Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Descas Père et Fils, société anonyme, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions sociales correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011.
Par un jugement n° 1505553 du 20 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février 2018 et le 6 septembre 2018, la société Descas Père et Fils, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 20 décembre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des intérêts de retard dont elles ont été assorties en application de l'article 1727 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a fait l'objet d'une précédente vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 qui s'est terminée par un avis d'absence de rectification du 28 août 2015 ; la vérification ayant donné lieu aux impositions en litige, qui concerne le même impôt et la même période, est irrégulière en application de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ;
- la distribution des actions de la société DIA dont elle a bénéficié en 2011 par une décision de l'assemblée générale du groupe Carrefour constitue fiscalement une opération de scission au sens et pour l'application de l'article 38-7 bis et de l'article 210-0 A 1° et 2° du code général des impôts ; cette opération n'a généré pour sa filiale, la société Bernard Taillan France, aucun revenu ni avantage fiscal dès lors que la distribution des actions DIA a immédiatement été suivie de la dépréciation des actions de la société Carrefour ; ainsi, cette opération ne saurait donner lieu à imposition entre les mains de la société mère du groupe ; l'opération en cause est qualifiée de scission par la presse économique ; c'est donc à tort que l'administration a rejeté la déduction extracomptable de cette opération au titre de l'année 2011 et qu'elle a requalifié cette opération en distribution de dividendes en nature ;
- la provision enregistrée en comptabilité pour dépréciation des actions Carrefour au titre de l'année 2011 doit être admise en déduction dans la limite du rehaussement notifié par l'administration ;
- la doctrine référencée BOI-IS-BASE-20-30-30 du 18 juillet 2013 confirme cette analyse ;
- alors qu'une mention expresse a été insérée dans la liasse fiscale de l'exercice 2011 exposant les motifs de droit et de fait justifiant la déduction sollicitée, l'administration ne pouvait appliquer les intérêts de retard prévus par l'article 1727 II-2 du code général des impôts.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 août 2018 et le 20 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 10 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 décembre 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Bernard Taillan France (SA), filiale de la SAS Descas Père et Fils, exerce une activité de négoce de vins et de holding de participation et est également détentrice d'actions de la société Carrefour. La société Bernard Taillan France a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2011 et 2012, à l'issue de laquelle le service a rejeté la déduction extracomptable d'un montant de 7 532 496 euros, effectuée sur son résultat imposable de l'exercice 2011, correspondant à la valeur des titres de la société DIA que la société Carrefour lui a distribués après que cette dernière a pris la décision de séparer ses activités " discount " de ses activités traditionnelles. Pour remettre en cause cette déduction, l'administration a estimé que cette opération constituait non pas un échange de titres faisant suite à une scission d'activité au sein du groupe Carrefour, mais une distribution de dividendes sous forme de titres de la société DIA. L'administration a en conséquence réintégré la somme de 7 532 496 euros dans la base imposable de la société Bernard Taillan France et a notifié à la société Descas Père et Fils, en sa qualité de société mère d'un groupe intégré, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et de contributions sociales, assorties de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. La société Descas Père et Fils relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales : " Lorsque la vérification de la comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes est achevée, l'administration ne peut procéder à une nouvelle vérification de ces écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période. Toutefois, il est fait exception à cette règle : (...) Dans les cas de vérification de la comptabilité des sociétés mères qui ont opté pour le régime prévu à l'article 223 A du code général des impôts ; (...). "
3. Il résulte de l'instruction que le contrôle dont a fait l'objet la société-mère Decas Père et Fils, à la suite d'un avis de vérification du 19 juin 2014, a seulement porté sur ses résultats propres en tant que membre du groupe et non sur ceux de l'ensemble du groupe, y compris les résultats de la société Bernard Taillan France. L'appelante n'est donc pas fondée à soutenir que la vérification de comptabilité à l'origine des impositions en litige a fait suite, à une première vérification, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'une double vérification de comptabilité doit être écarté.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
4. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. (...) ". Par ailleurs, en vertu des dispositions combinées des articles 205 et 206 du code général des impôts, les dividendes perçus par une société soumise à l'impôt sur les sociétés doivent en principe être compris dans son bénéfice imposable.
5. Aux termes de l'article 38-7 bis du même code : Le profit ou la perte réalisé lors de l'échange de droits sociaux résultant d'une fusion ou d'une scission de sociétés peut être compris dans le résultat de l'exercice au cours duquel les droits sociaux reçus en échange sont cédés. Dans ce cas, le profit ou la perte résultant de la cession ultérieure de ces droits sociaux est déterminé par rapport à la valeur que les droits sociaux remis à l'échange avaient du point de vue fiscal. " Aux termes de l'article 210-0 A du même code : " I - Les dispositions relatives aux fusions et aux scissions, prévues au 7 bis de l'article 38 (...) et aux articles 223 A à 223 U, sont applicables : / 2° S'agissant des scissions, aux opérations par lesquelles la société scindée transmet, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine à deux ou plusieurs sociétés préexistantes ou nouvelles, moyennant l'attribution aux associés de la société scindée, proportionnellement à leurs droits dans le capital, de titres des sociétés bénéficiaires des apports et, éventuellement, d'une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres ;(...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le bénéfice du régime propre aux scissions permettant le sursis à imposition des plus-values d'échange de titres réalisées dans le cadre des opérations de fusion ou scission définies à l'article 201-0 A précité est réservé aux distributions de titres consécutives à une fusion ou scission et opérées de manière proportionnelle aux droits que les actionnaires détenaient dans le capital de cette dernière.
6. Le 21 juin 2011, la société Carrefour a pris la décision de séparer les activités " discount " de son groupe de ses autres activités. Pour la mise en oeuvre de cette décision, la société Carrefour a acquis le 1er juillet 2011 la totalité des actions de sa filiale espagnole DIA, détenus par une autre filiale, la société Norfin Holder SL, pour un montant de 2 310 000 euros représentant 3,40 euros par action. Deux résolutions n° 5 et n° 7 adoptées au cours de l'assemblée générale du 21 juin 2011 ont approuvé la distribution des actions de la société DIA aux actionnaires du groupe Carrefour parmi lesquels figure la société Bernard Taillan France. Cette distribution a été accompagnée de l'introduction de la société DIA à la bourse de Madrid avec une première cotation de 3,40 euros l'action. La société Bernard Taillan France a reçu 2 215 440 actions de la société DIA représentant un montant de 7 532 496 euros qu'elle a comptabilisé au crédit du compte " 76100100 : dividendes Carrefour ". Elle a ensuite déduit la somme de 7 532 496 euros de son bénéfice imposable en faisant application des dispositions précitées des articles 38-7 bis et 210-0-A du code général des impôts.
7. Toutefois, les conditions dans lesquelles les titres de la société DIA ont été attribués à la société Bernard Taillan France ne répondent pas à la définition des scissions telle qu'elle résulte des dispositions du code général des impôts, citées au point 5. Eu égard à sa nature, cette opération constitue, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, une distribution en nature de dividendes sous forme d'actions, au demeurant qualifiée par la société Carrefour elle-même, dans l'avis de convocation à l'assemblée générale du 21 juin 2011, de " distribution de dividendes exceptionnels " opérée au bénéfice de ses actionnaires.
8. Le fait que les titres de la société Carrefour détenus par la société Bernard Taillan France ont subi une dépréciation de leur valeur nominale constitue une circonstance distincte de l'opération de distribution d'actions qui a permis à cette société de percevoir un produit financier. Ainsi, cette diminution de valeur, qui relève d'ailleurs du régime des moins-values professionnelles applicable aux titres en portefeuille détenus par les entreprises, est sans incidence sur la qualification à retenir, qui est celle de distribution de dividendes. Est également sans incidence sur la qualification à retenir la circonstance selon laquelle que la presse dite " spécialisée " a qualifié l'opération en cause de scission.
9. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les impositions litigieuses auraient dû être établies après déduction de la provision pour dépréciation des titres doit être écarté.
10. Enfin la requérante ne peut utilement se prévaloir de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-20-30-30 du 18 juillet 2013 qui est postérieure à l'année d'imposition en litige.
Sur les intérêts de retard :
11. Aux termes du II de l'article 1727 du code général des impôts : " L'intérêt de retard n'est pas dû : / (...) 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées ; (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une indication expresse du contribuable, au sens du II de l'article 1727, doit comporter des éléments précis et circonstanciés sur les motifs de droit et de fait qui justifient l'absence de déclaration d'un gain de sa part, afin de mettre l'administration en mesure d'apprécier immédiatement si les conditions du régime d'exonération invoqué sont remplies.
12. Il résulte de l'instruction que la société Bernard Taillan France a indiqué sur l'annexe à sa déclaration fiscale 2065 que " la société Carrefour a pris la décision de séparer ses activités Discount de ses activités traditionnelles ". A l'issue des assemblées générales du 21 juin 2011, il a été décidé de scinder ces deux activités en attribuant aux actionnaires de Carrefour la branche DIA. La société Bernard Taillan France a ainsi reçu 2 215 440 actions DIA d'une valeur de 7 532 496 euros au total. L'analyse de la société est qu'il s'agit d'une opération de scission et qu'à ce titre, le produit correspondant bénéficie d'un sursis d'imposition. Toutefois il résulte des termes du procès-verbal de l'assemblée générale du 21 juin 2011 que la société Carrefour a entendu procéder à la distribution d'un " dividende exceptionnel " en nature sous la forme d'actions de la société DIA au profit des actionnaires de la société Carrefour. Cette mention ne correspond pas à la " scission " mentionnée sur sa déclaration par la société Bernard Taillan France. Cette modification de qualification à laquelle a procédé la requérante n'a pas permis à l'administration d'apprécier immédiatement si les conditions du régime de sursis d'imposition revendiqué étaient remplies. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a assorti les impositions litigieuses des intérêts de retard prévus par les dispositions précitées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Descas Père et Fils, société-mère de la société Bernard Taillan France, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par la requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Descas Père et Fils est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Descas Père et Fils et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2020 à laquelle siégeaient :
M. Frédéric Faïck, président,
Mme B... C..., premier conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 juin 2020.
Le président,
Frédéric Faïck La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
4
N° 18BX00646