tribunal administratif de Limoges a jugé que la responsabilité de l'Etat était engagée à l'encontre de M. A... à raison des fautes résultant de l'illégalité des décisions du 30 avril 2015 et du 23 mai 2016 de refus de titre de séjour ainsi que de l'exécution tardive des injonctions prononcées dans les jugements du 9 novembre 2015, puis du 16 février 2017, M. A... n'ayant été rendu destinataire d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " que le 20 juin 2017.

En ce qui concerne la réparation :

S'agissant des préjudices matériels :

3. En premier lieu, si M. A... fait valoir que l'absence prolongée de titre de séjour l'a empêché de suivre une formation au lycée des métiers du bâtiment de Felletin en 2015-2016 puis au centre de formation aux métiers du bâtiment et travaux publics de Trappes en 2016-2017, ce qui l'a privé des rémunérations et avantages liés au statut d'apprenti, il ne justifie pas de son admission dans la première de ces deux formations, ni même d'une perte de chance sérieuse d'y accéder. Par ailleurs, en se bornant à produire un courrier de confirmation d'inscription établi le 13 juillet 2016 par le centre de formation de Trappes, il n'établit ni la réalité ni l'étendue du préjudice financier résultant de la privation du bénéfice de cette seconde formation dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait conclu le contrat d'apprentissage à laquelle l'entrée dans ce parcours et le suivi des cours sont subordonnés. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnisation de M. A... au titre de ce chef de préjudice.

4. En second lieu, M. A... demande à être indemnisé de la perte de revenus que lui aurait procuré un emploi qu'il avait selon lui une chance sérieuse d'obtenir dès le mois d'avril 2015. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui a obtenu un CAP de carreleur mosaïste en juin 2015 et un CAP de maçon en juin 2016, a trouvé un emploi en contrat de mission temporaire à temps plein dès le 3 juillet 2017 en qualité de manoeuvre dans le bâtiment, soit moins de 15 jours après que sa carte de séjour lui a été délivrée. Ce contrat a été renouvelé à plusieurs reprises jusqu'à au moins, ainsi qu'il l'indique lui-même, la date d'introduction de la requête d'appel. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir qu'il a été privé, en raison des fautes de l'administration, d'une chance sérieuse d'occuper un emploi et qu'il a de ce fait subi un préjudice matériel. Toutefois, ce préjudice ne peut être regardé comme présentant un caractère direct et certain avec les illégalités commises qu'à compter de la date d'obtention du diplôme de maçon et jusqu'à la délivrance du titre, soit pour une période de douze mois, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que sans cette qualification l'intéressé aurait pu trouver un emploi dans le bâtiment. Ainsi, et eu égard à la rémunération nette que pouvait espérer percevoir M. A... au regard des conditions de rémunération retenues dans son contrat de mission temporaire du 3 juillet 2017, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du préjudice subi en allouant à M. A... la somme de 13 000 euros.

S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

5. En raison de la situation précaire et incertaine dans laquelle il a été placé du fait de l'absence d'un titre de séjour entre le 30 avril 2015 et le 20 juin 2017 et des mesures illégales d'éloignement dont il a fait l'objet à deux reprises, dont l'une sans délai, et alors au demeurant qu'il a fait montre depuis sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance en 2012 d'une volonté de s'intégrer, de se former et de s'insérer professionnellement, les fautes commises par le préfet de la Haute-Vienne ont causé à M. A... un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence dont il est fondé à demander la réparation. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation du préjudice subi en allouant à M. A... une somme de 2 000 euros.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'Etat à lui verser la seule somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017, date à laquelle sa réclamation a été reçue par les services préfectoraux, et de leur capitalisation à compter du 21 avril 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige de première instance et d'appel :

7. Le tribunal administratif de Limoges a, par le jugement attaqué, condamné l'Etat à verser à Me E..., conseil de M. A..., une somme de 800 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de modifier ce montant.

8. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2021 à laquelle siégeaient :

M. Dominique Naves, président,

Mme C... B..., présidente-assesseure,

Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 mars 2021.

La rapporteure,

Karine B...

Le président,

Dominique Naves

La greffière,

Cindy VirinLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 20BX03614


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03614
Date de la décision : 29/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. NAVES
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : MALABRE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-29;20bx03614 ?
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