Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... L... H... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2019 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination, et l'a contrainte à résider dans le département de la Charente-Maritime et à se présenter deux fois par semaine à la gendarmerie pour indiquer les diligences dans la préparation de son départ.
Par un jugement n° 2000536 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juillet 2020 et 12 novembre 2020, Mme H..., représentée par Me Lopy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2019 du préfet de la Charente-Maritime ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour " étudiant " sur le fondement de l'article L. 317-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à la date du refus du titre de séjour contesté, elle dispose de ressources suffisantes pour que lui soit renouvelé son titre de séjour en qualité d'étudiante ;
- le préfet a commis une erreur de droit en appliquant les dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile à sa situation alors qu'elle relève du seul article 9 de la convention franco-sénégalaise et de son annexe qui exige un montant de ressources de 430 euros et non de 615 euros ;
- le préfet a commis une erreur de fait et une erreur d'appréciation de sa situation matérielle dès lors qu'elle justifie du soutien financier de son père qui effectue un versement mensuel de 620 euros depuis le mois de juillet 2019 ainsi que de son épouse Mme D... C... qui lui a versé entre le mois de juillet et août 2019, la somme totale de 1 719,55 euros puis 1 409,43 euros entre octobre 2019 et janvier 2020 ; en outre elle a pu travailler de manière occasionnelle en 2019 pour un montant de salaires à hauteur de 915,20 euros entre avril et septembre 2019 ; ces ressources sont confirmées par les sommes disponibles sur son compte bancaire ; les versements effectués par Mme I... correspondent à sa part du loyer ; c'est à tort que le préfet et le tribunal ont apprécié le caractère insuffisant de ces ressources au regard des accusations mensongères et diffamatoires de son oncle ;
- le tribunal ne pouvait lui reprocher de ne pas justifier de l'origine de ses ressources s'agissant notamment des sommes provenant de Mme I... et de M. E..., la preuve de l'origine des ressources et de leur nature n'étant prévue par aucun texte ; cette question importe peu dès lors que les revenus ne proviennent pas d'une activité illicite ; le virement de 400 euros de son ami M. E... qui devait lui servir à payer la caution de son appartement lui a été restitué dès le lendemain du versement effectué par son père ; elle établit s'être acquitté d'un loyer mensuel de 420 euros entre 1er janvier 2020 et le 30 juin 2020 et ses relevés bancaires établissent un revenu mensuel de 674 euros entre juillet 2019 et décembre 2019 ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire national méconnaît l'article 8 de la convention ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle en l'empêchant de mener à terme ses études en France ;
- la décision la contraignant à se présenter à la gendarmerie deux fois par semaine et à résider en Charente-Maritime n'est pas motivée ;
- cette décision est disproportionnée et porte atteinte à sa liberté d'aller et venir.
La requête a été communiquée au préfet de la Charente-Maritime qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention franco-sénégalaise relative à la circulation et au séjour des personnes, signée à Dakar le 1er août 1995 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 31 décembre 2002 modifiant et complétant l'arrêté du 27 décembre 1983 fixant le régime des bourses accordées aux étrangers boursiers du Gouvernement français ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Birsen Sarac-Deleigne,
- les observations de Me Lopy, représentant Mme H....
Considérant ce qui suit :
1. Mme H..., ressortissante sénégalaise née en 1994, est entrée en France au mois d'août 2017 et a obtenu la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiante, valable du 18 août 2018 au 17 août 2019, prorogé par un récépissé valable jusqu'au 25 septembre suivant. Le 26 août 2019, elle a demandé le renouvellement de son titre de séjour et, par arrêté du 20 décembre 2019, le préfet de la Charente-Maritime a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a contrainte à résider dans le département de la Charente-Maritime et à se présenter deux fois par semaine à la gendarmerie pour indiquer les diligences dans la préparation de son départ. Mme H... relève appel du jugement du 2 juin 2020, par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 20 décembre 2020 :
2. Il ressort des termes de la décision attaquée qu'alors que Mme H... justifie de sa scolarité en 2ème année de BTS agricole à l'Ecole nationale d'industrie laitière et des industries agroalimentaires (ENILIA) de Surgères au titre de l'année scolaire 2018-2019 et de son inscription en Licence professionnelle " Gestion, production et valorisation " à l'université de La Rochelle au titre de l'année scolaire 2019-2020, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour " étudiant " au motif qu'elle ne satisfaisait pas à la condition de ressources prévue par les articles L. 313-7 et R. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile depuis l'arrêt en juin 2019 de sa prise en charge financière et de son hébergement par son oncle.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - La carte de séjour temporaire accordée à l'étranger qui établit qu'il suit en France un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie qu'il dispose de moyens d'existence suffisants porte la mention " étudiant ". (...) ". Le renouvellement de cette carte est subordonné, notamment, à la justification par son titulaire de la réalité et du sérieux des études qu'il a déclaré accomplir. L'article R. 313-7 du même code dispose, dans sa version alors en vigueur : " Pour l'application du I de l'article L. 313-7, l'étranger qui demande la carte de séjour portant la mention " étudiant " doit présenter (...) les pièces suivantes : 1° La justification qu'il dispose de moyens d'existence, correspondant au moins au montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français (...) ". L'article 1er de l'arrêté du 31 décembre 2002 susvisé a fixé ce montant à 615 euros par mois.
4. D'autre part, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux différents titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur délivrance s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 111-2 du même code, " sous réserve des conventions internationales ". L'article 9 de la convention franco-sénégalaise du 1er août 1995 modifiée stipule que : " Les ressortissants de chacun des Etats contractants désireux de poursuivre des études supérieures ou d'effectuer un stage de formation qui ne peut être assuré dans le pays d'origine, sur le territoire de l'autre Etat, doivent, pour obtenir le visa de long séjour prévu à l'article 4, présenter une attestation d'inscription ou de préinscription dans l'établissement d'enseignement choisi (...). Ils doivent en outre justifier de moyens d'existence suffisants, tels qu'ils figurent en annexe. Les intéressés reçoivent le cas échéant, un titre de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Ce titre de séjour est renouvelé annuellement sur justification de la poursuite des études ou du stage, ainsi que de la possession de moyens d'existence suffisants ". L'annexe à cet accord définit la notion de moyens d'existence suffisants en stipulant que : " S'agissant des étudiants non boursiers, les ressources suffisantes sont constituées par une somme au moins égale à 70 % de l'allocation d'entretien servie par le Gouvernement français aux étudiants boursiers, indépendamment des avantages matériels dont ils peuvent justifier ". L'article 13 de la même convention stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation respective des deux Etats sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ".
5. La situation des ressortissants sénégalais désireux de poursuivre leurs études supérieures en France est régie par les stipulations de l'article 9 de la convention franco-sénégalaise susvisée et non par les dispositions de l'article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Charente-Maritime ne pouvait donc légalement se fonder sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour apprécier la condition tenant aux moyens d'existence suffisants. Par suite, en s'abstenant d'examiner la situation de Mme H... au regard des dispositions de l'article 9 de la convention franco-sénégalaise et de son annexe, le préfet a commis une erreur de droit.
6. Pour justifier du niveau de ses ressources, Mme H... produit des justificatifs de versements Western Union en provenance de son père ainsi que de Mme C..., que la requérante présente sans être utilement contredite, comme l'épouse de son père, d'un montant total de 2 740,81 euros pour la période comprise entre juillet et décembre 2019, soit un revenu mensuel moyen sur six mois de 456,80 euros. Mme H... produit également des bulletins de paye établis par ses deux employeurs au titre de la même période d'un montant total de 384,51 euros, lesquels ajoutés aux versements de ses parents portent son revenu mensuel moyen à 520 euros. Ainsi, même en excluant les autres revenus résultant de ses relevés bancaires, la requérante justifie d'un revenu mensuel supérieur à celui de 430,50 euros requis en application des stipulations précitées. Par suite, Mme H... est fondée à soutenir que le préfet de la Charente-Maritime a commis une erreur d'appréciation en considérant qu'elle ne disposait pas de ressources suffisantes pour obtenir le titre de séjour mention " étudiant ". Il s'ensuit que la décision portant refus de titre de séjour du 20 décembre 2019 doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination ainsi que celle contraignant Mme H... à se présenter deux fois par semaine à la gendarmerie.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 20 décembre 2019, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde et dès lors que le caractère réel et sérieux des études poursuivies par Mme H... n'est pas remis en cause, que le préfet de la Charente-Maritime lui délivre un titre de séjour portant la mention " étudiant ". Il y a lieu de fixer le délai dans lequel devra être prise cette mesure à trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme H... de la somme de 1 200 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000536 du 2 juin 2020 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 20 décembre 2019 du préfet de la Charente-Maritime est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Charente-Maritime de délivrer à Mme H... un titre de séjour " étudiant " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme H... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... L... H..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le président,
Elisabeth Jayat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02040