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19/11/2019 | FRANCE | N°19BX02504,19BX02505

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 19 novembre 2019, 19BX02504,19BX02505


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 26 mars 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a décidé leur transfert aux autorités italiennes et les a assignés à résidence.

Par un jugement n°1901606, 1901607 du 3 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du préfet de

la Haute-Garonne du 26 mars 2019, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de déliv

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à M. et Mme E... une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile dans le délai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 26 mars 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a décidé leur transfert aux autorités italiennes et les a assignés à résidence.

Par un jugement n°1901606, 1901607 du 3 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé les arrêtés du préfet de

la Haute-Garonne du 26 mars 2019, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer

à M. et Mme E... une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile dans le délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat une somme totale de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 18 juin 2019 sous le n° 19BX02504, et un mémoire enregistré le 24 octobre 2019, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 3 avril 2019 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Il soutient que :

- son appel est recevable ;

- les arrêtés en litige ne sont pas entachés d'incompétence de leur signataire ;

- les rapports versés au dossier sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie ne sont pas pertinents ; l'Italie n'est plus confrontée à des arrivées massives de migrants ; il n'est pas établi que l'Italie, membre de l'Union européenne, ne pourrait pas accueillir M. et Mme E... et leur enfant dans le respect de leurs droits fondamentaux,

ni encore que le pays de transfert présenterait des défaillances systémiques ;

- la circonstance que la jeune C..., née le 1er janvier 2019, n'apparaisse pas sur la saisine, faite avant sa naissance, des autorités italiennes, est sans conséquence sur la prise en charge de celle-ci à son arrivée en Italie ; l'avis de transfert précisera sa présence, et elle bénéficiera en conséquence d'une prise en charge adaptée ;

- il n'est pas établi que l'état de santé de M. E... ferait obstacle à son transfert en Italie ;

- la cellule familiale pourra se reconstituer, de sorte que l'arrêté de transfert ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'éloignement étant une perspective raisonnable, l'assignation à résidence pouvait légalement être prononcée ;

- il s 'en remet à ses écritures de première instance s'agissant des autres moyens invoqués.

Par des mémoires enregistrés les 17 et 22 octobre 2019, M. et Mme E..., représentés par Me B... concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les écritures d'appel du préfet sont entachées d'incompétence de leur signataire ;

- les arrêtés de transfert sont insuffisamment motivés ;

- il n'est pas établi que la demande de transfert aurait été adressée aux autorités italiennes dans le délai imparti suivant la prise de leurs empreintes ;

- les éléments apportés par le préfet ne permettent nullement de démontrer que le dispositif italien d'accueil des demandeurs d'asile ne serait plus saturé ; le préfet a décidé leur transfert sans prendre en compte, ni le fait qu'ils n'auraient accès à aucun dispositif sanitaire à la suite de leur reprise en charge, ni encore de la naissance de leur enfant ;

- le préfet n'a, malgré leur situation, pas même envisagé de mettre en oeuvre l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il a ainsi commis une erreur de droit ;

- les décisions de transfert méconnaissent, compte tenu notamment de la naissance récente de leur enfant, les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les décisions les assignant à résidence sont insuffisamment motivées ; leur éloignement n'étant pas une perspective raisonnable, ces dispositions méconnaissent en outre les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

II. Par une requête enregistrée le 18 juin 2019 sous le n° 19BX02505, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1901606, 1901607 du tribunal administratif de Toulouse du 3 avril 2019.

Il soutient que ses moyens d'appel sont sérieux et, au-delà du délai de six mois,

le transfert ne pourra plus être exécuté.

Par ordonnance du 17 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 17 octobre 2019 dans le dossier n° 19BX02505.

Par des décisions du 24 octobre 2019, M et Mme E... ont obtenu l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 26 mars 2019 par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a décidé leur transfert aux autorités italiennes et les a assignés à résidence.

Par un jugement n° 1901606, 1901607 du 3 avril 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces arrêtés, a enjoint au préfet de

la Haute-Garonne de délivrer à M. et Mme E... une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement et en sollicite le sursis à exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées respectivement sous les numéros 19BX02504 et 19BX02505 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du

26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. D'autre part, dans son arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l'Homme a relevé que les capacités d'accueil des demandeurs d'asile de l'Italie étaient alors localement défaillantes, sans qu'il s'agisse pour autant d'une défaillance systémique faisant obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers ce pays , que " l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence n'était pas dénuée de fondement ", que cette situation obligeait le pays qui envisageait une procédure de transfert, lorsqu'elle portait sur une personne particulièrement vulnérable, et notamment s'agissant d'une famille avec de jeunes enfants, à obtenir au préalable une garantie individuelle concernant une prise en charge adaptée à l'âge des enfants ainsi que la préservation de l'unité familiale.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

6. Il ressort des documents produits au dossier, notamment un rapport établi

le 12 décembre 2018 par l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) et

le Danish Refugee Council et un rapport établi le 28 janvier 2019 par l'association luxembourgeoise " Passerell " à l'issue d'une mission d'observation réalisée du 10 au

18 janvier 2019, ainsi que plusieurs articles de presse, qu' à la date des arrêtés en litige, l'Italie, malgré la baisse significative d'entrées de migrants sur son territoire, ne pouvait assurer aux demandeurs d'asile particulièrement vulnérables des conditions matérielles d'accueil, notamment en termes d'hébergement et de suivi médical, adaptées à leur état spécifique. Il ressort des mêmes documents que ces difficultés constatées dans l'accueil des demandeurs d'asile particulièrement vulnérables revêtaient un caractère systématique s'agissant des demandeurs d'asile transférés en application du règlement n° 604/2013

du 26 juin 2013. A supposer même que ces difficultés ne caractérisent pas une défaillance systémique faisant obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers l'Italie, le préfet de la Haute-Garonne n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'insuffisance des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile particulièrement vulnérables transférés dans ce pays.

7. Il ressort des pièces du dossier que les décisions de transfert en cause ont été prises le 26 mars 2019, alors que la fille de M. et Mme E..., née le 1er février 2019 et prénommée C...----------

, était âgée de moins de deux mois et doit ainsi être regardée comme une personne particulièrement vulnérable au sens des normes qui régissent l'accueil des personnes demandant la protection internationale. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que c'est par un accord implicite que l'Italie a accepté de reprendre en charge M. et Mme E..., de sorte que cet accord a été donné sans que l'administration française n'obtienne de précisions sur les conditions spécifiques de prise en charge des intéressés et de leur enfant. Il est constant que l'administration n'avait aucune information détaillée et fiable quant à la structure précise de destination, aux conditions matérielles d'hébergement et à la préservation de l'unité familiale, et ne disposait pas, dès lors, d'éléments suffisants pour être assurée qu'en cas de renvoi vers l'Italie, M. et Mme E... et la jeune C... seraient pris en charge d'une manière adaptée. Par suite, dans les conditions particulières de l'espèce, et ainsi que l'a estimé le premier juge, les arrêtés de transfert en cause ont été pris sans que soit apportée une attention primordiale à l'intérieur supérieur de la jeune C..., en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. et Mme E..., que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses arrêtés de transfert ainsi que, par voie de conséquence, ses arrêtés portant assignation à résidence de M. et Mme E..., lui a enjoint de délivrer à ces derniers une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile et a mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions à fin de à sursis exécution :

9. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne, ses conclusions à fin de sursis à exécution du jugement ont perdu leur objet.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi

du 10 juillet 1991 :

10. M. et Mme E... bénéficient de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me B..., sous réserve que cette dernière renonce au versement de l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet de la Haute-Garonne enregistrée sous le n° 19BX02505.

Article 2 : La requête du préfet de la Haute-Garonne enregistrée sous le n° 19BX02504 est rejetée.

Article 3 : En application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera

à Me B..., avocate de M. et Mme E..., une somme de 1 200 euros sous réserve qu'elle renonce au versement de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Haute-Garonne, au ministre

de l'intérieur, à M. D... E..., à Mme G... E... et à Me B.....

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

Mme F... A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 novembre 2019.

Le rapporteur,

Marie-Pierre Beuve A...Le président,

Catherine GiraultLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02504,19BX02505
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : NACIRI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-19;19bx02504.19bx02505 ?
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