Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. B... et Mme A... D..., par deux requêtes séparées, ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 24 juin 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a, d'une part, décidé de les remettre aux autorités italiennes en vue de l'examen de leur demande d'asile et les a, d'autre part, assignés à résidence.
Par un jugement n° 1904243 - 1904244 du 1er août 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces quatre arrêtés.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2019 sous le n° 19BX03432, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 1er août 2019 en tant que le tribunal administratif de Toulouse a annulé ses arrêtés du 24 juin 2019 portant remise aux autorités italiennes de M. D... en vue de l'examen de sa demande d'asile et assignation à résidence.
Le préfet soutient que :
- le premier juge a commis des erreurs manifestes d'appréciation et des erreurs de droit en considérant qu'il ne pouvait fournir la preuve de la réception par les autorités italiennes de la demande de reprise en charge de la demande d'asile de l'intéressé dès lors qu'il produit, en appel, l'accusé de réception du point d'accès français émis par l'application DubliNet, lequel permet de s'assurer de la régularité de la procédure fixée sur ce point à l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés par M. D... en première instance ne sont pas davantage fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2019 sous le n° 19BX03433,
le préfet de la Haute-Garonne conclut à ce que la cour prononce un sursis à exécution du jugement du 1er août 2019, en reprenant les mêmes moyens que dans la requête
n° 19BX03432 et en indiquant que l'exécution de ce jugement entraînerait des conséquences difficilement réparables dans la mise en oeuvre de la décision de transfert en litige.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2019.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité nigériane et né en 1985, est, selon ses déclarations, entré en France en compagnie de son épouse et de leur fils, en provenance d'Italie, le 17 février 2019. Le 22 février 2019, il a déposé une demande d'asile auprès du préfet de police de Paris avant d'élire ultérieurement domicile à Castres (Tarn). La consultation du fichier Eurodac ayant permis de constater que les empreintes décadactylaires de M. D... avaient été relevées en Italie le 26 septembre 2016 à l'occasion d'une demande d'asile dans ce pays, le préfet de police de Paris a saisi, le 4 mars 2019, les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Les autorités italiennes ayant, implicitement, donné leur accord le 18 mars 2019, le préfet de la Haute-Garonne, par deux arrêtés du 24 juin 2019, a décidé de transférer M. D... aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile et a prononcé son assignation à résidence dans le département du Tarn pour une durée de quarante-cinq jours. Par une première requête, enregistrée sous le n° 19BX03432, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 1er août 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux décisions et par une seconde requête, enregistrée sous le n° 19BX03433, demande à la cour de prononcer de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes enregistrées sous les n° 19BX03432 et n° 19BX03433 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un même arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Il résulte des dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé que lorsque l'autorité administrative, saisie d'une demande de protection internationale, estime, au vu de la consultation du fichier Eurodac prévue par le règlement (UE) n° 603/2013, que l'examen de cette demande ne relève pas de la France, il lui appartient de saisir le ou les États qu'elle estime responsable de cet examen dans un délai maximum de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. À défaut de saisine dans ce délai, la France devient responsable de cette demande. Selon l'article 25 du même règlement, l'État requis dispose, dans cette hypothèse, d'un délai de deux semaines au-delà duquel, à défaut de réponse explicite à la saisine, il est réputé avoir accepté la reprise en charge du demandeur.
4. Par ailleurs, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les États membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " DubliNet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les États, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque État dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement :
" Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'État membre requérant, l'État membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".
5. En vertu de ces dispositions, la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau DubliNet, par le point d'accès national de l'État requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux semaines au terme duquel la demande de reprise est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'État requis de son acceptation implicite de reprise en charge.
6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. D... s'est présenté le 22 février 2019 auprès des services de la préfecture de police de Paris afin d'y solliciter l'asile. Informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait introduit une demande d'asile en Italie le 26 septembre 2016, le préfet de police a saisi, le 4 mars 2019, les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du d) de l'article 18-1 du règlement n° 604/2013 du
26 juin 2013, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 23 du règlement
n° 604/2013, comme en atteste l'accusé de réception DubliNet versé au dossier. Il ressort par ailleurs du document intitulé " constat d'accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " que les autorités italiennes n'ont donné aucune réponse à cette demande de reprise en charge dans le délai de deux semaines mentionné au paragraphe 1 de l'article 25 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et qu'ainsi, en vertu du paragraphe 2 de l'article 25 du même règlement, elles doivent être regardées comme ayant tacitement donné leur accord à l'expiration de ce délai. Ce document, sur lequel sont mentionnées l'identité, la date de naissance et la nationalité de M. D... ainsi que les références des dossiers français et italiens atteste, à lui seul, et contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal, de la réalité et de la date de saisine des autorités italiennes. Enfin et au demeurant, le préfet a produit en cause d'appel l'accusé de réception de cette demande par les autorités italiennes le 4 mars 2019. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé les arrêtés litigieux aux motifs que l'administration n'établissait ni que les autorités italiennes avaient été saisies d'une demande de reprise en charge dans le délai de deux mois prévu à l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ni qu'elles avaient implicitement accepté de reprendre charge l'intéressé.
Sur l'effet dévolutif de l'appel :
7. Il y a lieu, pour la cour, saisie de l'affaire par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués en première instance par M. D..., lequel n'a pas produit de mémoire en appel.
8. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
9. Si en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de département est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 précité soit mené par un agent de la préfecture qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'État responsable de l'examen de la demande d'asile, n'est pas tenu de bénéficier d'une délégation de signature pour pouvoir procéder à cet entretien.
10. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a bénéficié, le 22 février 2019, dans les locaux de la préfecture de police de Paris, de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 susvisé, en présence d'un interprète en langue anglaise, langue qu'il a déclaré comprendre et que cet entretien a été assuré par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police de Paris. En outre et contrairement à ce que soutient M. D..., l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 précité n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien et précise, dans son point 6, que le résumé de l'entretien individuel mené avec le demandeur d'asile peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, qui ne sauraient être regardés comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration.
12. Enfin, aux termes de l'article 1er de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " (...) f) " autorité responsable de la détermination ", tout organe quasi juridictionnel ou administratif d'un État membre, responsable de l'examen des demandes de protection internationale et compétent pour se prononcer en première instance sur ces demandes (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette directive : " 1. Les États membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. Les États membres veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches conformément à la présente directive. / 2. Les États membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013, et / (...) 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les États membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive ".
13. M. D... soutient que l'agent de la préfecture ayant mené l'entretien individuel n'était pas suffisamment qualifié au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013, n'a pas bénéficié d'une formation appropriée et qu'il n'est pas établi qu'il aurait été missionné par le préfet. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'agent qui a mené l'entretien fait partie du personnel de l'autorité compétente au sens de l'article 4 précité de la directive n° 2013/32/UE tandis qu'il ne ressort pas des mêmes pièces que cet agent n'aurait pas bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas qualifié en vertu du droit national pour mener l'entretien dont s'agit. Au demeurant, M. D... ne précise pas en quoi l'agent de la préfecture n'aurait pas mené cet entretien conformément aux exigences prévues par le règlement n° 604/2013, ni en quoi la procédure de détermination de l'État responsable aurait été faussée en l'espèce compte tenu des conditions dans lesquelles cet entretien s'est déroulé. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 5 et 35 du règlement n° 604/2013, de l'article 4 de la directive n° 2013/32/UE ainsi que de leur insuffisante transposition dans le droit national doivent être écartés. Enfin, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas davantage fondé à soutenir que les conditions dans lesquelles s'est déroulé cet entretien l'auraient privé de son droit à un recours effectif au sens l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Selon l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
15. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.
16. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de
M. D..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, il ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013.
17. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
18. M. D... se prévaut de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux de migrants massif et sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, si les pièces produites devant le premier juge, notamment les conclusions d'un rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés et du Danish Refugee Council du 12 décembre 2018 et celles d'un rapport de mission d'observation de l'association luxembourgeoise " Passerell " du mois de janvier 2019, révèlent des défaillances, celles-ci ne peuvent être qualifiées de systémiques. En outre, il n'est pas établi que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile puis, le cas échéant, de lui accorder des conditions d'asile, dans des conditions qui soient conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
19. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être écarté.
20. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, le moyen tiré de ce que la mesure d'assignation à résidence serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes ne peut qu'être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêtés en litige.
22. Le présent arrêt, qui statue au fond sur la requête en annulation du préfet de la Haute-Garonne dirigée contre le jugement du 1er août 2019, rend sans objet ses conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement.
DÉCIDE
Article 1er : Il n'y a pas de lieu de statuer sur la requête n° 19BX03433.
Article 2 : Le jugement n° 1904243 - 1904244 du 1er août 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme F..., présidente-assesseure,
M. C... E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 janvier 2020.
Le rapporteur,
Manuel E...
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Camille Péan
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
19BX03432 - 19BX03433 2