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13/01/2020 | FRANCE | N°19BX03244

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 13 janvier 2020, 19BX03244


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1800260 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 août 2019, Mme D... C..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de

la Guyane du 22 novembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Guyan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1800260 du 22 novembre 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 août 2019, Mme D... C..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 22 novembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne comporte pas l'ensemble des éléments relatifs à sa situation personnelle ;

- il n'a pas été procédé par le préfet à un examen réel et sérieux de sa situation ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L.313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

Par une ordonnance du 24 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 novembre 2019 à 12 h 00.

Par une décision du 16 mai 2019, Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante surinamaise née le 25 avril 1996 est, selon ses déclarations, entrée en France en 2003. Le 16 mai 2017, elle a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 24 mai 2017, le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Mme C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande présentée devant le tribunal administratif :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : / a) De la notification de la décision d'admission provisoire ; (...) / d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné."

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que l'arrêté du 24 mai 2017 du préfet de la Guyane a été notifié à Mme C... le 13 juin 2017. L'intéressée ayant sollicité le 8 août 2017 le bénéfice de l'aide juridictionnelle, cette demande a interrompu le délai de recours de deux mois. Le bureau d'aide juridictionnelle lui a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 octobre 2017 et a désigné l'avocat chargé de la représenter le 20 décembre 2017. En l'absence de preuve de notification de cette décision, et contrairement à ce que soutenait le préfet en première instance, le délai de recours contentieux n'a pas recommencé à courir à compter du 20 décembre 2017. Dès lors, la demande de Mme C..., enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Guyane le 9 mars 2018 n'était pas tardive.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 24 mai 2017 :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Selon l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

6. Si Mme C..., née en 1996, soutient qu'elle réside en Guyane avec son oncle et sa tante depuis 2003, il ressort des pièces du dossier que sa présence n'y est attestée que depuis 2009, année au cours de laquelle elle a été scolarisée en classe de 6ème au collège Concorde à Matoury. Elle a poursuivi une scolarité sérieuse et continue dans cet établissement jusqu'à la fin de l'année scolaire 2012/2013 ainsi qu'en témoignent notamment ses bulletins de note, le prix de l'encouragement qui lui a été décerné pour l'année scolaire 2010/2011 par le ministère de l'éducation nationale et le tableau d'honneur du conseil de classe qui lui a été remis en 2013. Inscrite dès la rentrée scolaire 2014/2015 au lycée professionnel Elie Castor de Kourou, Mme C... a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle d'" assistante technique en milieux familial et collectif " en 2015 ainsi qu'un brevet d'études professionnelles en " accompagnement, soins et services à la personne " en 2016. En 2017, elle a passé avec succès les épreuves du baccalauréat professionnel spécialité " accompagnement, soins et services à la personne " puis s'est inscrite en licence " sciences et vie de la terre " à l'Université de Guyane pour y poursuivre des études d'infirmière. Les appréciations très élogieuses portées sur les bulletins trimestriels comme les différents prix décernés à Mme C... au cours de sa scolarité, produits en appel, révèlent une insertion particulière de l'intéressée dans la société française. Par ailleurs Mme C... est hébergée en Guyane où résident sa soeur, ses oncles, ses tantes et ses cousins.

7. Dans ces conditions, compte tenu de la longue durée et des conditions du séjour en France de l'intéressée ainsi que de son jeune âge lors de son arrivée, de son intégration dans la société française, du fait qu'elle a poursuivi en France l'essentiel de sa scolarité, de la présence régulière en France de membres de sa famille proche, et alors même qu'elle n'est pas dépourvue de toute attache familiale au Surinam où demeure sa mère, Mme C... doit être regardée comme ayant transféré en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dès lors, l'arrêté contesté a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions précitées de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C..., que cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mai 2017 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler ledit jugement ainsi que l'arrêté du préfet de la Guyane du 24 mai 2017.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. " L'article L. 911-3 de ce code dispose que : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "

10. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel elle repose, que le préfet la Guyane délivre à Mme C... une carte de séjour mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Guyane de procéder à la délivrance de ce titre dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt ainsi que de lui délivrer, dans l'attente, dans un délai de quinze jours, une autorisation provisoire de séjour.

Sur les conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens :

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 16 mai 2019. Son conseil peut donc se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans ces circonstances, et sous réserve que ledit conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1000 euros.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 24 mai 2017 du préfet de la Guyane est annulé.

Article 2 : Le jugement n° 1800260 du 22 novembre 2018 du tribunal administratif de la Guyane est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de délivrer à Mme C... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et une autorisation provisoire de séjour dans les délais de, respectivement, trois mois et quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me E..., conseil de Mme C..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme B... A..., présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 janvier 2020.

Le rapporteur,

Karine A...Le président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX03244 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03244
Date de la décision : 13/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : PIGNEIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-01-13;19bx03244 ?
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