Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association " Sainte-Suzanne, notre village a nouste ", M. N... R..., M. M... C..., M. F... Q..., M. T... B..., Mme Claire A..., M. J... S... et M. O... L... ont demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2017 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de modifier les limites territoriales de la commune d'Orthez, ainsi que la décision du 16 octobre 2017 rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté.
Par un jugement n° 1702546 du 19 octobre 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif enregistrés respectivement les 18 décembre 2018 et 3 février 2020, M. N... R..., représenté par Me I..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2018 du tribunal administratif de Pau ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 juillet 2017 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de modifier les limites territoriales de la commune d'Orthez, ainsi que la décision du 16 octobre 2017 rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de réexaminer la demande de modification des limites territoriales de la commune d'Orthez ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité au regard de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, dès lors qu'il ne détaille pas, dans ses visas, les articles de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 sur lesquels il se fonde ; le tribunal administratif a par ailleurs insuffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'atteinte aux principe d'indépendance, d'impartialité et d'égalité de traitement ; il a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le préfet a la possibilité de se prononcer au sein d'un même arrêté sur le principe de la défusion et sur les conditions financière et patrimoniales d'une telle opération ; il a insuffisamment motivé son analyse des conséquences financières, pour la commune d'Orthez, de la défusion envisagée ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'un vice de procédure dès lors que le préfet des Pyrénées-Atlantiques a fait application du II de l'article 25 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, alors que cette loi était caduque depuis le 1er janvier 2012 ; ce vice de procédure a eu une incidence sur le sens de l'arrêté en litige ; un second vice de procédure tient à la brièveté du délai accordé à la commune de Sainte-Suzanne pour transmettre une proposition de répartition patrimoniale déterminée par les deux assemblées délibérantes concernées ; ce faisant le préfet a méconnu les principe d'impartialité, d'indépendance et d'égalité de traitement ;
- en fondant son refus de " défusion " des deux communes sur des motifs financiers et patrimoniaux, le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence et les dispositions de l'article L. 2112-10 du code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté attaqué procède de plusieurs erreurs manifeste d'appréciation et erreurs de faits ; le préfet a estimé à tort qu'il n'y avait pas d'accord entre les parties sur la répartition des actifs et passifs ; les motifs tenant à ce que les conséquences financières d'une scission sont difficiles à prévoir et à ce qu'une scission ne permettrait pas une continuité des services publics locaux sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 B... 2019, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité et qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
Par ordonnance du 4 février 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 B... 2020 à 12:00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme K... P...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant M. R....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 8 décembre 1972, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a prononcé la fusion des communes d'Orthez et de Sainte-Suzanne sur le fondement de la loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, à effet au 1er janvier 1973. En application de cet arrêté, le chef-lieu de la nouvelle commune issue de la fusion a été fixé à Orthez et la commune de Sainte-Suzanne a été érigée en commune associée. Par un arrêté du 31 juillet 2017, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a rejeté la demande de modification des limites territoriales de la commune d'Orthez visant à rendre autonome la commune de Sainte-Suzanne. Il a également rejeté, le 16 octobre 2017, le recours gracieux formé le 31 juillet 2017, notamment par le requérant, à l'encontre de cet arrêté. M. R..., maire délégué de Sainte-Suzanne, relève appel du jugement du 19 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 juillet 2017 ainsi que la décision du 16 octobre 2017.
Sur la légalité de l'arrêté du 31 juillet 2017 :
2. L'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 31 juillet 2017 refusant de modifier les limites territoriales de la commune d'Orthez en vue d'ériger la commune associée de Sainte-Suzanne en commune autonome repose sur les motifs que la viabilité financière du projet de commune de Sainte-Suzanne n'est pas démontrée, qu'en raison du niveau d'endettement de la ville d'Orthez, la baisse de recettes fiscales qu'entraînerait la scission pourrait aggraver une situation financière et budgétaire d'ores et déjà précaire, que le développement urbain et les solidarités administratives en matière notamment de gestion des compétences scolaires et périscolaires, de transport urbain, d'eau et d'assainissement, se sont principalement réalisées aux limites de la ville d'Orthez, le centre bourg de Sainte-Suzanne, distant de plusieurs kilomètres des quartiers périphériques, n'ayant connu qu'un développement limité, que les divergences d'approches entre les représentants d'Orthez et de Sainte-Suzanne ne permettent pas de disposer d'éléments permettant de se prononcer sans risque pour l'une ou l'autre de ces parties, et, enfin, qu'aucun accord entre ces parties n'a pu être trouvé sur les modalités patrimoniales et financières de la scission ainsi que sur la gestion conjointe future des principaux services publics.
3. En premier lieu, il ressort du rapport du commissaire enquêteur en date du 4 novembre 2016 que l'association " Sainte-Suzanne, notre village a nouste " a effectué une estimation des recettes et dépenses de fonctionnement de la commune autonome de Saint-Suzanne en tenant compte de ce que Sainte-Suzanne dispose d'ores et déjà d'une comptabilité, support d'un état spécial annexé au budget de la commune d'Orthez et ventilé en sections de fonctionnement et d'investissement, laquelle n'intègre cependant pas les frais de personnels et les produits fiscaux propres. Dans ce cadre, la comptabilité de Saint-Suzanne en cas de transformation en commune autonome a été estimée au regard de la comptabilité de cinq commune comparables du département. Cette étude conclut que la commune autonome de Sainte-Suzanne devrait être financièrement viable, eu égard notamment au niveau actuel de la fiscalité globale par habitant, qui est presque deux fois supérieure à celle des cinq communes de l'échantillon de comparaison. Certains résultats de cette étude sont par ailleurs corroborés par la direction générale des finances publiques, s'agissant notamment du montant annuel des taxes directes locales qui serait perçu par la nouvelle commune autonome. La direction générale des finances publiques, si elle indique qu'elle ne peut ni infirmer ni confirmer l'approche du commissaire enquêteur, précise toutefois, d'une part qu'elle n'a disposé ni de l'analyse comparative de la commune de Saint-Suzanne avec cinq communes du département, ni de l'étude réalisée par l'association " Sainte-Suzanne, notre village a nouste " et, d'autre part, qu'il est impossible de procéder à une étude budgétaire et financière plus précise compte tenu de l'ancienneté de la fusion des deux communes d'Orthez et de Sainte-Suzanne, réalisée en 1972. Elle ajoute que les conséquences sur chacune des deux communes, d'une éventuelle " défusion " sera fonction de la répartition entre elles des éléments d'actif et de passif, une telle opération pouvant avoir pour conséquence de répartir les difficultés actuelles sur les deux communes concernées, sans améliorer la situation de l'une ou de l'autre, ou, au contraire, d'améliorer la situation de l'une, et d'aggraver celle de l'autre. Dans ces conditions, compte tenu de l'impossibilité, pour la commune associée de Saint-Suzanne, d'établir avec précision le niveau des charges qu'elle devrait supporter en cas de scission, et de la possibilité, pour le préfet, en application des dispositions de l'article L. 2112-10 du code général des collectivités territoriales, de décider du niveau des charges qui devraient lui être transférées dans le cadre de la " défusion ", un telle impossibilité ne saurait être analysée comme un élément permettant d'établir l'absence de viabilité financière du projet de commune de Sainte-Suzanne. Par suite, ce premier motif d'ordre financier retenu par le préfet pour s'opposer à la modification des limites territoriales de la commune d'Orthez doit être regardé comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. En deuxième lieu, et comme il vient d'être dit, les conséquences, sur la situation financière de la commune d'Orthez, d'une séparation des deux communes sera fonction de la répartition des éléments de passif et d'actif entre elles deux. Le rapport établi par le groupe de travail de la commune d'Orthez sur les modifications des limites territoriales de la commune, approuvé par délibération du conseil municipal du 29 juin 2017, propose une répartition dont il résulterait, pour la ville, une perte annuelle nette estimée à 24 000 euros. Le directeur départemental des finances publiques tempère quant à lui, en conclusion de son avis du 10 janvier 2017, les conséquences, pour la ville d'Orthez, de la perte de recettes fiscales induites par une éventuelle " défusion ", compte tenu notamment des masses concernées, à savoir 9 % du produit de la fiscalité locale, et de la baisse de certaines charges qui résulterait d'une telle opération, cette baisse, bien que difficile à évaluer, étant néanmoins certaine. Dans ces conditions, et pour les motifs évoqués au point 3, en l'absence d'éléments plus précis, le préfet des Pyrénées-Atlantiques ne pouvait pas davantage légalement déduire de cette seule diminution des recettes fiscales de la ville d'Orthez, que l'opération de " défusion " serait de nature à aggraver la situation financière de la ville d'Orthez. Par suite ce motif doit être également regardé comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
5. En troisième lieu, le requérant fait valoir qu'il existe de nombreux outils juridiques permettant à des communes voisines de mutualiser le coût et la gestion des services publics et que la commune d'Orthez est d'ores et déjà membre de la communauté de communes de Lacq Orthez (CCLO), dont la commune autonome de Sainte-Suzanne deviendrait automatiquement membre en cas de scission, à laquelle devraient être transférées un certain nombre de compétences. Par ailleurs, si tant le rapport établi par le groupe de travail de la commune d'Orthez sur les modifications des limites territoriales de la commune, approuvé par délibération du conseil municipal du 29 juin 2017, que le rapport portant sur le même objet, établi par le groupe de travail représentant les sainte-suzannais, approuvé le 28 juin par le conseil consultatif de la commune associée de Sainte-Suzanne, relèvent tous deux qu'au cours des trois rencontres organisées au cours du mois de juin 2017 chacun de ces deux groupes a recherché la solution la plus avantageuse pour la partie qu'il représentait, il ressort toutefois de ces deux rapports que des solutions ont été proposées par chaque partie s'agissant de la gestion, en cas de " défusion ", des services publics locaux. A cet égard, le délai de six semaines accordé par le préfet aux communes concernées pour établir une proposition de répartition patrimoniale, traitant, outre de la répartition des actifs et passifs, de l'impact d'une éventuelle " défusion " sur les principaux services publics locaux, alors que, comme il a été dit, compte tenu de l'ancienneté de la fusion, un telle répartition soulève des questions multiples et complexes, était trop bref pour permettre auxdites communes de parvenir à un accord sur l'ensemble des points abordés. Dans ces conditions, et alors que l'article L. 2112-10 du code général des collectivités territoriales prévoit que l'acte prononçant la modification des limites territoriales détermine toutes les conditions de cette modification autres que celle mentionnée à l'article L. 2112-7, le préfet n'a pu déduire de l'absence de position commune de la ville d'Orthez et des représentants de la commune associée de Sainte-Suzanne en matière de frais de scolarité, de restauration scolaire, de services de portage de repas, de gestion des services publics d'eau, d'assainissement et de prévention des inondations, que la séparation de ces deux communes serait incompatible avec un fonctionnement normal des services publics sur le territoire des communes concernées. Par suite, un tel motif doit être regardé comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
6. M. R... ne conteste pas le motif tiré de ce que le développement urbain et les solidarités administratives en matière notamment de gestion des compétences scolaires et périscolaires, de transport urbain, d'eau et d'assainissement, se sont principalement réalisées aux limites de la ville d'Orthez, le centre bourg de Sainte-Suzanne, distant de plusieurs kilomètres des quartiers périphériques, n'ayant connu qu'un développement limité. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le préfet des Pyrénées-Atlantiques aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Par suite, et compte tenu des illégalités qui entachent les autres motifs de cet arrêté, il convient d'en prononcer l'annulation. Par voie de conséquence, la décision du 16 octobre 2017 ayant rejeté le recours gracieux formé notamment par M. R... contre cet arrêté doit également être annulée.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que M. R... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 juillet 2017 et de la décision du 16 octobre 2017 ayant rejeté le recours gracieux formé à son encontre.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
9. L'annulation de l'arrêté du 31 juillet 2017 implique nécessairement que le préfet des Pyrénées-Atlantiques statue à nouveau sur la demande dont il a été saisi par les habitants de la commune associée de Sainte-Suzanne. Dès lors, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, il convient d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de se prononcer sur cette demande dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros que M. R... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1702546 du tribunal administratif de Pau en date du 19 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 31 juillet 2017 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de modifier les limites territoriales de la commune d'Orthez, ainsi que la décision du 16 octobre 2017 rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté, sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Pyrénées-Atlantiques de statuer à nouveau sur la demande de modification des limites territoriales de la commune d'Orthez, envisagée pour permettre d'ériger la commune associée de Sainte-Suzanne en commune autonome, dans le délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. R... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. N... R..., au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune d'Orthez. Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. J... Larroumec, président,
Mme H... D..., présidente-assesseure,
Mme K... P..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 8 octobre 2020
Le rapporteur,
Sylvie P...
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX04361