Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de suppression du poteau électrique installé en 2012 par la société Lisea sur sa propriété, de condamner cette société à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'implantation irrégulière de cet ouvrage, et de lui enjoindre de supprimer ce poteau dans un délai de
quatre mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1502488 du 12 décembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 12 février 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 23 avril 2018, M. C..., représenté par la SCP Garreau, Bauer-Violas,
Feschotte- Desbois, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la société Lisea a refusé de retirer
le poteau électrique ;
3°) d'enjoindre à la société Lisea de retirer ce poteau sous astreinte de 200 euros
par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de condamner le société Lisea à lui verser une indemnité d'un montant total
de 20 015,72 euros en réparation des préjudices subis.
Il soutient que :
- le juge administratif est compétent ;
- le jugement ne comporte pas les mentions permettant de vérifier que la composition
de la juridiction était la même lors de l'audience et lors du délibéré ; il ne répond pas
à l'argumentation tirée de ce que la circonstance que les travaux avaient été confiés à la société Seolis ne mettait pas en cause le fait que la société Lisea était responsable des dommages ;
le tribunal a omis de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite par laquelle la société Lisea a refusé de retirer le poteau électrique ; ainsi, le jugement est irrégulier ;
- la victime du dommage peut demander réparation au concessionnaire ou à la personne qui a réalisé les travaux ; dès lors que la société Lisea a réalisé les travaux de construction
de la ligne à grande vitesse en qualité de concessionnaire de l'établissement SNCF Réseau
et que les travaux d'implantation des poteaux électriques ont été réalisés pour son compte,
c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le fait que le poteau avait été implanté par la société Seolis pour rejeter ses conclusions indemnitaires comme mal dirigées ;
- dès lors que le poteau électrique a été implanté irrégulièrement sur sa propriété,
la décision implicite de refus de le retirer est illégale et ne peut qu'être annulée ;
- le refus de la société Lisea de prendre toute disposition pour enlever le poteau depuis six ans justifie que l'injonction soit assortie d'une astreinte ;
- le passage de la tranchée d'une superficie de 104 m² et la présence du poteau
lui ont causé un préjudice qu'il convient de fixer à une somme totale de 7 430 euros
en application du protocole des travaux de topographie et de sondage géotechnique
du 9 juin 2006, incluant les pertes de récoltes durant 7 ans et demi et les intérêts prévus à
l'article 1.9 de ce protocole ; devant l'inertie de la société Lisea et des autres sociétés, il a été contraint d'engager des démarches et des procédures pour obtenir l'enlèvement du poteau, ce qui lui a causé des troubles dans les conditions d'existence pour lesquels il sollicite une somme
de 5 000 euros, et lui a coûté 7 585,72 euros de frais d'avocat ; son préjudice s'élève ainsi
à 20 015,72 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 juin 2018, la société Lisea, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge
de M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la juridiction administrative est incompétente pour lui adresser des injonctions ;
- si Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau, a conclu avec elle un contrat
de concession approuvé par décret n° 2011-761 du 28 juin 2011, elle a confié au GIE Cosea
les missions relatives à la conception, la construction et l'intégration de la ligne ; dans ce cadre
le déplacement des réseaux traversés a fait l'objet d'une convention avec leurs gestionnaires ;
il ne s'agit pas d'une sous-traitance et le gestionnaire des réseaux électriques est la société Gérédis Deux-Sèvres, laquelle a sous-traité une partie de la réalisation des travaux à la société Seolis ; dès lors qu'elle n'avait pas la maîtrise d'ouvrage de la réalisation des travaux
de déplacement d'ouvrages électriques et n'avait pas compétence pour procéder au retrait
du poteau, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la requête comme mal dirigée ;
- l'absence de réponse à la demande préalable de M. C... ne peut être regardée comme une décision implicite de rejet dès lors qu'elle n'est pas une autorité administrative
et que le GIE Cosea avait proposé à M. C... de procéder à la dépose du poteau ;
- à titre subsidiaire, c'est en raison du comportement de M. C..., qui n'a jamais donné son accord pour une intervention sur son terrain, que le poteau devenu inutile n'a pu être retiré ; les demandes indemnitaires ne sont pas justifiées et ont pour seule origine une situation imputable à M. C....
Par lettre du 30 avril 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office le non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte dès lors que le poteau électrique a été déposé le 14 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2011-761 du 28 juin 2011 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat de concession approuvé par décret du 28 juin 2011, l'établissement public Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau, a confié à la société Lisea le financement, la conception, la construction, la maintenance et l'exploitation de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (LGV SEA). La société Lisea a elle-même confié la construction de la ligne au groupement d'intérêt économique (GIE) Cosea, lequel a passé une convention avec la société Gérédis Deux-Sèvres pour l'étude du déplacement des réseaux électriques. Enfin, la société Gérédis Deux-Sèvres a confié à la société Seolis la réalisation d'une partie des travaux.
Dans le courant de l'été 2012, la société Seolis a installé un poteau électrique hors de l'emprise réservée aux travaux publics de construction de la LGV SEA, sur une parcelle appartenant
à M. C.... Ce dernier, après avoir envisagé de conserver l'ouvrage sur son terrain moyennant une indemnité, en a sollicité l'enlèvement le 14 mai 2013, mais s'est ultérieurement opposé à ce que la société Seolis intervienne sur sa propriété pour effectuer la dépose, ainsi qu'il résulte d'échanges de courriels entre des agents de cette société des 10 et 16 juillet 2013. Par lettre
du 19 juillet 2013, le directeur opérationnel du GIE Cosea a demandé à M. C... de faciliter l'accès aux lieux pour permettre la dépose de l'ouvrage, devenu inutile suite à la mise en place d'un autre poteau dans l'emprise, sur lequel la ligne a été dévoyée. M. C... n'a pas donné suite à cette proposition. Par lettre du 15 juillet 2015, il a saisi la société Lisea d'une demande d'enlèvement du poteau et d'indemnisation à hauteur de 50 000 euros des préjudices qu'il attribuait à l'implantation irrégulière de l'ouvrage. En l'absence de réponse, il a saisi le tribunal administratif de Poitiers de demandes d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de suppression du poteau électrique, de condamnation de cette société à lui verser une indemnité de 50 000 euros, et d'injonction sous astreinte à la société Lisea de supprimer cet ouvrage. M. C..., qui a réduit sa demande indemnitaire à 20 015,72 euros, relève appel du jugement du 12 décembre 2017 par lequel le tribunal a rejeté sa requête comme mal dirigée au motif que, l'ouvrage ayant été implanté par la société Gérédis Deux-Sèvres qui avait confié l'exécution des travaux à la société Seolis, la société Lisea n'avait pas la qualité de " maître de l'ouvrage public " en litige.
Sur le non-lieu à statuer partiel :
2. Il résulte de l'instruction que le poteau électrique a été déposé le 14 novembre 2018. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte sont devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement :
3. Aucune disposition ne prévoit la nécessité d'une mention permettant de vérifier
que la composition de la juridiction était la même lors de l'audience et lors de la séance
de délibération de l'affaire. Par suite, le moyen tiré de l'absence d'une telle mention
ne peut qu'être écarté.
4. Les conclusions dirigées contre le refus de démolir ou de déplacer un ouvrage public irrégulièrement implanté sont absorbées par celles tendant à ce qu'il soit enjoint de le démolir
ou de le déplacer, le juge effectuant un contrôle du bilan sur l'ensemble. Par suite, en s'abstenant de répondre aux conclusions à fin d'annulation de la décision implicite par laquelle la société Lisea avait refusé de retirer le poteau électrique, le tribunal administratif n'a pas entaché
son jugement d'une omission à statuer.
5. Pour faire droit aux conclusions de la société Lisea tendant à sa mise hors de cause, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu au moyen tiré de ce qu'elle n'avait pas la qualité de maître de l'ouvrage public implanté sur la propriété de M. C.... L'absence de réponse à l'argumentation de ce dernier sur la responsabilité de la société Lisea est sans incidence sur la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Il ressort de la convention signée le 30 novembre 2011 entre le concessionnaire et la société Gérédis Deux-Sèvres, gestionnaire du réseau électrique, que cette dernière conserve la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre de ses travaux, qu'elle propose les indemnisations aux tiers, et que l'expert foncier du groupement Cosea est seulement chargé d'apporter son aide au règlement des litiges. Si les coûts afférents aux travaux nécessaires et aux indemnisations des tiers sont à la charge financière exclusive de la direction de projet réalisation (DPR) Cosea, ces stipulations n'ont pas pour objet de modifier le maître d'ouvrage, qui reste la société Gérédis Deux-Sèvres, au demeurant mentionnée sur le panneau apposé sur le poteau litigieux, et avec laquelle il avait été envisagé de signer une convention de servitude pour résoudre le différend avec M. C.... De même, l'existence de stipulations contractuelles associant la DPR Cosea à la réception des travaux sur réseaux pour vérifications techniques ne caractérise pas l'existence d'un lien de sous-traitance entre le groupement concessionnaire et le gestionnaire de réseau. Dans ces circonstances, M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté comme mal dirigées ses conclusions à l'encontre de la société Lisea.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'une ou l'autre des parties au titre des frais exposés à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de retirer le poteau électrique, et d'astreinte pour en obtenir l'exécution.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Lisea au titre de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à la société Lisea et à SNCF Réseau.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme A... B..., présidente-assesseure,
M. Thierry Sorin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2020.
Le président de la 2ème chambre,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au préfet des Deux-Sèvres en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00584