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05/11/2019 | FRANCE | N°19BX00217

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 05 novembre 2019, 19BX00217


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 23 mars 2018 du préfet de la Dordogne rejetant sa demande de titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, et fixant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1802230 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés respectivement >
les 18 janvier et 28 août 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'ann...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 23 mars 2018 du préfet de la Dordogne rejetant sa demande de titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, et fixant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1802230 du 2 octobre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés respectivement

les 18 janvier et 28 août 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 2 octobre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Dordogne du 23 mars 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard , ou à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous les mêmes conditions d'astreinte et de délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté a été pris en violation des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que de l'article 6 de l'arrêté

du 27 décembre 2016, dès lors que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ne fait pas apparaître le nom du médecin instructeur, ce qui n'a pas permis au préfet de s'assurer de la régularité de la composition du collège, le courriel de l'OFII indiquant ce nom n'étant pas suffisamment probant ; le préfet devrait produire la fiche " Themis " remplie par le médecin, qui ne peut faire l'objet d'erreurs ; son dossier ne lui a pas été communiqué malgré sa demande ; ces manquements le privent de la garantie du contrôle de la régularité de la composition du collège de médecins ;

- le préfet ne produit aucun élément propre à établir que l'avis de l'OFII aurait résulté d'une délibération collégiale, ce qui l'a privé d'une garantie procédurale ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique et celles de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que le rapport du médecin instructeur ne lui a pas été communiqué malgré sa demande en ce sens ;

- l'avis du collège de médecins ne précise pas si son médecin traitant a été sollicité pour un complément d'information, en méconnaissance de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de connaître les éléments sur lesquels le collège de médecins, qui ne l'a pas convoqué et ne s'est pas prononcé sur les conséquences de son retour au regard du traumatisme subi, s'est fondé pour se prononcer sur la possibilité de bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- la spécificité de sa pathologie n'a pas été prise en compte, en méconnaissance du point C de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017 ; les médicaments non substituables dont il a besoin ne sont pas disponibles au Togo ; il bénéficie en France d'une prise en charge médico-psychologique ainsi que d'un traitement médicamenteux ; il doit être suivi en France compte tenu de l'importance du lien thérapeutique créé avec son médecin ;

- le fait de retourner dans son pays d'origine, où il a subi un traumatisme reconnu par la CNDA dans son arrêt du 3 novembre 2017, s'assimilerait à un défaut de soins au sens du

point C de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017 ;

- l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, au regard de son investissement dans des activités musicales, sociales, bénévoles et cultuelles ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; sa situation est en cours de réexamen devant la CNDA en raison de l'agression subie par son épouse et l'un de ses enfants au Togo.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er août 2019, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 août 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 5 septembre 2019.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2018/020809 du 20 décembre 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal

de grande instance de Bordeaux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux ;

- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice de leurs missions par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., de nationalité togolaise, est entré en France le 24 septembre 2015 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa d'une durée de trente jours délivré le 10 septembre 2015 par les autorités consulaires françaises à Lomé. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 20 février 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 3 novembre 2017 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). M. D... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade

le 30 novembre 2017. Il relève appel du jugement du 2 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 mars 2018 du préfet de la Dordogne refusant de lui délivrer ce titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

Sur la légalité de la décision du 23 mars 2018 :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de

l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " (...) Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...) ". En vertu de l'article 5 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport (...) ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté: " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ". Aux termes de l'article 3 de

l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues

à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'avis du collège de médecins de l'OFII est établi sur la base du rapport médical élaboré par un médecin de l'office selon le modèle figurant dans l'arrêté du 27 décembre 2016 mentionné à l'article 2 ainsi que des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont le demandeur d'un titre de séjour pour raison de santé est originaire. / Les possibilités de prise en charge dans ce pays des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s'appuyant sur une combinaison de sources d'informations sanitaires. / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. / Afin de contribuer à l'harmonisation des pratiques suivies au plan national, des outils d'aide à l'émission des avis et des références documentaires présentés en annexe II et III sont mis à disposition des médecins de l'office. ". Enfin, selon l'annexe II de cet arrêté : " C. - Points particuliers concernant les pathologies les plus fréquemment concernées : a) Les troubles psychiques et les pathologies psychiatriques. Les informations suivantes doivent en principe être recueillies : description du tableau clinique, critères diagnostiques, en référence à des classifications reconnues (classification internationale des maladies : CIM10, ou manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : DSM 5). Il est également important que soient précisés, lorsque ces éléments sont disponibles, la gravité des troubles, son suivi et les modalités de prise en charge mises en place. L'importance dans ce domaine de la continuité du lien thérapeutique (lien patient-médecin) et du besoin d'un environnement/entourage psycho social familial stable (eu égard notamment à la vulnérabilité particulière du patient) doit être soulignée. / Le problème des états de stress post-traumatique (ESPT) est fréquemment soulevé, notamment pour des personnes relatant des violences, tortures, persécutions, traitements inhumains ou dégradants subis dans le pays d'origine. La réactivation d'un ESPT, notamment par le retour dans le pays d'origine, doit être évaluée au cas par cas (...). ".

3. En premier lieu, d'une part, il ne résulte ni des dispositions du 11° de

l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni de celles des articles R. 313-22 et R. 313-23 de ce code, ni de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016, ni d'aucun principe, que l'avis du collège de médecins de l'OFII devrait porter mention du nom du médecin qui a établi le rapport médical transmis au collège de médecins de

l'Office. Les dispositions de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 précisant que l'avis mentionne " les éléments de procédure " renvoient, ainsi qu'il résulte du modèle d'avis figurant à l'annexe C de l'arrêté, aux indications relatives à la convocation éventuelle de l'étranger par le médecin instructeur ou par le collège, et à la demande éventuelle d'examens complémentaires. Ainsi, le défaut de mention du nom du médecin rapporteur est sans incidence sur la régularité de l'avis, et, par voie de conséquence, sur la légalité du refus de titre de séjour.

4. D'autre part, il ressort d'un courriel de la directrice territoriale de l'OFII du 8 août 2018 que l'auteur du rapport médical concernant M. D... est le docteur Florence Coulonges, alors que le collège de médecins ayant émis l'avis du 5 février 2018 était composé des docteurs Michel Haddad, Marc-Antoine Crocq et Charles Candillier. La circonstance que des erreurs aient pu être commises à l'occasion d'un autre dossier n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant de ce courriel. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'inviter le préfet à produire la fiche " Themis " d'instruction de la demande du requérant, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

5. En deuxième lieu, s'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties, il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées. Il résulte des dispositions de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 que l'avis est émis par le collège de médecins à l'issue d'une délibération pouvant prendre la forme soit d'une réunion, soit d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. En l'espèce, la mention " après en avoir délibéré " portée sur l'avis fait foi jusqu'à preuve du contraire, laquelle n'est pas rapportée par le requérant. Par suite, le moyen tiré de ce que M. D... aurait été privé de la garantie d'un débat collégial du collège de médecins de l'OFII doit être écarté.

6. En troisième lieu, ni le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni l'arrêté du 27 décembre 2016, ni aucun autre texte ne prévoit la communication à l'intéressé du rapport médical fondant l'avis du collège de médecins. En outre, la demande de communication de ce rapport, adressée par M. D... à l'OFII en date du 14 mai 2018, est postérieure à l'arrêté contesté. Le rejet de cette demande est ainsi, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

7. En quatrième lieu, la circonstance, à la supposer établie, que l'OFII aurait refusé de communiquer le rapport médical à M. D... n'est pas de nature à faire douter de son existence, laquelle ressort du courriel de la directrice territoriale de l'OFII mentionné au point 4.

8. En cinquième lieu, le moyen tiré de ce que l'avis du collège de médecins ne précise pas si le médecin traitant de M. D... a été sollicité pour un complément d'information ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que ni les dispositions de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni aucun principe ne font peser sur l'administration une obligation de compléter des éléments qu'elle estime suffisants.

9. En sixième lieu, aucune des dispositions citées au point 2 n'impose que l'avis indique les éléments sur lesquels le collège de médecins de l'OFII s'est fondé pour se prononcer sur la possibilité pour le demandeur de bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, le requérant ne peut utilement faire valoir que l'avis ne permet ni de vérifier la procédure d'instruction suivie par l'OFII, ni de connaître les éléments pris en compte sur la possibilité de bénéficier d'un traitement approprié au Togo.

10. En septième lieu, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et s'il peut bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie à laquelle l'avis du collège de médecins de l'OFII est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger, et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

11. L'avis du 5 février 2018 du collège de médecins de l'OFII indique que si l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, et que son état de santé lui permet de voyager sans risque. Pour contredire cet avis, M. D... soutient que, souffrant d'un stress post-traumatique sévère suite aux tortures et sévices subis dans son pays d'origine, il doit être regardé comme ne pouvant bénéficier au Togo des traitements appropriés. Il produit deux certificats médicaux

établis le 12 janvier 2018 et le 23 mai 2018 par un médecin psychiatre, praticien au centre hospitalier de Périgueux, ainsi qu'un certificat établi le 22 mai 2018 par son médecin traitant, selon lesquels le stress post-traumatique est dû à des exactions subies au Togo, et comporte des risques de décompensation dépressive sévère et de suicide. Ces certificats médicaux précisent que M. D... aura toujours besoin d'un suivi dans un lieu sécure, sans indiquer toutefois que ces troubles feraient obstacle à son renvoi au Togo. Le requérant produit également un certificat médical établi le 18 juin 2018 par un autre médecin psychiatre de Périgueux, précisant qu'un retour sur le lieu des violences et tortures qu'il a dû fuir réactiverait l'acuité du traumatisme et risquerait de conduire à un passage à l'acte suicidaire. Toutefois, les sévices documentés par les attestations médicales, dont la réalité a été également reconnue par la CNDA, remontent à l'année 2014, et il ressort du récit du psychiatre qui suit l'intéressé que celui-ci s'est rendu dans un premier temps au Ghana avec sa famille, avant de venir en France en 2016. La seule caractérisation des violences exercées sur M. D... ne suffit pas à exclure toute possibilité de se soigner dans son pays d'origine, et il appartient au juge de rechercher s'il pourrait effectivement y bénéficier des traitements adaptés à son état.

12. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du certificat médical

établi le 7 janvier 2018 par le médecin psychiatre du centre hospitalier de Périgueux, que l'état de santé du requérant nécessitait alors un traitement à base d'antidépresseurs, d'anxiolytiques et de neuroleptiques, constitué de Clomipramine 25 mg, de Xeroquel LP 400 et de Mogadon 5 mg. M. D... produit des courriels de la centrale d'achat de médicaments essentiels génériques du Togo du 24 mai 2018, indiquant que la Clomipramine, l'Olanzapine et le Clorazépate dipotassique ne sont pas commercialisés par cette centrale, ainsi que d'un pharmacien installé au Togo, qui précise que ces médicaments n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché délivrée par l'autorité sanitaire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que seule la Clomipramine était prescrite au requérant à la date de l'arrêté attaqué, l'Olanzapine et le Clorazépate ne l'ayant été que postérieurement, en remplacement du Xeroquel et du Mogadon, dont la disponibilité n'est pas contestée. En tout état de cause, il ressort des pièces produites par le préfet de la Gironde que l'Olanzapine était disponible dans une pharmacie de Lomé à deux dates distinctes,

le 9 janvier 2017 et le 3 juillet 2018, et que des anxiolytiques dérivés de la benzodiazépine et des antidépresseurs de la catégorie des inhibiteurs non sélectifs de la recapture de la monoamine, dont relèvent respectivement le Clorazépate et la Clomipramine, sont disponibles au Togo. Enfin, si M. D... produit un certificat médical du 23 mai 2018 selon lequel son traitement " apparaît le plus adapté et n'est pas substituable ", la mention " non substituable " a pour seul objet d'interdire au pharmacien, pour des raisons médicales, de substituer à la spécialité prescrite une autre spécialité du même groupe générique, et ne saurait être prise en compte pour apprécier l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine d'un étranger sollicitant un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la psychothérapie de M. D..., assurée depuis octobre 2017 par un médecin psychiatre, et en complément depuis janvier 2018 par un praticien du centre hospitalier de Périgueux, ne pourrait l'être par d'autres thérapeutes, dès lors que les certificats rédigés par ces médecins ne font pas apparaître de spécificité particulière dans leurs méthodes de travail. La " relation de confiance " invoquée ne fait pas obstacle à ce que le requérant puisse bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Dordogne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que M. D... pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles de l'article L. 511-4 du même code doivent être écartés.

15. En huitième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Ainsi qu'il a été dit, M. D... peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine. Par ailleurs, les relations sociales et amicales qu'il a nouées dans le cadre de ses activités d'animateur et de formateur en musiques traditionnelles dans le cadre périscolaire, de son engagement dans la vie associative, et de sa participation à des concerts ainsi qu'aux prières et chorales de deux églises, ne caractérisent pas des liens personnels d'une particulière intensité. M. D..., entré en France à l'âge de 40 ans, n'y résidait que depuis deux ans à la date de l'arrêté contesté, et n'y a pas d'attaches familiales, alors que son épouse et ses quatre enfants mineurs se trouvent dans son pays d'origine ou au Ghana où il n'allègue pas ne pouvoir les rejoindre. Dans ces circonstances, l'arrêté attaqué ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

16. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". M. D..., dont la demande de réexamen au titre de l'asile a été au demeurant rejetée le 4 septembre 2018 par l'OFPRA, ne fait état d'aucun élément probant de nature à établir qu'il encourrait des risques actuels et personnels d'atteinte à sa vie ou à son intégrité physique en cas de retour dans son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des stipulations précitées ne peut être accueilli.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens, doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.

La rapporteure,

Anne B...Le président

Catherine Girault

La greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

No 19BX00217


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00217
Date de la décision : 05/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : PERRIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-11-05;19bx00217 ?
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