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19/11/2019 | FRANCE | N°17BX03865

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 19 novembre 2019, 17BX03865


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser, d'une part, la somme de 274 457,49 euros correspondant à l'indemnité transactionnelle qu'il a versée à M. F..., tuteur de son épouse, pour l'indemnisation des préjudices subis par cett

e dernière, ainsi que la somme de de 41 168,62 euros au titre de la pénalit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser, d'une part, la somme de 274 457,49 euros correspondant à l'indemnité transactionnelle qu'il a versée à M. F..., tuteur de son épouse, pour l'indemnisation des préjudices subis par cette dernière, ainsi que la somme de de 41 168,62 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Il a demandé, en outre qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui verser la somme de 291 044,40 euros au titre des débours exposés, ainsi que le remboursement des frais futurs, soit à mesure de leur exposition, soit par le versement d'un capital de 43 809,79 euros.

Par un jugement n° 1505611 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à verser, d'une part, à l'ONIAM, les sommes de 235 341,48 euros en remboursement de l'indemnisation versée dans l'intérêt de Mme F..., et de 25 534,14 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et d'autre part, à la CPAM de la Gironde, la somme de 291 104,44 euros au titre de ses débours passés ainsi qu'une somme annuelle de 6 571,14 euros au titre des dépenses de santé futures. En outre, il a mis à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM une somme de 1 200 euros à verser à l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017 et un mémoire enregistré le 1er mars 2019, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à ses demandes ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui verser les sommes de 274 457,49 euros au titre de l'indemnité transactionnelle versée et de 41 168,62 euros au titre de la pénalité au taux de 15 %, et de mettre à leur charge une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés à l'occasion du litige de première instance ;

3°) de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité sans faute du CHU de Bordeaux du fait de la rupture d'un fil de suture défectueux utilisé lors de l'intervention chirurgicale du 2 décembre 2011, à l'origine des préjudices de la victime ; en revanche, la réduction des indemnités par rapport à ses demandes est insuffisamment motivée ;

- avant l'accident médical, Mme F... était valide et autonome, et l'âge ne constitue pas un facteur de vulnérabilité de nature à réduire le droit à indemnisation ;

- le préjudice d'agrément doit être fixé à 18 000 euros dès lors que, compte tenu de son hémiplégie et de son aphasie, Mme F... ne peut plus s'adonner aux activités sportives et culturelles qu'elle pratiquait avant l'accident ;

- le préjudice esthétique de 5,5 sur 7, caractérisé par une hémiplégie droite complète et une paralysie faciale, doit être évalué à 18 000 euros ;

- le préjudice sexuel doit être évalué à 5 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu un coût annuel de l'hébergement en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de 21 789,85 euros et a calculé une capitalisation à compter de la date du jugement ; les frais futurs capitalisés à compter du 1er novembre 2014 s'élèvent à 42 953,64 euros ; lors de la procédure amiable, M. F... a attesté ne percevoir aucune aide financière relative à la tierce personne ;

- dès lors que la réticence de la SHAM à présenter une offre d'indemnisation était injustifiée, la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique doit être appliquée au taux de 15 % et non à celui de 10% retenu par le tribunal ;

- la somme de 1 200 euros allouée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne permet pas de couvrir l'ensemble des frais qu'il a dû exposer pour faire valoir ses droits en première instance ;

- l'argumentation développée par le CHU de Bordeaux et la SHAM n'est pas fondée.

Par un mémoire enregistré le 25 février 2019, le CHU de Bordeaux et la SHAM, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête et demandent à la cour d'annuler le jugement et de rejeter les demandes présentées par l'ONIAM et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde devant le tribunal.

Ils soutiennent que :

- dès lors que les experts ont émis plusieurs hypothèses permettant d'expliquer la rupture du fil de suture et qu'il n'existe aucun indice en faveur d'un défaut, c'est à tort que le tribunal a retenu la responsabilité sans faute du CHU ;

A titre subsidiaire :

- ni le montant des protocoles transactionnels, ni le référentiel indicatif de l'ONIAM ne lient la juridiction ;

- les frais de placement en EHPAD de Mme F... ne sont pas en lien avec l'accident médical, mais avec la dégradation de l'état de santé de son époux ; par ailleurs, le lien de causalité n'est pas certain compte tenu de l'âge et de l'état pathologique antérieur de la victime ; en outre, il convient de déduire les allocations perçues par M. F... au titre du handicap de son épouse, et il n'est pas établi qu'il n'en aurait pas perçu et n'en percevra aucune à l'avenir ;

- l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire doit être calculée après déduction du déficit imputable à une intervention sans complications, et tenir compte du fait qu'une désobstruction carotidienne chez une personne âgée de près de 80 ans aurait largement diminué ses activités ; le préjudice doit être calculé sur la base de 13 euros par jour ;

- en allouant 17 500 euros au titre des souffrances endurées alors que l'ONIAM ne demandait que 14 500 euros, le tribunal a statué ultra petita et commis une erreur de droit ; compte tenu de l'âge de la victime, de son état antérieur et de la nécessité de l'intervention, l'indemnité ne saurait excéder 13 500 euros ;

- l'existence d'un préjudice d'agrément distinct en lien avec l'accident médical n'est pas établie ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique ne saurait excéder 13 500 euros dans les circonstances de l'espèce ;

- l'existence d'un préjudice sexuel n'est pas établie ;

- c'est à tort que le tribunal a alloué à la CPAM de la Gironde l'ensemble des frais hospitaliers à compter du 2 décembre 2011, dont une partie correspondait à l'état antérieur, et trois séances de kinésithérapie par semaine alors que l'expertise n'en recommandait qu'une ;

- les frais d'hébergement futurs en EHPAD ne sont pas en lien avec l'accident médical, et à titre subsidiaire, les bases de calcul retenues par le tribunal ne sont pas erronées ;

- la demande de l'ONIAM relative à la pénalité n'est pas fondée dès lors que la SHAM a pu légitimement considérer, au vu du rapport d'expertise, que la défectuosité du fil de suture n'était pas établie.

Par un mémoire enregistré le 26 février 2019, la CPAM de la Gironde, représentée par la SELARL Bardet et associés, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qui concerne la responsabilité du CHU de Bordeaux, de porter la somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été condamnés solidairement à lui verser à 323 636,80 euros en remboursement de ses débours actualisés, de condamner le CHU de Bordeaux et la SHAM à lui rembourser ses débours futurs sous forme d'un capital, et de mettre à leur charge une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expertise fait clairement apparaître que le dommage a été causé par la rupture d'un fil défectueux et qu'il n'est pas la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale ;

- par l'attestation produite, établie par son médecin conseil, elle a justifié du lien de causalité entre l'accident médical et ses débours.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant l'ONIAM, et de Me D..., représentant la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 décembre 2011, Mme F..., alors âgée de 79 ans, a subi au CHU de Bordeaux une intervention chirurgicale pour le traitement d'une sténose de la carotide gauche. Six heures après la fin de cette thromboendartériectomie, qui s'est déroulée de façon satisfaisante, de même que la phase de réveil, la patiente a présenté un malaise avec collapsus en relation avec un volumineux hématome compressif au niveau de la zone opératoire. La reprise chirurgicale réalisée en urgence a révélé une hémorragie causée par la rupture du fil de suture de l'artère carotide. La compression manuelle nécessaire à la limitation de cette hémorragie a provoqué un accident vasculaire cérébral massif qui a eu pour conséquences une hémiplégie droite complète et flasque, une aphasie et des troubles cognitifs. M. F..., devenu tuteur de son épouse, a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine, qui a rendu le 22 janvier 2014 un avis selon lequel la réparation des préjudices subis par

Mme F... du fait de la défectuosité du fil chirurgical incombe à l'assureur du CHU de Bordeaux. La SHAM ayant refusé de présenter une offre d'indemnisation à la victime, l'ONIAM s'est substitué à cet assureur, en application des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et a conclu avec M. F... deux protocoles transactionnels pour un montant total d'indemnisation de 274 457,49 euros. L'ONIAM relève appel du jugement

du 10 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux n'a que partiellement fait droit à ses demandes de condamnation du CHU et de la SHAM à lui rembourser ces sommes sur le fondement de sa subrogation dans les droits de la victime. La CPAM de la Gironde demande la condamnation du CHU de Bordeaux et de son assureur à lui rembourser ses débours actualisés. Contestant le principe de la responsabilité de l'établissement hospitalier, le CHU de Bordeaux et la SHAM, par la voie de l'appel incident, demandent l'annulation de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité (...) d'un établissement de santé (...), l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance. / (...). ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. (...) ". Il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé en vertu de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes qu'il lui a versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis afin de fixer le montant des indemnités dues à l'office. Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

Sur la régularité du jugement :

3. La circonstance que le tribunal n'a pas détaillé les raisons pour lesquelles il a modifié l'appréciation de certains préjudices par rapport aux indemnités accordées transactionnellement par l'ONIAM, qu'il n'était pas tenu de prendre en compte, n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux :

4. Sans préjudice des actions susceptibles d'être exercées à l'encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.

5. Aux termes de l'article 1245-3 du code civil : " Un produit est défectueux (...) lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. (...). ". Les experts missionnés par la CCI ont souligné le caractère " heureusement exceptionnel " de la rupture du fil ayant suturé l'ouverture de l'artère carotide, qualifié de très fin mais aussi très résistant, constitué de polypropylène et utilisé couramment depuis de nombreuses années. S'ils se sont interrogés sur les causes possibles d'une telle rupture, les hypothèses émises, selon lesquelles une poussée de tension en post-opératoire, un effort de toux ou une fragilisation du fil par étirement lors de l'extraction de son support auraient pu favoriser sa rupture, sont en contradiction avec la grande résistance qu'impose l'usage auquel il est destiné, et au demeurant, la dernière hypothèse engagerait la responsabilité pour faute de l'établissement hospitalier dès lors que le chirurgien est tenu de s'assurer du bon état du fil de suture qu'il utilise. Le caractère défectueux de ce fil résulte du fait que, n'ayant pas permis le maintien de la fermeture de l'artère carotidienne, il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à contester l'engagement de la responsabilité sans faute du CHU.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant de l'assistance d'une tierce personne :

6. Les frais d'assistance par une tierce personne jusqu'au placement de

Mme F... en EHPAD, fixés à 4 410 euros par le tribunal, ne sont pas contestés par les parties.

S'agissant des frais d'hébergement en EHPAD :

7. Il résulte de l'instruction que Mme F..., qui était valide et active avant l'intervention du 2 décembre 2011 et a présenté un déficit fonctionnel de 90 % en lien avec l'accident médical, n'a pu être maintenue à son domicile que par la mise en oeuvre contraignante de diverses interventions extérieures, comprenant notamment l'intervention d'une infirmière trois fois par jour pour le lever, la toilette, la prévention d'escarres et la mise au fauteuil, et par la présence constante de son époux, alors même que celle-ci n'a été évaluée qu'à 1 h 30 par jour d'aide matérielle. La circonstance que l'état de santé de M. F... ne lui a plus permis de supporter une telle organisation est sans incidence sur le lien de causalité entre l'accident médical et le placement de son épouse en EHPAD.

8. Dès lors que la somme de 84 370,77 euros versée par l'ONIAM à M. F... au titre des frais d'hébergement de son épouse en EHPAD correspond seulement à la période antérieure au 85ème anniversaire de la victime, le CHU n'est pas fondé à soutenir que l'âge de cette dernière ferait obstacle à l'établissement d'un lien entre ces frais et l'intervention en litige. Cette somme se décompose en 41 417,13 euros de " frais échus " du 8 février 2013

au 31 octobre 2014, et 42 953,64 euros de " frais futurs " du 1er novembre 2014

au 16 février 2016. Par le jugement attaqué, le tribunal a fixé à 41 417,63 euros les frais relatifs à la période du 8 février 2013 au 31 octobre 2014, mais a réduit à 21 789,85 euros

les " frais futurs ", qu'il a évalués par erreur à 23 710,39 euros annuels en leur appliquant un coefficient inexpliqué de 0,919 relatif à l'âge de 85 ans de Mme F... à la date du jugement.

9. Il résulte toutefois de l'instruction que le montant des " frais échus "

de 41 417,13 euros retenu par l'ONIAM est issu des factures produites par M. F..., et que les " frais futurs " ont été calculés en appliquant, au coût annuel moyen résultant de ces factures, qui était de 24 158,40 euros, le prix de l'euro de rente capitalisée à l'âge de 83 ans,

âge de la victime à la date de la transaction, jusqu'à l'âge de 85 ans, soit 1,778. Ainsi, il appartenait bien au tribunal de tenir compte d'une majoration, et non d'une diminution des frais futurs. Par ailleurs, l'ONIAM justifie suffisamment, par la production des états récapitulatifs établis par l'EHPAD et d'une attestation de M. F..., de l'absence d'aide financière relative à la tierce personne pouvant être déduite de ces frais. Par suite, il y a lieu de porter à 42 953,64 euros l'indemnisation des " frais futurs ", et, dès lors, à la somme totale

de 84 370,77 euros l'indemnité relative aux frais d'hébergement en EHPAD.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

10. Si le CHU et la SHAM font valoir que l'intervention de désobstruction carotidienne aurait, compte tenu de l'âge de Mme F..., " largement diminué " ses activités, ils n'apportent aucun élément de nature à contredire les experts selon lesquels, en cas d'intervention sans complication, l'hospitalisation aurait été de quatre jours et l'interruption des activités personnelles d'un mois, soit une hospitalisation jusqu'au 6 décembre 2011 et une convalescence jusqu'au 6 janvier 2012. Par suite, le déficit fonctionnel temporaire est entièrement imputable à l'accident médical du 7 janvier 2012 au 8 février 2013, date de consolidation. Bien que les experts qualifient le déficit de total jusqu'au 8 février 2013, il résulte de l'instruction que Mme F... avait retrouvé, lors de la période de retour à son domicile du 13 juillet 2012 au 8 février 2013, la capacité de s'alimenter seule avec sa main gauche, tous les autres actes de la vie quotidienne nécessitant l'aide d'une tierce personne. Dans ces circonstances, et dès lors que l'âge de la victime n'est pas de nature à minimiser les troubles de toute nature dans ses conditions d'existence résultant de la perte brutale de son autonomie, le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 6 960 euros.

11. Ainsi qu'il a été dit au point 2, il appartient au juge, saisi d'un recours subrogatoire par l'ONIAM qui a conclu une transaction avec la victime, d'évaluer les préjudices subis par cette dernière afin de fixer le montant des indemnités dues à l'Office. Dès lors que le tribunal n'a pas alloué une indemnité globale d'un montant supérieur à ce qui était demandé, il n'a pas statué au-delà des conclusions dont il était saisi en fixant à 17 500 euros le préjudice résultant des souffrances endurées, évaluées à 5,5 sur 7 par l'expert et qui avaient été indemnisées à hauteur de 14 500 euros par l'ONIAM. L'âge de la victime invoqué par le CHU de Bordeaux et la SHAM n'étant pas de nature à atténuer les souffrances physiques et morales que lui ont causées l'accident médical, il y a lieu de confirmer l'évaluation de ce chef de préjudice par le tribunal à 17 500 euros.

12. L'indemnisation du déficit fonctionnel permanent, fixée à 123 264 euros par le tribunal, n'est pas contestée par les parties.

13. Il résulte de l'instruction que Mme F... était avant l'accident médical une personne active physiquement et intellectuellement, qui marchait tous les jours, pratiquait l'aquagym et étudiait l'anglais et l'allemand. Du fait de son handicap en lien avec l'accident médical, elle se trouve confinée au fauteuil, sans possibilité de communiquer et avec des facultés de compréhension réduites, ce qui caractérise un préjudice d'agrément distinct des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés au titre du déficit fonctionnel permanent. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 10 000 euros.

14. Il résulte de l'instruction que l'accident médical a fortement altéré l'apparence physique de Mme F..., qui était auparavant valide et active, dès lors qu'il a pour conséquences une paralysie de la moitié du visage, un confinement au fauteuil, ainsi qu'une aphasie et des troubles de la compréhension ayant des répercussions sur son apparence physique. Ce préjudice esthétique a été évalué à 5,5 sur 7 par les experts. Il y a lieu de porter son indemnisation à la somme de 18 000 euros.

15. Ni les critiques de principe du CHU et de la SHAM sur l'existence même d'un préjudice sexuel à l'âge de la victime, ni la demande de l'ONIAM à hauteur de l'indemnisation de 5 000 euros versée pour ce chef de préjudice ne sont de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal en fixant à 2 000 euros, par des motifs qu'il y a lieu d'adopter, l'évaluation du préjudice sexuel de la victime.

16. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de Mme F... entrant dans le champ du recours subrogatoire de l'ONIAM s'élèvent à 266 504,77 euros. Par suite, il y a lieu de porter la condamnation solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM de la somme de 235 341,48 euros à celle de 266 504,77 euros.

Sur les droits de la CPAM de la Gironde :

17. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation d'imputabilité du médecin conseil de la CPAM de la Gironde, que les frais hospitaliers dont elle a obtenu le remboursement à partir du 2 décembre 2011, date de la reprise chirurgicale réalisée en urgence du fait de la rupture du fil de suture, étaient en lien exclusif avec l'accident médical. Par ailleurs, si les experts n'ont retenu la nécessité que d'une séance de kinésithérapie par semaine, cette évaluation apparaît insuffisante au regard de l'état de santé

de Mme F..., dont la description, eu égard à l'hémiplégie droite en lien avec l'accident, justifie les trois séances hebdomadaires prises en charge par la caisse. Par suite, le CHU de Bordeaux et la SHAM ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement sur ces points.

18. En deuxième lieu, les débours actualisés dont la CPAM de la Gironde demande le remboursement correspondent à ceux qui lui ont été accordés par le jugement, les différences de montants s'expliquant par le seul fait qu'une partie des débours futurs à la date du jugement sont devenus actuels à la date du recours devant la cour. Ainsi, la caisse se borne, en ce qui concerne le montant de ses débours, à demander la confirmation du jugement.

19. En second lieu, aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident (...). " Eu égard à ces dispositions, qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Dès lors que le CHU de Bordeaux s'y est opposé, la demande de la CPAM de la Gironde tendant au remboursement sous forme d'un capital de ses débours futurs doit être rejetée, et ces débours ne pourront être remboursés qu'au fur et à mesure qu'ils seront exposés, sur justificatifs..

Sur la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique :

20. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. ". Il résulte de l'instruction que malgré les conclusions sans ambiguïté de l'expertise sur la défaillance du fil de suture à l'origine de l'accident médical, la SHAM a refusé de présenter une offre d'indemnisation. Par suite, il y a lieu de porter la pénalité à laquelle elle est solidairement condamnée avec le CHU de Bordeaux à 15 % de l'indemnité allouée par le présent arrêt, soit 39 975,71 euros.

Sur l'indemnité prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

21. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) / En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum

de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée (...). ". L'arrêté du 27 décembre 2018 fixe respectivement ces montants à 1 080 euros et 27 euros. En l'espèce, le rejet de la demande de la CPAM tendant au versement de ses débours futurs sous forme d'un capital entraîne, par voie de conséquence, celui de ses conclusions relatives au relèvement de la somme allouée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige de première instance :

22. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Le tribunal n'a pas fait une application erronée de ces dispositions en allouant à l'ONIAM une somme de 1 200 euros.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige d'appel :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du CHU de Bordeaux et de la SHAM une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'ONIAM à l'occasion du présent litige.

24. La CPAM de la Gironde, qui est partie perdante dans la présente instance, n'est pas fondée à demander qu'une somme lui soit allouée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM ont été solidairement condamnés à verser à l'ONIAM en remboursement de l'indemnité transactionnelle qu'il a versée

à M. F... est portée de 235 341,48 euros à 266 504,77 euros.

Article 2 : La pénalité que le CHU de Bordeaux et la SHAM sont solidairement condamnés

à verser à l'ONIAM sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique est portée de 25 534,14 euros à 39 975,71 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 octobre 2017 est réformé

en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le CHU de Bordeaux et la SHAM verseront solidairement à l'ONIAM une somme

de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 novembre 2019.

La rapporteure,

Anne B...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

10

N° 17BX03865


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX03865
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité sans faute.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Subrogation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-19;17bx03865 ?
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