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09/06/2020 | FRANCE | N°18BX01527

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 09 juin 2020, 18BX01527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sébastien Breuil a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 517 552,98 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices entraînés par les arrêtés de réquisition dont elle a fait l'objet.

Par un jugement n° 1501668 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête de la SARL Sébastien Breuil.

Procédure de

vant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 avril 2018, 19 septembre 2019, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sébastien Breuil a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 517 552,98 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices entraînés par les arrêtés de réquisition dont elle a fait l'objet.

Par un jugement n° 1501668 du 15 février 2018, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête de la SARL Sébastien Breuil.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 avril 2018, 19 septembre 2019, 28 novembre 2019 et 3 janvier 2020, la SARL Sébastien Breuil, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 février 2018 ;

2°) d'ordonner avant dire droit une expertise économique de la société requérante ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 517 552,98 euros en réparation des préjudices subis, cette somme devant être assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze de lui verser l'indemnité de réquisition facturée lors de toute prochaine réquisition ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le fait générateur de sa créance est constitué par la méconnaissance de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales en raison d'un défaut de calcul du prix commercial normal et licite de l'indemnité de réquisition ; l'indemnité de garde versée par la caisse primaire d'assurance maladie ne saurait correspondre à cette indemnité de réquisition et ne permet pas de rétribuer correctement les prestations qu'elle doit offrir ;

- ces réquisitions forcées constituent une rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'elle subit une perte sèche de l'ordre de 250 euros pour chaque astreinte alors qu'elle fait l'objet d'une réquisition toutes les nuits, samedis, dimanches et jours fériés depuis plus de 4 ans ; elle est la seule à être réquisitionnée sur son secteur de garde ;

- le lien de causalité est établi dès lors que l'absence de rétribution des prestations effectuées en application des arrêtés de réquisition porte atteinte à son équilibre économique et met en péril sa pérennité financière ;

- le préjudice subi est anormal et spécial dès lors que la période de réquisition dure depuis plus de quatre ans, que le défaut de paiement des factures correspondantes de 2011 à 2015 s'élève à un montant de 401 647,12 euros, que l'état financier de la société la contraint à exposer des frais bancaires à hauteur d'une somme de 97 590,72 euros, des frais de retard de paiement de cotisations à hauteur de 7 210,86 euros et des pertes de marges sur le marché public de transport de voyageurs du département qu'elle n'a pas pu conserver du fait du licenciement d'une partie de son personnel, à hauteur de 11 104,28 euros. Elle apporte les justificatifs de l'ensemble de ces frais. Le nombre de sorties nécessaires pour équilibrer le budget n'est pas atteint dès lors qu'il est inférieur à deux sorties par période de garde.

Par une ordonnance du 2 décembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée

au 3 janvier 2020 à 12 heures.

Un mémoire présenté par Me D..., pour la SARL Sébastien Breuil a été enregistré le 3 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;

- et les observations, en visio-audience, de Me D..., représentant la SARL Sébastien Breuil.

Une note en délibéré présentée pour la SARL Sébastien Breuil a été enregistrée le 4 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Sébastien Breuil, dont le siège social est situé à Objat (Corrèze), exerce l'activité de transport sanitaire et participe à ce titre à l'aide médicale urgente et à la garde ambulancière départementale. Depuis l'année 2011, compte tenu notamment d'un mouvement de grève départemental de la part d'une partie des entreprises de transport sanitaire, elle a fait régulièrement l'objet d'arrêtés de réquisition pris par le préfet de la Corrèze afin qu'elle assure des périodes de garde ambulancière au sein de son secteur. La SARL Sébastien Breuil relève appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'elle estime liés à ces périodes de réquisition, fixée à un total de 517 552,98 euros.

Sur la responsabilité :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 6312-18 du code de la santé publique : " Afin de garantir la continuité de prise en charge des patients pendant les périodes définies par arrêté du ministre chargé de la santé, une garde des transports sanitaires est assurée sur l'ensemble du territoire départemental. ". Aux termes de l'article R. 6312-19 du même code : " Les entreprises de transports sanitaires agréées pour l'accomplissement des transports mentionnés aux 1° et 2° de l'article R. 6312-11 sont tenues de participer à la garde départementale en fonction de leurs moyens matériels et humains (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 322-5-2 du code de la sécurité sociale : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les entreprises de transports sanitaires sont définis par une convention nationale conclue pour une durée au plus égale à cinq ans entre une ou plusieurs organisations syndicales nationales les plus représentatives des ambulanciers et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Cette convention détermine notamment : (...) 6° Les conditions de rémunération des entreprises de transports sanitaires pour leur participation à la garde départementale organisée dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 6312-5 du code de la santé publique. ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : (...) 4° En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. Le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté. La rétribution par l'Etat de la personne requise ne peut se cumuler avec une rétribution par une autre personne physique ou morale. La rétribution doit uniquement compenser les frais matériels, directs et certains résultant de l'application de l'arrêté de réquisition. Dans le cas d'une réquisition adressée à une entreprise, lorsque la prestation requise est de même nature que celles habituellement fournies à la clientèle, le montant de la rétribution est calculé d'après le prix commercial normal et licite de la prestation (...) ".

5. En premier lieu, en exécutant à compter de 2011 les réquisitions du préfet de la Corrèze, les entreprises privées de transports sanitaires urgents, dont l'article R. 6312-19 du code de la santé publique prévoit qu'elles " sont tenues de participer à la garde départementale en fonction de leurs moyens matériels et humains ", se trouvaient dans l'exercice de leurs missions habituelles de collaboration au service public de la santé. Si la SARL Sébastien Breuil a demandé la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en compensation des frais complémentaires entraînés par chaque prestation de garde, il est constant que les dispositions du code de la sécurité sociale citées au point 3 prévoient les modalités de rémunération pour la participation à la garde départementale et que les dispositions du code général des collectivités territoriales citées au point 4 ne permettent pas de cumuler cette rétribution conventionnelle avec une éventuelle rétribution dans le cadre de la réquisition. Au surplus, il résulte de l'instruction que les factures dont se prévaut la société requérante et qu'elle a adressées au préfet de la Corrèze se rapportent à la mise à disposition d'une ambulance et de son équipage, qui relève d'un exercice normal de la garde ambulancière départementale, alors même que cette garde a été effectuée dans le cadre d'une réquisition en raison du mouvement de grève des ambulanciers du département. A cet égard, la société requérante ne fait état d'aucune prestation excédant celles qu'elle aurait fournies si elle avait accompli la garde des transports sanitaires dans les conditions habituelles. Les coûts qu'elle invoque, qu'il s'agisse de l'immobilisation d'un véhicule et de son équipage ou des interventions réalisées lors de la garde, sont pris en charge par l'assurance maladie aux termes d'une convention nationale, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 322-5-2 du code de la sécurité sociale. L'insuffisance alléguée du tarif de rémunération des gardes fixé par cette convention n'est pas de nature à faire supporter par l'Etat des coûts incombant à l'assurance maladie. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant d'honorer les factures qui lui ont été adressées, le préfet de la Corrèze, qui n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

6. En deuxième lieu, dès lors que le préfet de la Corrèze ne peut être tenu pour responsable du montant de la rémunération conventionnelle de la garde ambulancière, fixée à l'article L. 322-5-2 du code de la sécurité sociale et déterminée entre les organismes d'assurance maladie et les entreprises de transport sanitaire et qu'il n'est, par ailleurs, pas établi que les entreprises de transport sanitaire agréées, seules susceptibles d'être réquisitionnées, auraient fait l'objet d'un traitement différent, la SARL Sébastien Breuil ne saurait se prévaloir d'une rupture d'égalité devant les charges publiques en lien avec les arrêtés de réquisition préfectoraux qu'elle conteste. A cet égard, le préjudice économique dont elle se prévaut ne trouve pas son origine directe dans les arrêtés de réquisition en cause, ainsi qu'il vient d'être exposé au point 5.

7. En troisième et dernier lieu, si la SARL Sébastien Breuil a également demandé l'indemnisation de frais bancaires, de frais de retard de paiement de cotisations et de la perte de sa marge sur un marché public de transport de voyageurs qu'elle n'aurait pu honorer, il ne résulte pas de l'instruction, comme l'ont à bon droit relevé les premiers juges, que les préjudices ainsi allégués trouveraient leur origine dans les réquisitions préfectorales dont l'entreprise a régulièrement fait l'objet depuis l'année 2011.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la SARL Sébastien Breuil n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté l'ensemble de ses demandes. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions qu'elle présente à fin d'injonction.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement des frais que la SARL Sébastien Breuil a exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Sébastien Breuil est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sébastien Breuil et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme A... B..., présidente,

M. Thierry C..., premier conseiller,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 juin 2020.

La présidente,

Anne B...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

No 18BX01527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01527
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

61-01-02 Santé publique. Protection générale de la santé publique. Transports sanitaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: M. Thierry SORIN
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : GALLET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-09;18bx01527 ?
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