Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Gaussen et Phuc a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'établissement public départemental Les Deux Monts à lui verser une indemnité de 111 261,58 euros TTC en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de difficultés d'exécution de leur marché.
Par un jugement n° 1503044 du 11 avril 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2018, la société Gaussen et Phuc, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2018 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de condamner l'établissement public départemental Les Deux Monts à lui verser une indemnité de 111 261,58 euros TTC ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public départemental Les Deux Monts la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa qualité de membre du groupement de maîtrise d'oeuvre, dont un des membres a commis des manquements à l'origine des retards, ne lui interdit pas d'obtenir la réparation de son préjudice ;
- les conditions du bouleversement de l'économie du contrat sont réunies, dès lors que les retards ne lui sont pas imputables et qu'ils étaient imprévisibles ;
- en tout état de cause, elle a réalisé des prestations indispensables à l'exécution du marché ;
- elle a droit aux sommes de 14 310,76 euros HT au titre des appels d'offres supplémentaires, et de 70 194,18 euros HT au titre du surcoût pour délai supplémentaire, en raison de l'organisation de 111 réunions supplémentaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2019, l'établissement public départemental Les Deux Monts conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Gaussen et Phuc au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de la réalisation de prestations indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est nouveau en appel et par suite irrecevable ;
- les autres moyens de la société Gaussen et Phuc ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. A... B...,
- et les observations de Me D..., représentant la société Gaussen et Phuc.
Considérant ce qui suit :
1. Par marché à rémunération forfaitaire conclu le 3 février 2005 pour un montant de 455 614 euros TTC, porté à 520 320 euros TTC par avenant du 4 juillet 2007, l'établissement public départemental Les Deux Monts a confié à un groupement solidaire composé de la société Gaussen et Phuc, mandataire, et des sociétés Tallier et associés et Beterem Ingénierie, la maîtrise d'oeuvre des travaux de restructuration et d'extension d'un établissement d'hébergement des personnes âgées et dépendantes (EHPAD) situé à Montendre (Charente-Maritime). Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 27 décembre 2012, avec 53 mois de retard par rapport au délai initialement prévu. La société Gaussen et Phuc relève appel du jugement du 11 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à ce que l'établissement public départemental Les Deux Monts soit condamné à l'indemniser des préjudices subis du fait de ce retard, pour un montant de 111 261,58 euros TTC.
2. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 et 30 du décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993, dans leur rédaction applicable au marché de maîtrise d'oeuvre en cause, que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'oeuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Ainsi, la prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'oeuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'oeuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'oeuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché, si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'oeuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
3. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, que le retard de 53 mois dans l'exécution du chantier a des causes multiples, et principalement : le retard dans le démarrage du chantier, dû au fait que le planning initial des travaux n'avait pas intégré le délai d'intervention d'EDF pour la mise en place de l'alimentation du nouveau local électrique, les retards dans l'exécution du lot terrassement-gros-oeuvre, consécutifs à de multiples difficultés rencontrées dans l'exécution du chantier, telles que l'impossibilité pour la société Technitra, titulaire du lot n° 2 " Fondations spéciales " et qui devait réaliser les pieux avec des engins lourds, de faire passer ses engins sur la plateforme située en haut du talus et la nécessité de traiter cette plateforme à la chaux, le retard dans la réalisation des pieux malgré le traitement de la plateforme, le changement de stratégie dans le phasage du chantier, le différend entre les sociétés Alm Allain, titulaire du lot gros oeuvre, et la société Technitra pour déterminer à quelle société incombait le décollement des têtes de pieux, le retard de la production des plans d'exécution des longrines par la société Beterem ingénierie. Enfin, les retards dans l'exécution des travaux de second oeuvre sont imputables aux défaillances des entreprises, au choix de certaines d'entre elles à l'issue d'un appel d'offres, dont les critères ne tenaient pas compte des particularités du chantier nécessitant à certaines périodes des effectifs que certaines entreprises ne pouvaient pas fournir, et enfin à la réactivité insuffisante, ou en toute hypothèse inefficace, de la maîtrise d'oeuvre et du maître d'ouvrage, face à une entreprise qui avait démontré, après plusieurs mois de chantier, son incapacité à affecter aux travaux les effectifs suffisants.
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société Gaussen et Phuc, aucune des causes des retards litigieux ne peut être regardée comme une sujétion imprévue à laquelle elle aurait été confrontée dans l'exécution des travaux, présentant un caractère imprévisible et irrésistible, quand bien même les retards cumulés auraient entraîné un bouleversement de l'économie du contrat la liant au maître d'ouvrage.
5. En second lieu, la société requérante soutient que, du fait des retards dans l'exécution des travaux, certaines entreprises ont été placées en liquidation judiciaire avant d'avoir exécuté leur contrat, ce qui l'a contrainte à lancer de nouvelles procédures d'appels d'offres. Toutefois, il résulte de l'instruction que de telles prestations étaient prévues au contrat, l'article 1.4 du cahier des clauses particulières du marché de maîtrise d'oeuvre, intitulé " contenu de la mission ", mentionnant notamment la mission dite ACT " assistance au maître d'ouvrage pour la passation des contrats de travaux ", et donc rémunérées par le prix forfaitaire convenu entre les parties. Par suite, la société Gaussen et Phuc n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'oeuvre et indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art.
6. Enfin, si la société Gaussen et Phuc a été contrainte d'organiser des réunions supplémentaires qui ont nécessité de très nombreux déplacements et la rédaction de comptes rendus, il s'agit là de coûts supplémentaires induits par la prolongation de la durée d'exécution de sa mission qui n'ouvrent pas droit à indemnisation en vertu des règles rappelées au point 2.
7. Il résulte de ce qui précède que société Gaussen et Phuc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à sa charge, au profit de l'établissement public départemental Les Deux Monts, la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Gaussen et Phuc est rejetée.
Article 2 : La société Gaussen et Phuc versera à l'établissement public départemental Les Deux Monts la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gaussen et Phuc à l'établissement public départemental Les Deux Monts.
Délibéré après l'audience du 20 février 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme E..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 20 mai 2020.
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX02280 2