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11/02/2020 | FRANCE | N°19BX03030

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 11 février 2020, 19BX03030


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2018 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1901722 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Bordeaux

a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme D... un certificat

de résid

ence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2018 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1901722 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Bordeaux

a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme D... un certificat

de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2019, la préfète de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Mme D... le versement au profit de l'Etat d'une somme

de 800 euros " au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 " relative à l'aide juridique.

Elle soutient que la demande d'asile présentée par Mme D... a été rejetée par l'OFPRA, puis par la CNDA ; aucun élément probant n'a permis de vérifier ses déclarations en ce qui concerne le risque de mariage forcé de sa fille ; rien n'entrave son retour en Algérie où elle occupe un poste d'assistante principale auprès de l'Assemblée nationale populaire, alors qu'elle est sans emploi et sans ressources en France ; il est de l'intérêt supérieur des enfants de retrouver leur père auquel ils ont été arrachés sans qu'aucun jugement de divorce n'accorde leur garde exclusive à Mme D....

Par un mémoire en défense enregistré le 2 janvier 2020, Mme D..., représentée

par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des

dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal, qui l'a entendue contrairement à la CNDA, a annulé l'arrêté du 17 octobre 2018 ;

- il ne peut lui être reproché d'avoir des difficultés à trouver une situation professionnelle dès lors que l'administration a tardé à lui délivrer une simple autorisation provisoire de séjour et qu'elle s'est trouvée sans hébergement avec ses deux enfants.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 24 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public,

sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Des pièces nouvelles ont été produites pour Mme D... les 5 et 6 février 2020 après la clôture de l'instruction et l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., de nationalité algérienne, née en 1977, est entrée en France

le 26 janvier 2017 sous couvert d'un visa de court séjour valable du 3 août 2016 au

29 janvier 2017, accompagnée de ses deux enfants nés en 2006 et en 2009. Elle a sollicité le bénéfice de l'asile qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 20 novembre 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 mars 2018. Elle a alors sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 17 octobre 2018, le préfet de la Gironde a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. La préfète de la Gironde relève appel du jugement

du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté au motif qu'il méconnaissait l'intérêt supérieur de la fille de Mme D..., exposée à un risque de mariage forcé en Algérie, et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Si la préfète de la Gironde fait valoir que l'OFPRA et la CNDA ont rejeté la demande d'asile présentée par Mme D..., laquelle invoquait la volonté de son beau-père d'organiser le mariage de sa fille alors âgée de 10 ans et demi, il ressort des pièces du dossier que la CNDA n'a pas entendu l'intéressée, mais a rejeté son recours par ordonnance en relevant " qu'appartenant à la bourgeoisie algéroise, doctorante en droit, parfaitement francophone et occupant de hautes fonctions au sein des institutions algériennes, elle n'a pas emporté la conviction [de l'OFPRA] sur le fait que ni elle, ni son mari n'auraient pu s'opposer à la volonté du grand-père de la fillette de marier cette dernière, à supposer que ce projet ait été réel ". Toutefois, Mme D... a expliqué de manière précise et crédible devant le tribunal les circonstances dans lesquelles son beau-père, autoritaire et traditionnaliste, s'était progressivement immiscé dans l'éducation de la jeune B... née en 2006, critiquant sa scolarisation, souhaitant la reléguer aux tâches ménagères et enjoignant aux parents, en juin 2016, de la préparer pour un mariage en septembre avec le prétendant qu'il avait trouvé. Mme D... a en outre exposé que son époux, soumis à son père, ne l'a pas soutenue dans son refus de marier leur fille, et a présenté des éléments de contexte de nature à justifier que, malgré ses relations professionnelles et familiales, elle n'était pas en mesure, eu égard au poids des traditions patriarcales prévalant encore en Algérie, de s'opposer à la volonté de son beau-père. L'invocation de ces circonstances de fait est corroborée par un rapport du commissariat général aux réfugiés et apatrides de Belgique du 29 juin 2016 sur les mariages forcés en Algérie, faisant état de la persistance de l'organisation par les familles de mariages religieux de jeunes filles mineures, sans enregistrement à l'état-civil, alors même que, selon les autorités algériennes, le mariage forcé n'est pas possible, et que la loi fixe

à 19 ans l'âge du mariage, sauf dérogation accordée par un juge. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges ont regardé comme établi le risque de mariage forcé auquel était exposée la jeune B... et ont, pour ce motif, estimé que la décision de refus de titre de séjour opposée à sa mère méconnaissait l'intérêt supérieur de cette enfant.

4. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Gironde n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 17 octobre 2018 et lui a enjoint de délivrer à Mme D... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

5. L'Etat est la partie perdante dans la présente instance. Par suite, la préfète de la Gironde ne saurait, en tout état de cause, demander qu'une somme soit mise à la charge de Mme D..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme

de 1 200 euros à verser à Me E..., sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui

a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de la Gironde est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me E... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991, sous réserve de son renoncement à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète de la Gironde, à Mme F... D...

et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... C..., présidente-assesseure,

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 février 2020.

La rapporteure,

Anne C...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne,

et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX03030


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03030
Date de la décision : 11/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : JOUTEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-11;19bx03030 ?
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