Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la délibération n° 16/4-53 du 25 juin 2016 du conseil municipal de Saint-Denis autorisant la transformation en contrat à durée indéterminée (CDI) des contrats à durée déterminée (CDD) conclus avec des personnels de catégorie B et C justifiant d'une ancienneté de deux ans à compter du 1er juillet 2016.
Par un jugement n° 1601126 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de La Réunion a annulé cette délibération du 25 juin 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 février 2019, la commune de Saint-Denis, prise en la personne de son maire, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 8 janvier 2019 ;
2°) de rejeter la demande de M. E... ;
3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la demande de M. E... était irrecevable faute pour celui-ci de présenter un intérêt à agir ;
- elle a pu à bon droit écarter les dispositions des articles 3-3 et 3-4 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 dès lors qu'elles contreviennent aux dispositions claires, précises et inconditionnelles de la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999 ; par suite, la délibération en litige n'est pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, entachée d'illégalité au regard de ces dispositions de la loi du 26 janvier 1984 ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2019, M. E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge de la commune de Saint-Denis de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que sa demande de première instance était recevable et qu'aucun des moyens invoqués par la commune de Saint-Denis n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... G...,
- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 16 août 2016 M. E... a demandé au maire de la commune de Saint-Denis de la Réunion de procéder au retrait de la délibération n° 16/4-53 du 25 juin 2016 approuvant la transformation en contrat à durée indéterminée des contrats à durée déterminée dont étaient titulaires, au 1er juillet 2016, les agents de catégorie B et C, recrutés en application des articles 3 et suivants de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, justifiant à cette date d'une ancienneté de deux ans et donnant entière satisfaction à l'administration municipale. Une décision implicite de rejet est née le 17 octobre 2016. La commune de Saint-Denis relève appel du jugement du 8 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a annulé cette délibération à la demande de M. E....
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Lorsque la délibération d'un conseil municipal emporte une perte de recettes ou des dépenses supplémentaires, le contribuable de cette commune n'est recevable à en demander l'annulation pour excès de pouvoir que si les conséquences directes de cette délibération sur les finances communales sont d'une importance suffisante pour lui conférer un intérêt pour agir.
3. Il ressort des pièces du dossier que la délibération en litige concerne quarante-quatre agents dont les contrats à durée déterminée (CDD) seraient ainsi transformés en contrats à durée indéterminée (CDI). Contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Denis, la transformation de CDD en CDI n'est pas dépourvue d'incidences financières sur le budget de la collectivité. En effet, outre le caractère constant qui s'attache à la dépense de fonctionnement induite par un CDI, les rémunérations des agents titularisés dans ce cadre feraient l'objet d'évolutions qui auraient pour effet de les porter à un niveau plus élevé que celle dues à des agents exerçant des fonctions similaires dans le cadre de CDD. Dans ces conditions, compte tenu du nombre des agents concernés par cette mesure, la délibération en litige met à la charge de la commune une dépense supplémentaire suffisamment significative pour conférer à M. E... un intérêt à agir à son encontre. Par suite, le tribunal administratif de La Réunion a pu, à bon droit, écarter la fin de non-recevoir invoquée par la commune de Saint-Denis.
Sur la légalité de la délibération du 29 novembre 2016 :
4. Aux termes de l'article 1er de la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée : " La présente directive vise à mettre en oeuvre l'accord cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe, conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s'assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, les États membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. (...) ". En vertu des stipulations de la clause 5 de l'accord-cadre annexé à la directive, relative aux mesures visant à prévenir l'utilisation abusive des contrats à durée déterminée : " 1. Afin de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n'existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d'une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l'une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c'est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme "successifs" ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée ".
5. Ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, imposent aux États membres d'introduire de façon effective et contraignante dans leur ordre juridique interne, s'il ne le prévoit pas déjà, l'une au moins des mesures énoncées aux a) à c) du paragraphe 1 de la clause 5, afin d'éviter qu'un employeur ne recoure de façon abusive au renouvellement de contrats à durée déterminée. Lorsque l'État membre décide de prévenir les renouvellements abusifs en recourant uniquement aux raisons objectives prévues au a), ces raisons doivent tenir à des circonstances précises et concrètes de nature à justifier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Il ressort également de l'interprétation de la directive retenue par la Cour de justice de l'Union européenne que le renouvellement de contrats à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement temporaire d'agents indisponibles répond, en principe, à une raison objective au sens de la clause citée ci-dessus, y compris lorsque l'employeur est conduit à procéder à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, alors même que les besoins en personnel de remplacement pourraient être couverts par le recrutement d'agents sous contrats à durée indéterminée. Dès lors que l'ordre juridique interne d'un État membre comporte, dans le secteur considéré, d'autres mesures effectives pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l'utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs au sens du point 1 de la clause 5 de l'accord, la directive ne fait pas obstacle à l'application d'une règle de droit national interdisant, pour certains agents publics, de transformer en un contrat de travail à durée indéterminée une succession de contrats de travail à durée déterminée qui, ayant eu pour objet de couvrir des besoins permanents et durables de l'employeur, doivent être regardés comme abusifs.
6. Il résulte des dispositions des articles 3 et s. de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mars 2012, que les collectivités territoriales de plus de 2000 habitants ne peuvent recruter par contrat à durée déterminée des agents non titulaires que, d'une part, en vertu des articles 3, 3-1 et 3-2 de cette loi, en vue d'assurer des remplacements momentanés ou d'effectuer des tâches à caractère temporaire ou saisonnier définies à ces articles et, d'autre part, dans le cadre des dérogations au principe selon lequel les emplois permanents sont occupés par des fonctionnaires, énoncées à l'article 3-3, lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer certaines fonctions, ou lorsque, pour des emplois de catégorie A, la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient. Aux termes des septième et huitième alinéas de cet article : " Les agents ainsi recrutés sont engagés par des contrats à durée déterminée d'une durée maximale de trois ans. Ces contrats sont renouvelables, par reconduction expresse, dans la limite d'une durée maximale de six ans. / Si, à l'issue de cette durée, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l'être que par décision expresse et pour une durée indéterminée ". Enfin, aux termes de l'article 3-4 de la même loi : " (...) II. - Tout contrat conclu ou renouvelé pour pourvoir un emploi permanent en application de l'article 3-3 avec un agent qui justifie d'une durée de services publics effectifs de six ans au moins sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique est conclu pour une durée indéterminée. (...) ".
7. Ces dispositions se réfèrent ainsi, s'agissant de la possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée, à des " raisons objectives ", de la nature de celles auxquelles la directive renvoie. Elles ne font nullement obstacle à ce qu'en cas de renouvellement abusif de contrats à durée déterminée, l'agent concerné puisse se voir reconnaître un droit à l'indemnisation du préjudice éventuellement subi lors de l'interruption de la relation d'emploi, évalué en fonction des avantages financiers auxquels il aurait pu prétendre en cas de licenciement s'il avait été employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Par suite, et comme l'a jugé le tribunal administratif, elles ne sont pas incompatibles avec les objectifs de la directive du 28 juin 1999.
8. La délibération en litige approuve la transformation en contrat à durée indéterminée des contrats à durée déterminée dont les bénéficiaires sont des agents de catégorie B et C recrutés en application des articles 3 et s. de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et qui justifient, au 1er juillet 2016, d'une ancienneté de deux ans. Elle méconnaît dès lors les dispositions précitées des articles 3-3 et 3-4 de ladite loi et doit, pour ce motif, être annulée.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle, que la commune de Saint-Denis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la délibération n° 16/4-53 du 25 juin 2016. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées. En revanche, il convient de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais engagés par M. E....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Saint-Denis est rejetée.
Article 2 : La commune de Saint-Denis versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Denis et à M. H... E....
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme C... B..., présidente-assesseure,
Mme D... G..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 février 2021.
Le rapporteur,
Sylvie G...
Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 19BX00811