Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bonita, société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1403173 du 4 avril 2018, le tribunal administratif de Poitiers a accordé la décharge partielle des rappels en litige et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2018, et cinq mémoires complémentaires, enregistrés les 31 décembre 2018, 1er janvier 2019, 3 juillet 2019, 16 juillet 2019 et 4 août 2019, la société Bonita, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 avril 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis de mise en recouvrement qu'elle a reçu n'était pas revêtu du visa du comptable compétent, en méconnaissance de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales ;
- dès lors qu'il ne lui a pas été régulièrement notifié, l'avis de mise en recouvrement n'a pas interrompu la prescription ;
- en l'absence de signature de l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement, elle n'a pas été mise à même de vérifier que le comptable compétent avait effectivement authentifié la créance ;
- l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article 148 de la directive 2006/112/CE ne s'applique pas aux prestations de services consistant à mettre un bateau contre rémunération à disposition de personnes physiques à des fins de voyage d'agrément en haute mer ;
- le bateau a été mis à sa disposition lors de la signature en France du contrat de crédit-bail le 19 juillet 2007 et elle l'a utilisé comme un véritable propriétaire à compter de cette date ;
- en application du a du 1° de l'article 259 A du code général des impôts et de l'article 172 de son annexe II, le lieu des prestations de location de bateau de plaisance est réputé se situer en France au cours de la période du 28 juillet 2007 au 1er octobre 2008 ;
- la vente d'immeuble situés à Lagord et à Lauzières a donné lieu à double imposition.
Par quatre mémoires, enregistrés les 30 novembre 2018, 15 juillet 2019, 25 juillet 2019 et 5 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 27 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 16 octobre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 octobre 2017 dans l'affaire C-164/16 Mercedes-Benz Financial Services UK ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Romain Roussel, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Une note en délibéré présentée pour la SARL Bonita a été enregistrée le 19 mai 2020.
Considérant ce qui suit :
1. La société Bonita, société à responsabilité limitée, qui exerce une activité de marchand de biens et de location de bateaux, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. Il en est résulté, au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes dont la société Bonita a demandé la décharge au tribunal administratif de Poitiers. Par jugement du 4 avril 2018, le tribunal a déchargé la société Bonita des rappels de taxe sur la valeur ajoutée après avoir admis la déductibilité de la taxe se rattachant aux dépenses de convoyages et a rejeté le surplus. La société Bonita relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la période en litige : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est signé et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret. Les pouvoirs de l'autorité administrative susmentionnée sont également exercés par le comptable public (...) ". Aux termes de l'article R. 256-3 du même livre, dans sa rédaction alors applicable : " L'avis de mise en recouvrement est rédigé en double exemplaire : / a) Le premier, dit "original", est déposé au service des impôts ou à la recette des douanes et droits indirects chargé du recouvrement ; / b) Le second, dit "ampliation", est destiné à être notifié au redevable ou à son fondé de pouvoir ". En vertu de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, un avis de mise en recouvrement constitue un titre exécutoire authentifiant la créance de l'administration. Le contribuable auquel il est notifié doit être à même de vérifier que son signataire est effectivement l'autorité compétente en vertu des dispositions précitées du livre des procédures fiscales.
3. Il résulte de l'instruction que l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement notifiée à la société Bonita comportait le nom et la qualité de son auteur. La société Bonita, qui a ainsi été mise à même de vérifier que le comptable compétent avait effectivement authentifié la créance, n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'avis de mise en recouvrement serait dépourvu de force exécutoire en l'absence de signature du comptable compétent. La circonstance que cette ampliation n'était pas signée est sans incidence sur la régularité de l'avis dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'original de ce document, produit par l'administration, est signé, comme l'exigent les dispositions citées au point précédent. Enfin, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la doctrine administrative 12/1221 n° 39 et 40 du 1er décembre 1984, relative à la procédure d'imposition, qui ne peut être regardée comme comportant une interprétation d'un texte fiscal au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur la prescription :
4. Aux termes de l'article L. 176 du livre des procédures fiscales : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun (...) ".
5. Il est constant que la proposition de rectification du 30 juin 2010 a régulièrement interrompu une première fois le délai de reprise prévu à l'article L. 176 du livre des procédures fiscales. Compte tenu de ce qui a été dit au point 3, l'avis de mise en recouvrement, régulièrement notifié à la société Bonita le 16 août 2012, a de nouveau interrompu le délai de reprise et donc, contrairement à ce que soutient la société requérante, le cours de la prescription.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'opération d'achat d'un bateau :
6. Aux termes de l'article 14 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 : " 1. Est considérée comme " livraison de biens ", le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / 2. Outre l'opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes : (...) b) la remise matérielle d'un bien en vertu d'un contrat qui prévoit la location d'un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d'un bien, assorties de la clause que la propriété est normalement acquise au plus tard lors du paiement de la dernière échéance (...) ". Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire ". Aux termes du I de l'article 258 du même code : " Le lieu de livraison de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque le bien se trouve en France : (...) c) Lors de la mise à disposition de l'acquéreur, en l'absence d'expédition ou de transport (...) ".
7. Il résulte des dispositions de l'article 14 de la directive 2006/112/CE, éclairées par l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 4 octobre 2017 dans l'affaire C-164/16 Mercedes-Benz Financial Services UK, que, en cas de signature d'un contrat de crédit-bail, lorsqu'il peut être déduit des conditions financières du contrat que l'exercice de l'option d'achat apparaît comme le seul choix économiquement rationnel que le preneur sera susceptible de faire le moment venu si le contrat est exécuté jusqu'à son terme, l'opération doit être considérée comme une livraison de bien rendant la taxe sur la valeur ajoutée exigible dès la remise matérielle du bien.
8. Il est constant qu'à la date de son acquisition par la société Bonita, le 27 octobre 2009, le bateau en litige se trouvait en Turquie. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Bonita a signé le 19 juillet 2007 avec le propriétaire du bateau un contrat de crédit-bail portant sur ce bien qui a fait l'objet d'une livraison en France, à La Rochelle, fin juillet 2007. En exécution du contrat de crédit-bail, qui fixait le prix du bateau à 537 000 euros TTC, soit 448 996,65 euros HT, la société Bonita s'est acquittée d'un acompte le 1er août 2007 d'un montant de 135 262 euros et était redevable de loyers mensuels de 7 031,14 euros sur une durée de 60 mois. Ainsi, dans la mesure où les échéances prévues au contrat s'élevaient au total à 550 099 euros, soit un montant supérieur à la valeur vénale hors taxe du bateau, l'option d'achat que la société Bonita a exercée en octobre 2009 doit être regardée comme un choix économiquement rationnel de sa part. Dans ces conditions, la mise à disposition du bateau à la société Bonita effectuée à La Rochelle en juillet 2007 dans le cadre du crédit-bail doit être regardée comme correspondant à la livraison de ce bien au sens et pour l'application des dispositions citées au point 6. Il s'ensuit que la vente du 27 octobre 2009 était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui permettait à la société de déduire la taxe d'un montant de 40 381 euros qui lui avait été facturée lors de cette opération par la société de crédit-bail. Par suite, la société est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu'elle n'était pas en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'achat du bateau effectué le 27 octobre 2009.
En ce qui concerne la qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée pour les activités de location du bateau :
9. Aux termes de l'article 259 A du code général des impôts : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France : / 1° Les locations de moyens de transport : a. Lorsque le prestataire est établi en France et le bien utilisé en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté (...) ". Aux termes de l'article 172 de l'annexe II du même code, alors en vigueur : " Pour les locations de moyens de transport mentionnées aux 1° et 1° bis de l'article 259 A du code général des impôts, et les prestations de services indiquées à l'article 259 C du même code, le prestataire est tenu d'apporter la preuve que les moyens de transports loués ou les prestations rendues ont été utilisés en totalité ou en partie, et, le cas échéant, dans quelle proportion : a. En France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou en dehors de la Communauté, s'il s'agit de la location de moyens de transport (...) / A défaut, les locations de moyens de transport et les prestations ci-dessus sont considérées comme utilisées en France ".
10. Alors, au demeurant, qu'elle revendiquait elle-même la qualité d'assujettie partielle pour son activité de location de bateau, ce qui a conduit l'administration à faire application d'un coefficient théorique de déduction de 50 % de la taxe sur la valeur ajoutée, la société requérante soutient désormais qu'elle était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'ensemble de ses activités. Toutefois, il résulte de l'instruction que, au cours de la période d'imposition en litige, le bateau a été exploité pour partie dans les eaux territoriales et pour partie en dehors, en particulier au large de la Turquie. La location du bateau en dehors des eaux territoriales communautaires constitue une opération ne relevant pas du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Pour ce qui est du coefficient théorique de déduction retenu par l'administration, la société n'apporte aucun élément permettant de considérer que le partage ainsi opéré ne serait pas représentatif de l'activité de location de bateau. Par suite, la société Bonita n'est pas fondée à contester sa qualité d'assujettie partielle à la taxe en litige.
Sur la demande de compensation :
11. Aux termes de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ". Aux termes de l'article L. 199 C du même code : " L'administration, ainsi que le contribuable dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités, peuvent faire valoir tout moyen nouveau, tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, jusqu'à la clôture de l'instruction (...) ".
12. Si la société Bonita soutient avoir fait l'objet d'une " double imposition " concernant la taxe sur la valeur ajoutée collectée le 1er et le 25 juillet 2008 lors de la vente d'immeubles situés à Lagord et à Lauzières, il résulte de l'instruction que les rectifications à raison de ces ventes immobilières, pour des montants de 52 834,76 et 69 648,83 euros, ont été expressément acceptées par la requérante dans sa réclamation du 13 août 2012. La contestation soulevée en appel par la société, qui vient s'ajouter à celle figurant dans la réclamation contentieuse, porte atteinte au quantum demandé au stade de cette réclamation. Dès lors, et comme le fait valoir à bon droit l'administration, la société requérante n'est pas recevable à solliciter devant la cour un dégrèvement excédant celui qu'elle avait initialement sollicité.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bonita est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers n'a pas fait droit à sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 à raison de la déductibilité de la somme de 40 381 euros mentionnée au point 8. Le surplus des conclusions à fin de décharge de la société Bonita doit, en revanche, être rejeté.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il est accordé à la société Bonita décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 à raison du caractère déductible de la somme de 40 381 euros afférente à la vente du 27 octobre 2009.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 avril 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bonita et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Frédéric Faïck, président,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 16 juin 2020.
Le président,
Frédéric Faïck La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX02182