Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Compagnie hôtelière de la Pointe Simon (COHPS) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 5 février 2016 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté sa demande d'agrément pour bénéficier d'un crédit d'impôt à raison d'un investissement productif réalisé outre-mer.
Par un jugement n° 1600141 du 15 février 2018, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et trois mémoires en réplique enregistrés respectivement les 16 avril 2018, 25 juillet 2018, 26 septembre 2018 et 25 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 15 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société COHPS devant le tribunal administratif de la Martinique ;
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, aucun agrément tacite n'est né le 5 septembre 2015 ; aucun agrément tacite n'a pu intervenir avant le 17 mars 2016, date à laquelle a été évoquée pour la première fois une décision tacite d'acceptation, et la décision en refus du 5 février 2016 ne peut dès lors s'analyser comme une décision de retrait d'un agrément tacite ;
- l'investissement ayant fait l'objet de la demande d'agrément ne remplissait pas les conditions légales d'octroi de l'aide fiscale telles qu'elles sont fixées par les dispositions du IV et du 2 du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts, lesquelles lui sont applicables ;
- la commission consultative n'était pas compétente au vu du motif retenu pour rejeter la demande.
Par trois mémoires en défense, enregistrés respectivement les 2 juillet 2018, 7 septembre 2018 et 12 octobre 2018, la société Compagnie hôtelière de la Pointe Simon conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle était titulaire d'un agrément tacite dès le 5 mars 2015 ou, à tout le moins, le 4 septembre 2015 ; le délai de retrait était expiré à la date du 15 février 2016 ; en tout état de cause, les dernières pièces complémentaires demandées ont été adressées à l'administration fiscale le 6 novembre 2015, soit plus de trois mois avant la notification, le 15 février 2016, de la décision de refus du 5 février 2016 ;
- l'investissement en litige répond aux conditions posées par l'article 244 quater W du code général des impôts ; les conditions fixées par les dispositions du IV et du 2 du VIII de cet article ne lui sont pas applicables ; en tout état de cause, l'ensemble des biens mobiliers compris dans l'investissement ne sont pas concernés par les dispositions de l'article 244 quater W relatives aux biens immeubles ;
- l'administration aurait dû lui proposer de saisir la commission consultative prévue par l'article 217 undecies du code général des impôts ; à défaut, elle l'a privée d'une garantie substantielle de la procédure d'agrément prévue par les textes ;
- l'investissement présente un intérêt économique pour la Martinique.
Par ordonnance du 24 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 29 novembre 2019 à 12:00.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... D...,
- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Compagnie hôtelière de la Pointe Simon (COHPS) a présenté le 4 décembre 2014 au ministre chargé du budget une demande d'agrément afin de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le fondement de l'article 244 quater W du code général des impôts à raison d'un investissement productif consistant en l'acquisition, en l'état futur d'achèvement (VEFA), d'un hôtel quatre étoiles comprenant quatre-vingt-quatorze chambres, situé à Fort-de-France. Par une décision du 5 février 2016, le ministre a rejeté cette demande. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à cette demande.
Sur la légalité de la décision du 5 février 2016 :
2. Aux termes de l'article 244 quater W du code général des impôts dans sa version alors en vigueur : " I /1. Les entreprises imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 duodecies à 44 quindecies, exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt à raison des investissements productifs neufs qu'elles réalisent dans un département d'outre-mer pour l'exercice d'une activité ne relevant pas de l'un des secteurs énumérés aux a à l du I de l'article 199 undecies B. L'investissement doit être un investissement initial, au sens de l'article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité. (...) VII Lorsque le montant total par programme d'investissements est supérieur aux seuils mentionnés au II quater et au III de l'article 217 undecies, le bénéfice du crédit d'impôt est conditionné à l'obtention d'un agrément préalable délivré par le ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III du même article. (...) ".
3. Le III de l'article 217 undecies du même code prévoit la délivrance d'un agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de l'outre-mer. Aux termes de ces dispositions : " 1. (...) L'agrément est délivré lorsque l'investissement : a) Présente un intérêt économique pour le département dans lequel il est réalisé (...) b) Poursuit comme l'un de ses buts principaux la création ou le maintien d'emplois dans ce département ; c) S'intègre dans la politique d'aménagement du territoire, de l'environnement et de développement durable ; d) Garantit la protection des investisseurs et des tiers. / L'octroi de l'agrément est subordonné au respect par les bénéficiaires directs ou indirects de leurs obligations fiscales et sociales et à l'engagement pris par ces mêmes bénéficiaires que puissent être vérifiées sur place les modalités de réalisation et d'exploitation de l'investissement aidé. / 2. L'agrément est tacite à défaut de réponse de l'administration dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande d'agrément. Ce délai est ramené à deux mois lorsque la décision est prise et notifiée par l'autorité compétente de l'Etat dans les départements d'outre-mer. (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article 23 de la loi du 12 avril 2000 alors applicable : " Une décision implicite d'acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l'autorité administrative : 1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d'information des tiers ont été mises en oeuvre ; 2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsqu'aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en oeuvre ; 3° Pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été formé ".
5. Par un courrier du 4 décembre 2014, reçu le même jour, la société COHPS a présenté un dossier de demande de l'agrément prévu par les dispositions précitées au titre de l'investissement dans un projet hôtelier à Fort-de-France. Par courrier du 3 mars 2015, le bureau des agréments et rescrits lui a demandé de compléter ce dossier. Il ressort des pièces du dossier, que ce courrier, adressé à M. Geoffroy B..., président de la société COHPS, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 6 mars, lui a également été envoyé par messagerie électronique le 3 mars 2015 à 11h58, à une adresse électronique dont la société défenderesse n'établit ni même n'allègue qu'elle était erronée ou hors service, le ministre produisant la copie d'un message électronique automatique, établissant que le message ainsi envoyé à M. B... a été " lu " le 3 mars 2015 à 12h26, et donc, si l'on tient compte du décalage horaire, en tout état de cause avant le 4 mars 2015 à minuit. Par suite, la société COHPS ne peut être regardée comme ayant été titulaire d'un agrément tacite dès cette dernière date.
6. La société COHPS a répondu à cette demande d'informations complémentaires par un courrier du 2 juin 2015. Si le ministre de l'action et des compte publics fait valoir que ce courrier a été reçu le 5 juin 2015, et produit à cet égard une copie de ce courrier sur lequel est apposé un tampon de la Direction générale des Finances Publiques indiquant une arrivée au bureau des agréments et des Rescrits le 5 juin 2015, la société COHPS produit un courrier de La Poste, relatif au colissimo sous le numéro duquel a été acheminé le courrier en litige, et une " Preuve de livraison " émanant de La Poste, attestant d'une réception le 4 juin à 11h01. Le ministre de l'action et des comptes publics ne conteste pas l'authenticité de ces documents et se contente de faire valoir que le bureau des agréments et rescrits, seul compétent pour instruire la demande, a reçu les compléments d'information adressés par la société COHPS le 5 juin 2015 et pouvait légitimement penser que le délai de trois mois commençait de courir à compter de cette date. Cependant, alors même que ce courrier n'aurait été tamponné au bureau des agréments et rescrits que le 5 juin 2015, il a été reçu dès le 4 juin 2015 par l'administration et il convient de prendre en considération cette date pour apprécier l'existence d'une décision tacite à l'issue du délai d'instruction.
7. Il en résulte que la société COHPS doit être regardée comme ayant été titulaire d'un agrément tacite à compter du 4 septembre 2015, à minuit. Contrairement à ce que soutient le ministre, la société COHPS peut valablement se prévaloir, dans le cadre de la présente instance, de cet agrément tacite, alors même qu'elle n'en aurait pas invoqué l'existence, auprès de l'administration, à la date à laquelle il a été acquis. Dans ces conditions, la décision contestée du 5 février 2016, qui refuse l'agrément sollicité, doit s'analyser comme une décision de retrait de l'agrément tacitement délivré. Il résulte des dispositions précitées de l'article 23 de la loi susvisée du 12 avril 2000, que le ministre ne disposait que d'un délai de deux mois pour retirer cet agrément tacite. Par suite, la décision du 5 février 2016, intervenue après l'expiration de ce délai, est entachée d'illégalité et doit être annulée. A cet égard, si le ministre fait également valoir que l'investissement réalisé par la société COHPS ne respectait pas les conditions posées par l'article 244 quater W du code général des impôts, ce moyen est inopérant est ne peut dès lors être accueilli.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 5 février 2016 par laquelle le ministre du budget a rejeté la demande d'agrément présentée par la société COHPS à raison d'un investissement consistant en l'acquisition Fort-de-France, en l'état futur d'achèvement (VEFA), d'un hôtel quatre étoiles comprenant quatre-vingt-quatorze chambres.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. En application de ces dispositions il convient de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société COHPS et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société COHPS une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 7961-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Compagnie hôtelière de la Pointe Simon.
Délibéré après l'audience du 4 juin 2020 à laquelle siégeaient :
Mme C... E..., présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
Mme A... D..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 02 juillet 2020.
La présidente,
Brigitte E...
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX01570