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06/07/2020 | FRANCE | N°20BX00461

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 06 juillet 2020, 20BX00461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel il a été assigné à résidence.

Par un jugement n° 1903863 du 15 juillet 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 février et 11 juin 2020, M. D..., représenté par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel il a été assigné à résidence.

Par un jugement n° 1903863 du 15 juillet 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 février et 11 juin 2020, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en date du 15 juillet 2019 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 10 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne du lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, en tout état de cause, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert est entachée d'un défaut de motivation ;

- cette décision est entachée d'un défaut d'examen particulier ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit au regard de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet n'établit pas avoir saisi les autorités italiennes d'une requête aux fins de reprises dans le délai de deux mois prévu par ces dispositions ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'un défaut de motivation ;

- cette décision est dépourvue de base légale dès lors que la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par une lettre du 30 mars 2020, la cour a invité le préfet de la Haute-Garonne à compléter l'instruction en versant toutes pièces et informations afférentes à l'exécution de l'arrêté de transfert ou de la prolongation du délai d'exécution de ce transfert après la lecture du jugement du tribunal administratif.

En réponse à cette demande, le préfet de la Gironde a produit des pièces enregistrées au greffe de la cour le 13 mai 2020.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant guinéen, né le 28 septembre 1999 à Kareki (Guinée), entré en France, selon ses déclarations, le 1er avril 2018, relève appel du jugement en date du 15 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 10 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour par lequel il a été assigné à résidence. M. D... ayant été déclaré en fuite, le délai de son transfert aux autorités italiennes a été prolongé jusqu'au 16 janvier 2021.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant transfert aux autorités italiennes :

2. En premier lieu, l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes vise les textes dont il est fait application et comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait qui le fondent. Il est, par suite, suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation de M. D... pour prendre la décision de transfert aux autorités italiennes contestée.

4. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 20 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Le processus de détermination de l'État membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. (...) / 4. Lorsqu'une demande de protection internationale est introduite auprès des autorités compétentes d'un État membre par un demandeur qui se trouve sur le territoire d'un autre État membre, la détermination de l'État membre responsable incombe à l'État membre sur le territoire duquel se trouve le demandeur. Cet État membre est informé sans délai par l'État membre saisi de la demande et est alors, aux fins du présent règlement, considéré comme l'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite. (...) ". Aux termes de l'article 21 de ce règlement : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et les deuxièmes alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) ". En vertu de l'article 18 dudit règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ". Aux termes de l'article 22 de ce même règlement : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013. / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) ". Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ". Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604 2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ". L'article 2 de ce règlement précise : " Aux fins du présent règlement, on entend par / (...) n) " risque de fuite ", dans un cas individuel, l'existence de raisons, fondées sur des critères objectifs définis par la loi, de craindre la fuite d'un demandeur, un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui fait l'objet d'une procédure de transfert. ". Enfin, aux termes de l'article 15 dudit règlement : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que lors de l'enregistrement de son dossier en préfecture, où M. D... s'est présenté, le 25 février 2019, il a indiqué avoir sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès des autorités italiennes, comme l'a confirmé le relevé de ses empreintes ce même jour. Le préfet de la Haute-Garonne a saisi le 22 mars 2019 les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions du paragraphe 2 de l'article 23 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, comme en atteste l'accusé de réception Dublinet versé au dossier. Cette demande de reprise en charge de M. D... par les autorités italiennes, formée le 22 mars 2019, a été transmise par le biais du réseau de communication " Dublinet ", qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités des Etats membres de l'Union européenne traitant les demandes d'asile. Le préfet produit, pour en justifier, la copie d'un courrier électronique transmis, le 22 mars 2019 à 10h21, à l'adresse " frdub@interieur.gouv.fr ", " point d'accès national " du réseau Dublinet pour la France, ainsi que la copie de la réponse automatique d'accusé de réception du point d'accès national français, depuis l'adresse " frdub@nap01.frdub.testa.eu ", émise le même jour à 10h24. Ces deux courriers portent la référence " FRDUB299302240580-310 ", qui correspond au numéro " 99302240580-310 " du dossier de M. D... indiqué par la préfecture dans le formulaire à fins de reprise en charge qu'elle a adressée aux autorités italiennes. Le préfet produit également la copie d'un autre courrier électronique du 10 mai 2019 constituant l'envoi du constat d'accord implicite par la préfecture au point d'accès national français et la réponse automatique du point d'accès avec le même numéro de référence. Ce constat d'accord implicite édité automatiquement par le réseau de communication électronique " Dublinet ", créé dans le but d'authentifier ces démarches, mentionne l'identité, la date de naissance et la nationalité de M. D..., ainsi que les références des dossiers français et italiens, et atteste à lui seul, contrairement à ce que soutient le requérant, de la réalité et de la date de saisine des autorités italiennes. Enfin, et au demeurant, il ressort des pièces du dossier que M. D..., qui avait expressément indiqué le 11 juillet 2019, suite à la notification de l'arrêté de transfert, s'opposer à son transfert vers l'Italie, a été déclaré comme ayant pris la fuite. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 10 juillet 2019, qui n'est pas devenu caduc, aurait été pris sans que le préfet ne justifie avoir saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge en méconnaissance de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 23 juin 2013.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

7. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.

8. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de M. D..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.

9. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

10. D'une part, M. D... fait valoir que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Les éléments produit par le requérant, et notamment les conclusions d'un rapport de l'OSAR et du DRC du 12 décembre 2018, qui révèlent des défaillances sans pour autant que celles-ci puissent être qualifiées de systémiques, ne permettent pas d'établir que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. D'autre part, si M. D... soutient qu'il souffre de problèmes de santé, il n'établit pas, par les pièces qu'il produit, qu'il ne pourrait bénéficier de soins adaptés à son état de santé et d'un suivi médical en Italie. Par suite, c'est sans entacher son arrêté de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation que le préfet a refusé de faire usage du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. En cinquième lieu, M. D... déclare être entré en France le 1er avril 2018, il est célibataire et sans enfant, et ne justifie pas y disposer d'attaches personnelles et familiales. Dans ces conditions compte-tenu de la durée et des conditions de son séjour en France, la décision contestée n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Haute-Garonne aurait méconnu les dispositions l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. En dernier lieu, et pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, la décision portant transfert aux autorités italiennes ne méconnaît pas les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

13. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes, la décision portant assignation à résidence n'est pas privée de base légale.

14. En deuxième lieu, l'arrêté en litige vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment les dispositions du 1° bis de l'article L. 561-2. Il relève également que M. D... fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités italiennes, mentionne la saisine de ces autorités et leur acceptation implicite de la demande de reprise en charge, et précise que l'exécution de la décision de remise prise à l'égard de l'intéressé demeure une perspective raisonnable. Ce même acte indique que M. D... justifie d'une domiciliation postale à Toulouse. Par suite, l'arrêté, qui énonce ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, est suffisamment motivé.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...)1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...) ".

16. Il ressort des pièces dossier, qu'en raison de l'accord implicite des autorités italiennes, ainsi qu'en l'absence de contrainte invoquée par M. D..., son éloignement constituait une perspective raisonnable. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de la Haute-Garonne aurait entaché l'arrêté contesté d'erreur de droit au regard des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 10 juillet 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreintes ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pierre F..., président,

Mme B... A..., présidente assesseure

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 juillet 2020.

Le président,

Pierre F...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00461


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00461
Date de la décision : 06/07/2020
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Pierre LARROUMEC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-07-06;20bx00461 ?
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