Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy (CHLDB) a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre par le département de la Guadeloupe le 24 novembre 2016 mettant à sa charge la somme de 32 828,96 euros correspondant aux frais d'hébergement de Mme D..., et de le décharger de l'obligation de payer la somme correspondante.
Par un jugement n° 1601197 du 8 février 2018, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre exécutoire du 24 novembre 2016 et déchargé le CHLDB de l'obligation de payer la somme de 32 828,96 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés les 9 avril 2018 et 24 juillet 2018, le département de la Guadeloupe, représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 8 février 2018 ;
2°) de rejeter les demandes du centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy ;
3°) de mettre à la charge du CHLDB le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- il est également insuffisamment motivé en ce qu'il n'a pas répondu à l'intégralité des moyens de défense du département, notamment la négligence fautive de l'établissement et la théorie de l'enrichissement sans cause ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que le CHLDB n'avait jamais été autorisé à percevoir les revenus de Mme D... ;
- il a méconnu les dispositions de l'article L. 132-4 du code de l'action sociale et des familles qui prévoient que l'autorisation de perception directe des revenus de la personne hébergée peut résulter d'une demande présentée par l'établissement de santé ; en l'espèce, une telle demande est intervenue le 21 juin 2011, alors que Mme D... n'avait jamais contribué à ses frais d'hébergement depuis 2003 ;
- il a méconnu les dispositions de l'article R. 132-2 du code de l'action sociale et des familles en s'abstenant de rechercher si l'établissement, qu'il ait ou non été autorisé à le faire, avait effectivement perçu les revenus de Mme D..., ce qui aurait fait bénéficier l'établissement d'un enrichissement sans cause ;
- le titre exécutoire litigieux satisfait aux exigences de motivation dès lors qu'il a été précédé de deux décisions notifiant à l'établissement la somme concernée et son calcul ;
- l'établissement bénéficiait d'une autorisation tacite pour percevoir les revenus de Mme D..., à la suite de sa demande du 21 juin 2011 ;
- l'établissement est entièrement fautif pour n'avoir pas sollicité le renouvellement de cette autorisation au terme de deux ans, à compter du mois de juillet 2013 et jusqu'au décès de Mme D... ;
- cette faute est à l'origine du préjudice du département, alors qu'il n'est pas établi que celui-ci puisse recouvrer la dette sur la succession de Mme D... ;
- le délai de prescription quadriennale n'a commencé à courir qu'à compter du 1er janvier 2014, dès lors qu'en juillet 2013 faute de renouvellement de la demande d'autorisation de prélèvement, le département ne pouvait plus ignorer que le centre hospitalier n'entendait pas recouvrer les frais d'hébergement sur les revenus de Mme D....
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2019, le centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du département de la Guadeloupe le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments de défense ;
- aucune autorisation, même tacite, de perception des revenus de Mme D... n'est intervenue dès lors qu'aucun document signé de la main de l'intéressée n'est produit ; la demande du 21 juin 2011 n'a pas été présentée comme émanant du centre hospitalier, et n'explique d'ailleurs pas les conditions de constatation d'un non-paiement par l'intéressée, ce qui la rendrait irrégulière, alors au surplus qu'elle ne pouvait être présentée de manière rétroactive ;
- aucun élément n'est de nature à établir l'existence d'un enrichissement sans cause, et dans ces conditions le tribunal administratif n'avait pas à en rechercher les conditions, ayant implicitement admis que le CH n'avait jamais perçu les revenus qu'il lui était demandé de rembourser ;
- le titre exécutoire n'indique pas les bases de liquidation et ne fait pas référence à un document annexé ou précédemment joint ; la lettre du 2 mai 2016 porte d'ailleurs sur une période différente et ne comporte aucune motivation en droit : la décision de la présidente du conseil départemental du 7 juillet 2016 ne permet pas de comprendre le calcul de la somme réclamée ;
- en toute hypothèse, si une autorisation tacite est née, elle ne couvrirait que la période comprise entre le 22 juillet 2011 et le 21 juillet 2013 ;
- aucune négligence fautive ne saurait lui être imputée, alors qu'en revanche le département a attendu deux ans après le décès pour s'inquiéter du non-reversement des sommes depuis plus de 10 ans ;
- le montant sollicité n'est pas justifié ;
- la créance est prescrite pour la période comprise entre 2004 et 2011.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;
- et les observations de Me Costes, avocat, représentant le centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Guadeloupe a notifié au centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy (CHLDB) de Pointe-Noire un titre exécutoire du 24 novembre 2016 d'un montant de 32 828,96 euros au titre du recouvrement des frais d'hébergement de Mme D..., veuve B..., pour la période du 1er décembre 2004 au 24 mai 2014. Le département relève appel du jugement du 8 février 2018 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé ce titre exécutoire et déchargé le CHLDB de l'obligation de payer la somme correspondante.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il ressort de la minute du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe qu'il a été régulièrement signé par le président-rapporteur, l'assesseure la plus ancienne et la greffière. Le département de la Guadeloupe n'est, par suite, pas fondé à soutenir que ledit jugement méconnaîtrait les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative.
3. En second lieu, les premiers juges, qui ont suffisamment motivé leur décision et les raisons pour lesquelles ils ont estimé que le titre exécutoire en litige devait être annulé pour un motif de légalité interne, n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments exposés en défense par le département de la Guadeloupe. En retenant que le CHLDB n'avait jamais été autorisé à percevoir les revenus de pension de Mme D..., le tribunal l'a implicitement mais nécessairement regardé comme n'ayant pu effectivement percevoir ces pensions aux lieu et place de l'hébergée. Dès lors, la circonstance que le jugement ne fasse pas explicitement état de la faute invoquée par le département à l'encontre de l'établissement hospitalier pour n'avoir pas mis en oeuvre une autorisation implicite en ce sens acquise en 2011 ni en avoir sollicité le renouvellement, non plus que de l'enrichissement sans cause évoqué par le défendeur de première instance pour avoir perçu ces sommes sans les rembourser au département, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement critiqué.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Pour annuler le titre exécutoire émis le 24 novembre 2016 par le département de la Guadeloupe, les premiers juges ont estimé, en référence aux dispositions des articles L. 132-4 et R. 132-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles, seules invoquées en l'espèce, que le CHLDB n'a jamais été autorisé à percevoir les revenus de Mme D....
5. Aux termes des dispositions l'article L. 132-4 du code de l'action sociale et des familles : " La perception des revenus, y compris l'allocation de logement à caractère social, des personnes admises dans les établissements sociaux ou médico-sociaux au titre de l'aide sociale aux personnes âgées, peut être assurée par le comptable de l'établissement public ou par le responsable de l'établissement de statut privé, soit à la demande de l'intéressé ou de son représentant légal, soit à la demande de l'établissement lorsque l'intéressé ou son représentant ne s'est pas acquitté de sa contribution pendant trois mois au moins. Dans les deux cas, la décision est prise par le représentant de la collectivité publique d'aide sociale compétente, qui précise la durée pendant laquelle cette mesure est applicable. Le comptable de l'établissement reverse mensuellement à l'intéressé ou à son représentant légal, le montant des revenus qui dépasse la contribution mise à sa charge. En tout état de cause, l'intéressé doit disposer d'une somme mensuelle minimale (...) ". L'article R. 132-2 du même code précise : " Sauf dans les cas prévus à l'article L. 132-4, où la perception de ses revenus est assurée par l'établissement, la personne accueillie de façon permanente ou temporaire, au titre de l'aide sociale, dans un établissement social ou médico-social relevant de l'aide sociale aux personnes âgées, s'acquitte elle-même de sa contribution à ses frais de séjour. ". L'article R. 132-3 du même code ajoute : " Les demandes prévues à l'article L. 132-4, en vue d'autoriser la perception des revenus par les établissements sont adressées au président du conseil général. La demande comporte l'indication des conditions dans lesquelles la défaillance de paiement est intervenue, la durée de celle-ci, ainsi que, le cas échéant, les observations de l'intéressé ou de son représentant légal. Dans le cas où la demande émane de la personne concernée, elle est accompagnée de l'avis du responsable de l'établissement ". Enfin, selon l'article R. 132-4 de ce code : " Le président du conseil général dispose, pour se prononcer sur la demande de perception des revenus, d'un délai d'un mois courant à compter de la date de réception de celle-ci. A l'expiration de ce délai et sauf si, au cours de celui-ci, une décision expresse a été notifiée à la personne et à l'établissement intéressés, l'autorisation est réputée acquise. La personne concernée en est immédiatement informée. La durée de l'autorisation est de deux ans lorsqu'elle a été tacitement délivrée. Lorsque l'autorisation résulte d'une décision expresse notifiée dans les conditions prévues au deuxième alinéa, sa durée ne peut être inférieure à deux ans ni supérieure à quatre ans. "
6. Mme D... a été hébergée au CHLDB du 18 décembre 2003 jusqu'à son décès, survenu le 24 mai 2014. Il est constant que, par une décision du 12 mars 2004, le président du conseil général de la Guadeloupe lui a accordé le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement, sous déduction d'une participation de l'intéressée à hauteur de 90% de ses ressources. Le département a toutefois versé au centre hospitalier l'intégralité du coût de l'hébergement de Mme D... et a soutenu que le CHLDB ayant directement perçu les revenus de Mme D..., il incombait à l'établissement de lui rembourser la contribution due par cette dernière, en application des dispositions précitées.
7. En premier lieu, si le département persiste à se prévaloir d'une première demande en date du 23 décembre 2003 selon laquelle Mme B..., née D..., sollicite la perception de ses revenus par le comptable du CHLDB, il n'est pas contesté que cette demande n'est pas signée de Mme D... et comporte une signature assortie de l'indication " pour Mme B..., Mme F... " alors qu'il n'est ni établi ni même soutenu que cette dernière aurait eu qualité pour agir pour le compte de Mme D.... Par ailleurs, si le département se prévaut également d'une seconde demande de même nature, datée du 21 juin 2011, censée émaner de Mme D..., elle n'est pas davantage signée de l'intéressée et comporte seulement une signature illisible sur le tampon de l'unité d'intervention socio-éducative du CHLDB ainsi que l'avis favorable du directeur de l'établissement. Dans ces conditions, comme l'a justement relevé le tribunal, aucune de ces deux demandes ne pouvait être regardée comme ayant fait naître une autorisation régulière de perception des revenus de Mme D... par le CHLDB à l'instigation de l'intéressée. Par ailleurs, le département ne saurait soutenir que l'un ou l'autre de ces deux documents devrait s'analyser comme une demande de l'établissement lui-même, au sens des articles précités, dès lors que cette seconde hypothèse suppose, d'une part, que l'établissement justifie que l'intéressée ne se soit pas acquittée de sa contribution pendant au moins trois mois et, d'autre part, que sa demande comporte expressément l'indication des conditions dans lesquelles la défaillance de paiement est intervenue, la durée de celle-ci, ainsi que, le cas échéant, les observations de l'intéressée ou de son représentant légal, ce qui n'était nullement le cas en l'espèce. Au demeurant, le département n'établit ni ne soutient avoir informé Mme D... de la délivrance d'une telle autorisation, même tacite, comme le prévoit pourtant le deuxième alinéa de l'article R. 132-4 précité du code de l'action sociale et des familles.
8. En deuxième lieu, l'article R. 132-5 du code de l'action sociale et des familles dispose : " En cas d'autorisation de la perception des revenus par l'établissement, la personne concernée doit remettre au responsable de l'établissement les informations nécessaires à la perception de l'ensemble de ses revenus, y compris l'allocation de logement à caractère social, et lui donner les pouvoirs nécessaires à l'encaissement desdits revenus, sous réserve de la restitution de la part non affectée au remboursement des frais de séjour. / Sur demande de versement accompagnée, en cas d'autorisation expresse, d'une copie de celle-ci, l'organisme débiteur effectue le paiement direct au comptable de l'établissement public ou au responsable de l'établissement privé, dans le mois qui suit la réception de cette demande ". Et l'article R. 132-6 ajoute : " Le responsable de l'établissement dresse, pour chaque exercice, avant le 28 février de l'année suivante, ainsi que lorsque la personne concernée cesse de se trouver dans l'établissement, dans le mois de celui-ci, un état précisant les sommes encaissées et les dates d'encaissement ainsi qu'aux différentes dates, les sommes affectées au remboursement des frais de séjour et les sommes reversées à la personne concernée. "
9. Dès lors qu'il n'est pas établi que l'établissement a effectivement perçu directement les revenus de Mme D..., en l'absence notamment de demande régulièrement établie en ce sens et de tout document comptable le retraçant conformément aux dispositions rappelées au point précédent, le département de la Guadeloupe ne saurait soutenir que le CHLDB a bénéficié d'un " enrichissement sans cause ".
10. En troisième et dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le CHLDB aurait commis une faute en ne sollicitant pas la délivrance ou le renouvellement de l'autorisation de perception directe des revenus de Mme D... dès lors que les dispositions précitées n'imposent pas à l'établissement hébergeant de procéder au recouvrement de la participation aux frais des personnes hébergées, et qu'il n'est ni établi ni même allégué que le département aurait sollicité l'établissement hospitalier pour qu'il y procède. Par suite, le département ne peut en tout état de cause pas fonder le titre exécutoire sur une telle faute.
11. Il résulte de ce qui précède que le département de la Guadeloupe n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre exécutoire émis le 24 novembre 2016 et déchargé le CHLDB de l'obligation de payer la somme de 32 828,96 euros.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHLDB le paiement des frais que le département de la Guadeloupe a exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Guadeloupe le paiement de la somme que le CHLDB demande sur ce même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du département de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Guadeloupe et au centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
M. Thierry C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 18BX01433