Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de sa demande préalable, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison de son exposition, au cours de sa carrière professionnelle, à l'inhalation de poussières d'amiante.
Par un jugement n°1701233 du 8 juin 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à lui payer la somme de 8 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2017, le ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 juin 2017.
2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'exposition aux poussières d'amiante était établie par les attestations produites ;
- l'intensité et l'ampleur de l'exposition aux poussières d'amiante ne sont pas établies, dès lors que l'attestation pour le suivi médical post-professionnel indique qu'il a occupé différents postes sans préciser les métiers exercés ;
- cette attestation ne permet pas de bénéficier d'un éventuel suivi médical ;
- les attestations de proches versées au débat ne sont pas suffisamment circonstanciées ;
- la faute de l'Etat n'est pas établie ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que M. B... établissait l'existence d'un préjudice moral tenant à l'anxiété de développer une pathologie grave et d'avoir une espérance de vie diminuée ;
- n'ayant pas mis en oeuvre le protocole de suivi médical post-professionnel et n'étant soumis à aucun dispositif médical particulier du fait de son exposition à l'amiante, son préjudice moral n'est pas établi.
Par ordonnance du 4 juin 2018, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 27 juin 2018.
Le ministre des armées a présenté un mémoire enregistré le 6 novembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 70-575 du 3 juillet 1970 :
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- le décret n° 70-1274 du 23 décembre 1970 ;
- le décret n° 71-571 du 9 juillet 1971 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 99-247 du 29 mars 1999 ;
- le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 30 juin 2003 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... A...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de Me G... pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a occupé, du 12 avril 1965 au 31 août 1995, différents postes de travail au sein de la poudrerie nationale de Saint-Médard-en-Jalles, devenue, à compter du 1er octobre 1972, la société nationale des poudres et explosifs (SNPE). Ce site est inscrit, depuis le 30 juin 2003, sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période allant de 1972 à 1997 par arrêté ministériel, pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999. Il a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis à raison de son exposition aux poussières d'amiante. Par un jugement du 8 juin 2017, dont le ministre des armées relève appel, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à payer à M. B... la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives : " (...) le monopole de l'Etat en matière de production, d'importation, d'exportation et de commerce des poudres et substances explosives est, à la date de la publication de la présente loi, aménagé de telle sorte que l'Etat puisse soit déléguer certaines opérations à des entreprises publiques, soit autoriser des entreprises publiques ou privées à exécuter ces opérations (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " L'Etat peut apporter ou donner en gérance sous forme de contrat de location des actifs du service des poudres nécessaires à l'exploitation, à une société nationale régie par la loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et dont l'Etat détiendra la majorité du capital social. ". Aux termes de l'article 5 de cette même loi : " I. A compter de la date de constitution de la société visée à l'article 3 (...) II-Les ouvriers sous statut des établissements apportés à la société seront mis à la disposition de celle-ci à compter de la date de sa constitution puis, dans un délai d'un an, recrutés par elle dans les conditions du droit du travail, sauf s'ils optent pour : a) Leur maintien à la disposition de la société avec conservation de leur statut. En conséquence, ils continueront à être régis par les textes qui s'appliquent ou s'appliqueront aux personnels placés sous statut d'Etat employés dans les établissements relevant du ministre d'Etat chargé de la défense nationale ; (..) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 9 juillet 1971 relatif à la situation des personnels de l'Etat mis à la disposition de la société nationale des poudres et explosifs en application de l'article 5 de la loi du 3 juillet 1970 précitée : " Les ouvriers sous statut mis à la disposition de la société nationale des poudres et explosifs (...) conservent le bénéfice de ce statut avec toutes ses conséquences de droit. / La notation, l'avancement, la discipline et d'une façon générale, l'administration de ces ouvriers sont assurés dans le cadre des dispositions règlementaires en vigueur par le président de la société ou par toute personne déléguée par lui à cet effet. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que l'établissement de Saint-Médard-en-Jalles dans lequel exerçait M. B... était exploité, jusqu'au 30 septembre 1972, par une administration publique rattachée à la délégation générale de l'armement du ministère des armées, la poudrerie nationale, puis, à compter du 1er octobre 1972, par la SNPE créée en application de l'article 3 de la loi du 3 juillet 1970. Il résulte des dispositions de l'article 3 du décret du 9 juillet 1971 précitées qu'il appartenait à la SNPE d'administrer les ouvriers demeurés sous le statut d'agent public et donc de mettre en oeuvre les règles d'hygiène et de sécurité propres à soustraire ces personnels au risque d'exposition aux poussières d'amiante dès lors qu'elle était devenue leur employeur. Par suite, la responsabilité de l'Etat en qualité d'employeur ne saurait être recherchée à ce titre pour la période allant du 1er octobre 1972 au 31 août 1995, alors même que M. B... avait opté pour le maintien de son statut d'agent public.
4. En revanche, le caractère nocif des poussières d'amiante étant connu depuis le début du XXème siècle et le caractère cancérigène de celles-ci ayant été mis en évidence dès le milieu des années cinquante, l'Etat, en tant qu'employeur, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'ayant pas mis en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à soustraire ses ouvriers à un risque d'exposition aux poussières d'amiante pour la période antérieure allant jusqu'au 30 septembre 1972, alors même qu'il résulte de l'instruction, ce qui n'est pas contesté par le ministre des armées, qu'il était utilisé une quantité importante d'amiante dans le processus de production de l'établissement de Saint-Médard-en-Jalles à partir de l'année 1963. Par suite, le ministre des armées n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a admis la responsabilité de l'Etat, en tant qu'employeur, pour carence fautive dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire au risque d'exposition aux poussières d'amiante.
Sur les préjudices :
5. Il appartient à l'intéressé d'exposer précisément les conditions d'exposition aux poussières d'amiante compte tenu de ses fonctions et de ses affectations successives. En outre, l'évaluation des préjudices dépend des éléments personnels et circonstanciés avancés par le requérant tenant notamment à la durée et aux conditions particulières d'exposition.
6. Pour établir l'exposition alléguée aux poussières d'amiante, M. B... a produit en première instance une attestation pour le suivi médical post-professionnel et des témoignages de plusieurs collègues. Il résulte de l'instruction que M. B... a travaillé à partir de 1965 au sein de la poudrerie nationale de Saint-Médard et a exercé les fonctions de chef d'équipe de fabrication. Il a également procédé, sans être équipé d'une protection individuelle, au montage et démontage des tuyauteries de chauffage isolées par des tresses d'amiante, poncé des protections thermiques et a été amené à faire des opérations sur les calorifugeages contenant de l'amiante. M. B..., établit ainsi avoir été exposé, à raison des fonctions qu'il exerçait, de façon suffisamment significative aux poussières d'amiante entre 1965 et le 30 septembre 1972.
En ce qui concerne le préjudice moral :
7. Il résulte de l'instruction que M. B... a travaillé dans les locaux relevant de la poudrerie nationale l'exposant aux poussières d'amiante pendant plus de sept ans. De par ses fonctions, il a été amené à manier l'amiante et à travailler dans un environnement de travail pollué par des fibres d'amiante. Dans ces conditions, tenant notamment aux carences constatées dans la mise en oeuvre de mesures de protection par l'Etat, aux fonctions exercées par l'intéressé, à sa durée d'exposition, au risque élevé de baisse d'espérance de vie de ces personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante et de la circonstance que M. B... ne justifie d'aucun suivi médical, le tribunal administratif de Bordeaux a fait une juste appréciation du préjudice subi par lui, compte-tenu des éléments personnels et circonstanciés pertinents avancés par lui, en fixant le montant de la réparation de son préjudice d'anxiété à la somme de 8 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à payer à M. B... la somme de 8 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2016.
DECIDE
Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... F..., présidente-assesseure,
Mme D... A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.
Le rapporteur,
Déborah A...Le président,
Dominique NavesLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17BX02354