Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. et Mme G... D..., agissant tant en leur qualité de représentants légaux de leur fils H... D... qu'en leur nom personnel, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une nouvelle expertise médicale, confiée à un spécialiste de chirurgie cardiaque pédiatrique et un pédiatre neurologue, avec mission habituelle en matière de responsabilité hospitalière, et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1603870 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 août 2018, 4 décembre 2018, 4 juillet 2019, 22 novembre 2019, 21 janvier 2020, 10 février 2020 et 16 mars 2020, M. et Mme G... D..., agissant tant en leur qualité de tuteurs de leur fils H... D... qu'en leur nom personnel, représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 19 juin 2018 ;
2°) d'ordonner une expertise médicale, confiée à un collège d'experts composé d'un spécialiste de chirurgie cardiaque et d'un pédiatre neurologue et concernant le CHU de Bordeaux et le centre chirurgical Marie Lannelongue ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur fils H..., né le 2 janvier 1994 au CH de Périgueux et souffrant d'une malformation cardiaque, a été hospitalisé au CHU de Bordeaux où il a fait l'objet à quatre jours de vie d'une manoeuvre de Rashkind, au cours de laquelle il a souffert d'un arrêt cardiaque nécessitant un massage externe, et au décours de laquelle des troubles neurologiques sont apparus, le confinant ensuite au fauteuil ; il est entièrement dépendant ;
- le rapport de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal, remis le 17 juin 2015, qui a conclu à l'absence de manquement du CHU dans la prise en charge de H..., est affecté de nombreuses irrégularités et le tribunal ne pouvait se borner à relever qu'à elle seule, chacune d'entre elles ne suffisait pas à en entacher la validité;
- le professeur Francine Leca, sapiteur, est régulièrement mandatée par des professionnels de santé et des sociétés d'assurance ; l'expert a refusé de les éclairer sur la nature et l'étendue des missions d'expertise habituellement confiées à ce médecin ; ces éléments conduisent à présumer l'absence d'indépendance du sapiteur, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 621-3 du code de justice administrative ;
- en méconnaissance des dispositions de l'article R. 621-2 du code de justice administrative, dont il résulte que l'expert doit accomplir personnellement sa mission, et des dispositions de l'article R. 4127-106 du code de la santé publique, en vertu desquelles le médecin expert doit se récuser s'il estime que les questions posées sont étrangères à ses connaissances ou l'exposeraient à méconnaitre le code de déontologie, le professeur Leca, précisément interrogée sur l'intervention chirurgicale de manoeuvre de Rashkind, a admis n'avoir jamais pratiqué cette intervention et avoir interrogé un confrère ; compte tenu de la technicité du débat médical en l'espèce, le sapiteur n'a ainsi pas satisfait à son obligation de remplir personnellement sa mission ;
- en méconnaissance des dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative, l'expertise n'a pas respecté le principe du contradictoire ; en effet, l'avis d'un médecin a été recueilli sans être soumis à un débat contradictoire entre les parties ; de plus, les références bibliographiques auxquelles l'expert fait référence n'ont pas été citées, de sorte que les parties n'ont pas été mises à même d'en débattre ;
- le rapport d'expertise comporte des propos, tenus par le professeur Leca, sapiteur, qui sont déplacés et constituent un manquement à ses devoirs d'objectivité et de réserve ;
- l'expert n'a pas accompli l'intégralité de sa mission, ayant pris la liberté de ne pas décrire les préjudices de H... D... ;
- il convient d'ordonner une contre-expertise au regard des analyses faites par le docteur Losay, spécialiste de l'intervention de la manoeuvre de Rashkind, du professeur Tardieu, spécialiste de neurologie pédiatrique, et du professeur Chantepie, cardiologue pédiatre ayant pratiqué à de nombreuses reprises la manoeuvre de Rashkind, qui contredisent les conclusions de l'expert quant à l'absence de manquement fautif du centre hospitalier et imputent les séquelles que présente H... D... à ces manquements ; la question de la responsabilité sans faute peut également être posée compte tenu de la rareté des complications survenues ;
- il convient en outre d'ordonner une expertise aux fins de se prononcer sur une éventuelle imputabilité du dommage à la prise en charge assurée par le centre chirurgical Marie Lannelongue ; ils versent aux débats l'entier dossier médical de H... dans cet établissement.
Par un mémoire enregistré le 18 décembre 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me B...,conclut à sa mise hors de cause.
Il soutient que les actes de soins en cause ayant été réalisés en 1994, soit avant
le 5 septembre 2001, il doit être mis hors de cause au regard des dispositions de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2002.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 juin 2019, 14 novembre 2019,
10 décembre 2019 et 2 mars 2020, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par Me J..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le professeur Leca n'est pas le médecin-conseil de la SHAM, et n'a été consultée que ponctuellement en raison de ses compétences professionnelles spécialisées dans la chirurgie cardiaque, notamment pédiatrique ; elle ne saurait être suspectée de partialité en raison de ces missions épisodiques ;
- le professeur Leca a analysé les faits au regard de son expérience et de la littérature médicale ; elle s'est rapprochée d'un confrère aux fins de se voir confirmer sa propre analyse, sans aucunement lui confier l'expertise ; elle a ainsi exercé personnellement la mission qui lui était confiée ;
- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu au cours des opérations d'expertise, l'expert ayant communiqué aux parties la teneur de ses conclusions et recueilli leurs dires ; le docteur Sidi n'a été interrogé qu'aux fins de confirmer l'analyse du sapiteur sur les cas dans lesquels la manoeuvre de Rashkind est urgente ; à le supposer irrégulier, le rapport d'expertise peut être retenu comme élément d'information ;
- la formule maladroite du sapiteur, qui n'est pas péjorative, ne saurait révéler un manquement à son devoir d'objectivité ;
- compte tenu de la mission d'expertise définie par le tribunal, l'expert, après avoir exclu l'imputabilité de l'état de santé de H... D... à des manquements du centre hospitalier, n'était pas tenu d'évaluer ses préjudices ;
- une nouvelle expertise revêtirait un caractère frustratoire et inutile ; l'analyse de l'expert est d'ailleurs confirmée par le professeur Fraisse, cardiologue pédiatre, qui a pratiqué une centaine d'interventions de Rashkind ; le risque de complications majeures au décours d'une telle intervention est de l'ordre de 6 % ; aucun des éléments médicaux ne permet d'établir un retard de soins ou encore un lien de causalité entre l'arrêt cardiaque survenu au décours de la manoeuvre de Rashkind et les importantes séquelles neurologiques que présente M. H... D... ;
- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître d'une action en responsabilité contre un établissement privé de santé.
Par un mémoire enregistré le 11 mars 2020, le centre chirurgical Marie Lannelongue, représenté par Me E..., conclut au rejet des conclusions des consorts D... tendant au prononcé d'une mesure d'expertise le concernant, et à ce que soit mise à la charge des consorts D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le juge administratif est incompétent pour ordonner une mesure au contradictoire d'un établissement privé de santé et pour connaître de l'action engagée à son encontre par les consorts D... ;
- la qualité de la prise en charge de M. H... D... par son établissement n'est pas discutée par les experts, et la cour dispose déjà de l'ensemble des éléments utiles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme L... C...,
- les conclusions d'Aurélie Chauvin, rapporteur public,
- les observations de Me A..., représentant M. et Mme G... D..., celles de Me I..., représentant le CHU de Bordeaux et celles de Me F..., représentant l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... D..., né le 2 janvier 1994 au centre hospitalier de Périgueux, présentait à la naissance une malformation cardiaque congénitale consistant en un ventricule droit à double issue avec transposition des gros vaisseaux, une importante communication intra-ventriculaire sous pulmonaire et un large canal artériel perméable. Il a été transféré le 3 janvier 1994 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, au sein duquel un traitement par Prostine a été mis en place le 4 janvier 1994 et une intervention de Rashkind réalisée le 6 janvier 1994, en fin d'après-midi, intervention au décours de laquelle est survenue une bradycardie. L'enfant a par la suite été hospitalisé le 15 septembre 1994 au sein du centre chirurgical Marie Lannelongue, où une intervention chirurgicale de correction de sa malformation cardiaque, dite " Switch ", a été pratiquée, intervention au décours de laquelle est survenu un choc cardiogénique aigu.
M. H... D... présente aujourd'hui des troubles neurologiques majeurs, notamment une hypertonie du membre supérieur gauche, une paraplégie des membres inférieurs, une amyotrophie musculaire et un important retard mental. Imputant ces troubles neurologiques à des manquements dans la prise en charge de leur fils H... au sein du centre hospitalier universitaire de Bordeaux en janvier 1994, M. et Mme D... ont saisi le 13 mars 2014 le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise. Par une ordonnance du 26 juin 2014, le juge des référés a fait droit à leur demande et a confié cette expertise au Dr Benchimol, cardiologue. Par des ordonnances du 12 septembre 2014 et
du 25 février 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a désigné le professeur Leca, chirurgien en cardiopédiatrie, et le Docteur Besson-Léaud, pédiatre réanimateur, en qualité de sapiteurs. Le rapport d'expertise remis le 17 juin 2015 a conclu à l'absence de manquement fautif du CHU, et ne s'est pas prononcé sur les préjudices.
M. et Mme D..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils H... D..., dont ils sont les tuteurs depuis sa majorité, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une nouvelle expertise médicale. Ils relèvent appel
du jugement du 19 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
2. Le rapport d'expertise du 17 juin 2015 indique, dans ses conclusions, que l'existence d'une souffrance anténatale revêt un caractère certain compte tenu de la microcéphalie
que M. H... D... présentait à la naissance et des caractéristiques des lésions cérébrales constatées lors d'examens, évocatrices de lésions survenues pendant la vie foetale. S'agissant de la manoeuvre de Rashkind réalisée le 6 janvier 1994, le rapport d'expertise conclut à l'absence de retard de prise en charge, et relève que la bradycardie survenue lors de cette intervention est une " complication classique " et n'a pas eu de conséquence identifiable sur l'état de santé
de l'enfant, dont l'état neurologique est en lien avec l'état antérieur de souffrance anténatale,
et a pu être aggravé par une insuffisance rénale ainsi que par le choc cardiogénique survenu au décours de la chirurgie cardiaque correctrice réalisée en septembre 1994 au sein
du centre chirurgical Marie Lannelongue. Ces conclusions se fondent sur l'avis
du Dr Besson-Léaud, pédiatre, désigné en qualité de sapiteur, qui indique que le tableau clinique neurologique est évocateur de lésions ischémo-hémorragiques anténatales, que l'intervention de Rashkind ne revêtait pas un caractère urgent en l'absence d'acidose métabolique, traduisant l'absence de souffrance cellulaire, que la " grande bradycardie pratiquement équivalente à un arrêt cardiaque " a été traitée immédiatement, sans massage cardiaque externe, de sorte que la souffrance cérébrale a été de courte durée. Les conclusions de l'expertise se fondent également sur l'analyse du Dr Leca, professeur en chirurgie cardiopédiatrique, qui relève que la réalisation d'une intervention de Rashkind n'est urgente que dans la seule hypothèse où la malformation cardiaque consiste en une transposition des gros vaisseaux simple, ce qui n'était pas le cas
de M. H... D..., que la bradycardie survenue lors de cette intervention " semble " avoir été de courte durée, sans véritable arrêt cardiaque, et ajoute que le risque de complications durant ce type d'intervention est de l'ordre de 0,3 à 1, 3 %.
3. Toutefois, s'agissant de la question de l'imputabilité de l'état neurologique
de M. H... D... à une souffrance cérébrale anténatale, le Dr Besson-Léaud, sapiteur,
se fonde notamment sur une microcéphalie révélée, selon lui, par le périmètre crânien de 31 cm à la naissance, et sur les lésions cérébrales mises à jour par un scanner et une échographie réalisés à un mois de vie. Or, cette analyse s'appuie sur une donnée inexacte, la fiche renseignée par le service de néonatalogie du centre hospitalier de Périgueux mentionnant un périmètre crânien de 32 cm, et non pas 31 cm, ce qui correspond, selon les notes établies par le professeur Chantepie, professeur en pédiatrie, à " la limite basse des normes pour le terme de 39 semaines d'aménorrhée ". En outre, s'agissant des lésions qui évoqueraient une souffrance cérébrale anténatale, le sapiteur n'assortit son analyse d'aucun élément de littérature médicale, et cette analyse est fermement contredite par la note établie par le professeur Tardieu, neuropédiatre, qui relève que l'existence de calcifications cérébrales observées à un mois de vie ne permettent pas de dater les lésions avant la naissance ou durant la première semaine de vie.
4. Par ailleurs, s'agissant de la question de l'urgence à réaliser l'intervention de Rashkind, le professeur Leca, sapiteur, indique qu'une telle intervention n'est urgente que dans le cas d'une transposition des gros vaisseaux simple, c'est-à-dire sans communication intraventriculaire. Le sapiteur, qui précise ne jamais avoir pratiqué cette intervention, indique se fonder sur la consultation de la littérature médicale, sans la citer, et " surtout " sur une discussion avec un cardiopédiatre qui lui a " confirmé avec quel éclectisme il posait l'indication, tout heureux s'il pouvait se passer de ce geste qui n'est pas anodin ". Or, cette analyse, peu étayée, est fermement contredite par les notes établies par le professeur Losay, chirurgien en cardiopédiatrie, qui a fréquemment pratiqué l'intervention de Rashkind, et du professeur Chantepie, également chirurgien en cardiopédiatrie, qui relèvent que lorsque la transposition des gros vaisseaux est associée à une importante communication intraventriculaire et à un large canal artériel, comme c'était le cas de M. H... D..., et s'accompagne d'un oedème pulmonaire, précisément lié à ces deux shunts, et par voie de conséquence d'un hyper débit pulmonaire entraînant l'augmentation de la pression sanguine dans l'oreillette gauche, d'une part, l'intervention de Rashkind doit être pratiquée en urgence, d'autre part, l'administration de Prostine est proscrite. Ces deux chirurgiens en cardiopédiatrie contredisent également l'analyse du sapiteur, partagée par celle du professeur Fraisse, également chirurgien en cardiopédiatrie, sur le point de savoir si M. H... D... présentait, à la naissance et dans ses premiers jours de vie, une insuffisance respiratoire consécutive à un oedème pulmonaire, avec une aggravation hémodynamique, de nature à justifier la réalisation en urgence d'une manoeuvre de Rashkind. Les professeurs Losay et Chantepie relèvent que le retard de réalisation du Rashkind, qui avait pourtant été initialement prévu le 4 janvier 1994, a majoré le risque de survenance de complications majeures lors de cette intervention, risque qui s'est, selon eux, réalisé.
5. S'agissant ensuite de la bradycardie survenue au décours du Rashkind réalisé
le 6 janvier 1994 en fin d'après-midi, aucune pièce du dossier ne permet de déterminer l'occurrence de la réalisation d'un tel risque lors de ce type d'intervention, ni encore
si les parents du jeune H... D... en avaient été informés. En outre, alors que l'expert,
se basant sur la mention " RAS " portée sur la feuille d'anesthésie et sur une absence de réalisation de massage cardiaque externe, indique que cette bradycardie " semble " avoir été de courte durée, et en déduit qu'elle n'est pas à l'origine des troubles neurologiques de M. H... D..., il ressort d'autres pièces médicales, en particulier de la feuille de transmission renseignée par un interne en médecine et de la fiche pré-anesthésique remplie avant la réalisation d'une intervention de cerclage de l'artère pulmonaire le 1er mars 1994, que la bradycardie
a duré 5 minutes et qu'un massage cardiaque externe a dû être réalisé. De plus, selon les professeurs Losay et Chantepie, chirurgiens en cardiopathie, et le professeur Tardieu, neuropédiatre, le jeune H... D... a subi, durant cette épisode de bradycardie majeure, une hypoxie qui a entraîné des troubles neurologiques, et a d'ailleurs présenté, à la suite immédiate de cette intervention, une altération neurologique brutale et profonde. Le professeur Fraisse, chirurgien en cardiopédiatrie, admet également la probabilité d'un accident neurologique au décours du Rashkind, tout en indiquant qu'il ne s'agit pas de l'unique cause des troubles neurologiques, qui ont, selon lui, pour causes principales la souffrance anténatale et le choc cardiogénique aigu survenu au décours du " Switch " pratiqué au sein du centre chirurgical Marie Lannelongue (devenu hôpital Lannelongue) en septembre 1994.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 5 du présent arrêt que le rapport d'expertise du 17 juin 2015 ne repose pas sur une analyse minutieuse et complète des éléments du dossier médical de M. H... D..., que ses conclusions procèdent, sur certains points, d'un raisonnement dénué de toute rigueur scientifique, et ne sont en outre assorties d'aucune littérature médicale. De plus, les nombreux éléments médicaux apportés par les parties sont, sur plusieurs points, contradictoires. Le rapport d'expertise et les éléments médicaux versés au dossier ne permettent ainsi de déterminer ni l'origine du dommage, ni la part respective prise par les différents facteurs qui ont pu y concourir, ni le taux de survenance du risque opératoire
qui se serait réalisé, et pas davantage l'ampleur de la perte de chance qu'aurait fait courir un retard dans la manoeuvre de Rashkind, ni celle des préjudices subis. Ainsi que le soutiennent
M. et Mme D..., la mesure d'expertise sollicitée apparaît ainsi utile dans la perspective de l'introduction d'un recours en responsabilité contre le CHU de Bordeaux. Le présent litige étant de nature à relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction administratif, le juge administratif a compétence, contrairement à ce que soutient l'hôpital Marie Lannelongue, pour ordonner une mesure d'instruction sans que soit en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Il y a ainsi lieu d'ordonner une nouvelle expertise médicale, qui se déroulera au contradictoire tant du CHU de Bordeaux que de l'hôpital Marie Lannelongue, aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
7. Dès lors que les dispositions du II de l'article L.1142-1 du code de la santé publique prévoyant la prise en charge par l'ONIAM, au titre de la solidarité nationale, de certains accidents médicaux ne sont applicables que pour les faits survenus après le 5 septembre 2001,
en vertu de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé, modifié par la loi du 30 décembre 2002, l'ONIAM est fondé à demander
sa mise hors de cause.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité
de l'expertise, M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à ce que soit ordonnée une nouvelle expertise médicale.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603870 du 19 juin 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Une expertise médicale est ordonnée. L'expert ou le collège d'experts aura pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. H... D... et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur lui lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Périgueux, le CHU
de Bordeaux et le centre chirurgical Marie Lannelongue (devenu Hôpital Marie Lannelongue) ; prendre connaissance du rapport d'expertise du Dr Benchimol du 17 juin 2015 ; convoquer
et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical
de M. H... D... ainsi qu' à son examen clinique ;
2°) décrire l'état de santé de M. H... D... ; décrire l'état pathologique
de M. H... D... ayant conduit aux soins, aux interventions et aux traitements pratiqués au sein du CHU de Bordeaux et du centre chirurgical Marie Lannelongue ;
3°) décrire les conditions dans lesquelles l'intervention chirurgicale de Rashkind a été réalisée le 6 janvier 1994 au CHU de Bordeaux en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si la prise en charge (investigations, traitements, soins, surveillance, organisation du service) a été exempte de manquement , c'est-à-dire, concernant la prise en charge médicale proprement dite, si elle a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits en litige, notamment concernant le délai d'intervention et la prescription de Prostine, et, concernant l'organisation et le fonctionnement du service, s'ils ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations existantes ;
4°) déterminer l'origine des troubles neurologiques de M. H... D... en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies, et l'état antérieur ; le cas échéant, déterminer la part du dommage présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec un manquement reproché au CHU de Bordeaux ou à un accident médical non fautif, en excluant la part des séquelles à mettre en relation avec la pathologie initiale, son évolution ou toute autre cause extérieure ;
5°) dans le cas où le dommage serait directement imputable à un accident médical survenu sans manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science, d'évaluer le taux du risque opératoire qui s'est, le cas échéant, réalisé en l'espèce, c'est-à-dire la probabilité que le dommage avait de survenir en raison de l'acte de soins en cause, eu égard aux séries statistiques disponibles et aux caractéristiques particulières de l'état de
santé pré-opératoire de M. H... D... ; de quantifier également la probabilité qu'avait
M. H... D..., avant l'opération ou l'acte de soins litigieux, d'être atteint à court terme et à moyen terme (préciser le délai), du fait de l'évolution spontanée de son état antérieur, c'est-à-dire en l'absence de tout geste médical, du même handicap que celui dont il a été effectivement atteint à l'issue de la prise en charge litigieuse ; de préciser les références des données médicales sur lesquelles il se fonde, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique pertinents ;
6°) préciser, dans le cas où le manquement éventuellement commis au cours de la prise en charge médicale n'a entraîné pour M. H... D... qu'une perte de chance d'échapper au dommage constaté, le taux de cette perte de chance, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui leur paraîtraient pertinents ;
7°) décrire, sans imputer le taux de perte de chance éventuellement retenu, la nature et l'étendue des préjudices résultant de la prise en charge hospitalière de M. H... D..., en les distinguant de son état antérieur et des conséquences prévisibles de sa prise en charge médicale si celle-ci s'était déroulée normalement ; à cet égard, d'apporter les éléments suivants :
a) dire si l'état de M. H... D... est consolidé ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ; proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de l'intéressé en fixant notamment la période d'incapacité temporaire et le taux de celle-ci, ainsi que le taux d'incapacité permanente ;
b) donner son avis sur les dépenses de santé rendues nécessaires par l'état
du jeune H... en lien avec les faits en litige ;
c) préciser les frais liés au handicap dont la nécessité résulterait du dommage ;
d) décrire et évaluer les souffrances physiques, psychiques ou morales subies, et préciser leur lien avec les faits en litige ;
e) évaluer le préjudice d'agrément ;
f) donner tous autres éléments d'information nécessaires à la réparation de l'intégralité du dommage subi par M. H... D... à raison des faits en litige, notamment apprécier le besoin en aide d'une tierce personne, le préjudice sexuel et d'établissement ;
8°) préciser clairement, pour chacun de ces postes de préjudices :
a) la part qui résulte du manquement et/ou de l'accident médical en cause ;
b) la part éventuelle qui résulterait de l'état de santé antérieur du patient ;
c) la part éventuelle qui résulterait de faits postérieurs au manquement ou à l'accident médical, survenus dans un autre établissement de santé que celui dans lequel sont survenus le manquement et/ou l'accident en litige.
Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre M. et Mme G... D..., la caisse nationale militaire de sécurité sociale, le CHU de Bordeaux et l'hôpital Marie Lannelongue.
Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles et notamment, tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.
Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans le délai fixé par la présidente de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 6 : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme G... D..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à l'hôpital Marie Lannelongue, à la caisse nationale militaire
de sécurité sociale et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.Copie sera adressée au docteur Benchimol, expert, et aux docteurs Leca et Besson Léaud, sapiteurs.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
Mme L... C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03071