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25/07/2019 | FRANCE | N°17BX01725

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 25 juillet 2019, 17BX01725


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Université Paul Sabatier Toulouse III a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

- à titre principal, de condamner solidairement, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie, la société Socotec, la société entreprise générale Dumez Sud, la société Soprema et la société Delvaux Combalie à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC a

u titre des travaux de réfection et d'étanchéité du sol des cuisines de " la maison des per...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Université Paul Sabatier Toulouse III a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

- à titre principal, de condamner solidairement, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie, la société Socotec, la société entreprise générale Dumez Sud, la société Soprema et la société Delvaux Combalie à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC au titre des travaux de réfection et d'étanchéité du sol des cuisines de " la maison des personnels ", majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de dépôt du rapport d'expertise et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

- à titre subsidiaire, de les condamner solidairement, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC au titre des mêmes travaux, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de dépôt du rapport d'expertise et d'ordonner la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1303071 du 4 avril 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 1er juin 2017 et 28 juin 2018, l'Université de Toulouse III, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 4 avril 2017 ;

2°) à titre principal, de condamner solidairement, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie, la société Socotec et la société entreprise générale Dumez Sud à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC au titre des travaux de réfection et d'étanchéité du sol des cuisines de " la maison des personnels ", majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de dépôt du rapport d'expertise et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC au titre des mêmes travaux, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de dépôt du rapport d'expertise et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner solidairement ces mêmes parties à lui verser une somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres constatés relèvent de la garantie décennale des constructeurs ;

- le montant des travaux de réfection mis en oeuvre pour réparer les désordres constatés s'est élevé à 224 319,04 euros ; ce montant est justifié ;

- en tout état de cause, la responsabilité contractuelle de l'Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie et du bureau d'études Beterem ingénierie est engagée dès lors que ces parties ont manqué à l'obligation de conseil qui pèse sur eux à la réception des ouvrages ;

- l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement n° 0703610 du 23 mars 2012 ne peut lui être opposée ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité au titre de la garantie décennale.

Par un mémoire enregistré le 11 août 2017, la société Atelier d'architecture du Prieuré, représentée par MeC..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de l'Université de Toulouse III à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. A titre subsidiaire, elle demande que la société Socotec, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie, la société entreprise générale Dumez Sud, la SA Soprema et la SARL Delvaux Combalie la garantissent des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Elle soutient que :

- la requête formée par l'Université de Toulouse III devant le tribunal administratif de Toulouse était irrecevable ;

- aucun désordre de nature décennale n'a pu être constaté contradictoirement ;

- les désordres constatés étaient apparents au moment de la réception et n'ont donné lieu à aucune réserve ; aussi ne peuvent-ils engager la responsabilité décennale des constructeurs ;

- il ne saurait lui être reproché d'avoir manqué à son devoir de conseil lors de la réception des ouvrages ;

- les montants demandés ne sont pas justifiés ; les travaux ont été réalisés alors qu'aucune constatation contradictoire de l'état des sols n'avait été effectuée ; le montant du préjudice allégué n'est pas quantifiable ;

- elle n'a commis aucune faute dans le cadre de l'exécution de sa mission ;

- l'expert a relevé une carence de l'Université de Toulouse III dans l'entretien de l'ouvrage ainsi qu'une passivité lors de la première survenance des dommages ; ces fautes sont à l'origine des désordres allégués ;

- les opérations d'expertise ont été menées en méconnaissance du principe du contradictoire.

Par deux mémoires, enregistrés respectivement les 12 mars 2018 et 24 juillet 2018, la société entreprise générale Dumez Sud, représentée par MeB..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que l'Université de Toulouse III, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie, la société Socotec, la SA Soprema et la SARL Delvaux Combalie la garantissent intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre. Elle demande par ailleurs que l'Université de Toulouse III soit condamnée à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres ne revêtent pas un caractère décennal ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que les travaux ont fait l'objet d'une réception définitive ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;

- les montants demandés ne sont pas justifiés ;

- elle doit être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par les autres parties du fait de leurs manquements ainsi que sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle.

Par un mémoire enregistré le 16 avril 2018, la société Socotec, représentée par MeF..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie et la société entreprise générale Dumez Sud la garantissent intégralement de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre. Elle demande que l'Université de Toulouse III soit condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête formée par l'Université de Toulouse III devant le tribunal administratif de Toulouse était irrecevable ;

- les désordres allégués ne relèvent pas de la garantie décennale ; aucune constatation des désordres n'a pu être faite ;

- le rapport d'expertise ne peut servir de base au règlement du litige ;

- la responsabilité contractuelle des constructeurs ne peut être invoquée après la réception définitive des travaux ;

- elle n'a commis aucune faute dans le cadre de l'exécution de sa mission ;

- elle doit être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie, le bureau d'études Beterem ingénierie et la société entreprise générale Dumez Sud du fait des fautes qu'ils ont commises dans l'exécution de leurs missions.

Par ordonnance du 28 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 novembre 2018 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Aymard de Malafosse,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant l'Université Toulouse III , et de MeC..., représentant la société Atelier d'architecture du Prieuré .

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 6 mai 1993, l'Université Paul Sabatier Toulouse III a confié le marché de maîtrise d'oeuvre de l'opération de construction d'un bâtiment dénommé " la maison des personnels ", comportant une unité de restauration destinée à assurer 1 200 repas par jour, à un groupement conjoint dont le mandataire solidaire est l'association de concepteurs " Atelier d'architecture du Prieuré et Associés ". L'entreprise générale Dumez Sud s'est vue confier, par acte d'engagement du 24 octobre 1994, le marché de travaux divisé en 14 lots qu'elle a sous-traités, notamment le lot n° 2 " étanchéité " au profit de l'entreprise Soprema, le lot n° 8 " carrelage " au profit de l'entreprise Delvaux Combalie et le lot n°10 " plomberie sanitaire " au profit de la société Les Nouveaux Ateliers. La société Socotec a été désignée comme bureau de contrôle. Le bureau d'études Trouvin ingénierie a, par ailleurs, été chargé spécifiquement de l'équipement des cuisines qui a été mis en oeuvre et réalisé par l'entreprise HMI, sous le contrôle technique de la société Socotec. La réception des travaux a été prononcée avec réserves le 21 juillet 1995, lesquelles ont été levées le 12 février 1996. Des infiltrations sont apparues dans le plafond des locaux techniques qui se trouvent sous la cuisine. Les désordres ayant perduré, la mise en conformité des installations a été demandée en 2001 et 2003 par la direction des services vétérinaires à la suite de visites de contrôle, avant que la fermeture administrative des locaux ne soit ordonnée à compter du 16 juillet 2004. Les travaux de mise en conformité ont été réalisés dans le courant de l'année 2004, pour un montant de 224 319,04 euros TTC. Avant leur règlement, l'Université Paul Sabatier Toulouse III a sollicité, le 21 juin 2005, la désignation en référé d'un expert judiciaire pour constater et décrire les désordres. Le rapport d'expertise a été déposé le 21 décembre 2006. Par la présente requête, l'Université Paul Sabatier Toulouse III demande à la cour d'annuler le jugement du 4 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse rejeté sa demande tendant, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et subsidiairement de la responsabilité contractuelle, à la condamnation solidaire de l'Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie, du bureau d'études Beterem ingénierie, de la Socotec, de la société entreprise générale Dumez Sud, de la société Soprema et de la société Delvaux Combalie à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC au titre des travaux de réfection et d'étanchéité du sol des cuisines de " la Maison des personnels ". Elle demande à la cour que ces sommes soient mises à la charge de ces parties sur le fondement de la garantie décennale ou, à tout le moins, à la charge de l'Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie et du bureau d'études Beterem ingénierie, sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Sur la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif :

2. L'Université Paul Sabatier Toulouse III a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à la condamnation solidaire de l'Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie, du bureau d'études Beterem ingénierie, de la société Socotec, de la société entreprise générale Dumez Sud, de la société Soprema et de la société Delvaux Combalie à lui verser la somme de 224 319,04 euros TTC en réparation des désordres tenant au défaut d'étanchéité du sol des cuisines de " la maison des personnels ". Par un jugement en date du 23 mars 2012 le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande au motif qu'elle était irrecevable, faute pour le président de l'université, qui l'avait introduite, de produire une délibération du conseil d'administration l'autorisant à agir en justice. Saisi d'une nouvelle demande le 24 juin 2013, à laquelle était jointe une délibération du conseil d'administration de l'université en date du 24 mars 2013 autorisant son président à engager une procédure contentieuse à l'encontre de l'Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie, du bureau d'études Beterem ingénierie, de la société Socotec, de la société entreprise générale Dumez Sud, de la société Soprema et la de société Delvaux Combalie dans le cadre des désordres constatés sur le bâtiment " La maison des personnels ", le tribunal administratif ne pouvait légalement opposer l'autorité relative de chose jugée par le jugement du 23 mars 2012. Par suite, l'Atelier d'architecture du Prieuré et la Socotec ne sont pas fondées à soutenir que le tribunal administratif aurait dû rejeter comme irrecevable la demande enregistrée par l'Université le 4 avril 2017 sous le n° 1303071.

Sur la responsabilité des constructeurs :

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs :

3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que, sauf cas de force majeure ou faute du maître de l'ouvrage, les constructeurs sont responsables de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs, le rendent impropre à sa destination dans un délai prévisible, et qui sont apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, même si ces dommages ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration de ce délai, dès lors qu'ils n'étaient ni apparents ni prévisibles lors de la réception de cet ouvrage.

4. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves et tant que celles-ci ne sont pas levées.

5. Il résulte de l'instruction que, par un procès-verbal du 21 juillet 1995, l'Université Paul Sabatier Toulouse III a prononcé la réception du marché avec réserves, lesquelles concernaient, d'une part, l'ensemble de la construction et, d'autre part, chacun des lots du marché pris isolément. La totalité des réserves ont été levées le 12 février 1996.

6. Il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que les infiltrations d'eau de lavage de la cuisine du bâtiment " la maison des personnels " n'ont été constatées dans les locaux techniques situés juste en dessous que le 13 septembre 1995, soit après la réception avec réserves de l'ouvrage. Or, il résulte du procès-verbal de réception du 21 juillet 1995 qu'aucune des réserves dont il est assorti ne concerne la présence d'infiltrations dans le local technique situé en sous-sol, les réserves émises à propos du " local TGBT " (Tableau Général Basse Tension) concernant seulement un " [un] rebouchage en plafond, [des] Fixations à reprendre et à faire, [un] voyant lumineux manquant, [le] nettoyage de l'armoire et [le] coupe-feu (circulation/local technique) à vérifier par Socotec ". Par suite, et concernant lesdites infiltrations, la réception prononcée le 21 juillet 1995 a mis fin aux rapports contractuels entre l'Université Paul Sabatier Toulouse III et les constructeurs. Il est par ailleurs constant que ces infiltrations ont entraîné une détérioration des installations de chauffage ainsi que des équipements électriques situés dans les locaux techniques, ayant justifié le prononcé de la fermeture administrative de l'établissement à compter du 16 juillet 2004, à la suite d'une visite de contrôle de la direction des services vétérinaires. Par suite, elles doivent être regardées comme de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination et relèvent, par voie de conséquence, de la garantie décennale des constructeurs.

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres litigieux trouvent leur origine dans une erreur de conception, les locaux techniques n'étant pas conçus d'une manière adaptée à leur usage, ainsi que dans des malfaçons consistant notamment en des contrepentes. Dès lors, l'Université Paul Sabatier Toulouse III est fondée à rechercher la responsabilité décennale de la société Atelier d'architecture du Prieuré et du bureau d'études Trouvin ingénierie, ce dernier étant chargé spécifiquement de l'équipement des cuisines, celle de la société entreprise générale Dumez Sud, titulaire, par acte d'engagement du 24 octobre 1994, du marché de travaux en litige, ainsi que celle de la société Socotec, à laquelle a été confiée, notamment, une mission de base portant sur la sécurité des personnes. Si l'Université recherche aussi la responsabilité de la société Beterem, il ne résulte pas de l'instruction que cette société ait été chargée d'une quelconque mission concernant l'immeuble litigieux, ni qu'elle soit venue aux droits du bureau d'études Trouvin en ce qui concerne ces désordres.

8. Les constructeurs font valoir que l'Université Paul Sabatier Toulouse III a commis des fautes de nature à les exonérer de leur responsabilité. A cet égard, l'expert judiciaire a relevé dans son rapport que l'Université avait fait preuve de " passivité " dans la gestion des désordres pourtant apparus dans les deux jours suivant la mise en service de l'installation, qu'elle est restée très en retrait dans les deux années qui ont suivi cette apparition, alors que les solutions mises en oeuvre pour y remédier s'avéraient inefficaces et qu'elle n'a, entre 1997 et 2005, sollicité aucun des acteurs du chantier ni mis en oeuvre la moindre recherche de solutions, alors même que durant tout ce temps, la direction des services vétérinaires lui rappelait presque chaque année la nécessité d'agir et de remédier aux désordres. En outre, elle n'a pas remis en cause les conclusions de la société AXA, son assureur dommage-ouvrage et n'a pas modifié les procédures de nettoyage de la cuisine afin de les rendre davantage compatibles avec l'absence d'étanchéité du sol, et n'a fait procéder à aucun constat contradictoire avant de lancer les travaux de réfection. Toutefois, dès lors, d'une part, que les désordres trouvent leur origine dans des erreurs de conception et des malfaçons, d'autre part, que l'Université Paul Sabatier Toulouse III n'est pas intervenue dans la conception des locaux ni dans la réalisation et la direction des travaux, aucune faute de nature à atténuer la responsabilité des constructeurs ne peut être retenue à son encontre.

9. Il résulte de ce qui précède que l'Université Paul Sabatier Toulouse III est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande de condamnation solidaire de la société entreprise générale Dumez Sud, de la société Atelier d'architecture du Prieuré, du bureau d'études Trouvin ingénierie et de la société Socotec, sur le fondement de la garantie décennale.

En ce qui concerne le préjudice :

10. L'Université Paul Sabatier Toulouse III fait valoir que le montant des travaux de réfection d'étanchéité du sol des cuisines de la " maison des personnels " s'est élevé à 224 319,04 euros TTC. L'expert judiciaire ne s'est pas prononcé sur ce montant, ni n'a décrit les travaux nécessaires à la reprise des désordres. Toutefois, si les entreprises font valoir que les travaux effectivement réalisés sont plus importants que ceux qui auraient été strictement nécessaires pour remédier aux désordres, ils n'assortissent cet argument d'aucune précision ni ne contestent utilement les décomptes définitifs produits par l'Université. Or, il n'apparaît pas que les postes de dépenses figurant dans ces décomptes seraient étrangers aux désordres en litige, s'agissant notamment des travaux de démolition et de gros oeuvre, des peintures, des fluides, des équipements de cuisine et de l'électricité. Par suite, il convient de retenir le montant tel qu'il résulte de ces décomptes, soit la somme de 224 319,04 euros TTC, demandée par l'Université Paul Sabatier Toulouse III.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

11. L'Université Paul Sabatier Toulouse III a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 224 319,04 euros, non pas à compter du dépôt du rapport de l'expert comme elle le demande, mais à compter du 27 juillet 2007, date d'enregistrement de sa première requête devant le tribunal administratif de Toulouse tendant à la réparation des désordres, qui constitue sa première demande de paiement. Elle a également droit à la capitalisation de ces intérêts au 24 juin 2013, date de sa demande de capitalisation, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

12. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné en référé, que les infiltrations constatées dans les locaux techniques situés sous la cuisine de l'établissement sont dues à une conception inadaptée de la cuisine dont la chape de pose du carrelage était dépourvue d'étanchéité, ainsi qu'à des malfaçons, s'agissant notamment de la contrepente constatée du carrelage. Il sera fait une juste appréciation des fautes commises respectivement par les quatre constructeurs dont la responsabilité est retenue par le présent arrêt en fixant leurs responsabilités respectives à 60 % en ce qui concerne le bureau d'études Trouvin ingénierie, qui, chargé spécifiquement de la conception et de la mise en oeuvre des travaux afférents à l'équipement des cuisines, a gravement failli à sa mission, 20 % en ce qui concerne l'Atelier d'architecture du Prieuré, qui a demandé et prescrit différentes modifications d'implantation dans le sol de de la cuisine et qui était chargé de la direction générale des travaux, 15 % en ce qui concerne la société entreprise générale Dumez Sud, compte tenu des malfaçons relevées par l'expert judiciaire, et 5 % en ce qui concerne la société Socotec qui n'a pas attiré l'attention sur les risques que représente, pour la sécurité des personnes, la présence, en surplomb de locaux techniques abritant notamment des équipements électriques, d'une cuisine dotée d'une chape de pose du carrelage dépourvue d'étanchéité. Il convient par suite de condamner chacun des constructeurs à garantir les trois autres dans cette mesure.

13. Comme il a été dit au point 7, il ne résulte pas de l'instruction que la société Beterem ait été chargée d'une quelconque mission concernant l'immeuble litigieux, ni qu'elle soit venue aux droits du bureau d'études Trouvin en ce qui concerne les désordres litigieux. Les conclusions dirigées contre elle par la société Socotec ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

14. Si le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, il n'en est pas de même lorsque les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Il en résulte que les conclusions de la société Dumez dirigées contre ses sous-traitants, les sociétés Soprema et Delvaux Combalie ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

15. Les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Atelier d'architecture du Prieuré contre ces mêmes sous-traitants doivent être rejetées, dès lors que la société Soprema et la société Delvaux Combalie n'ont commis aucune faute distincte de celle dont l'entreprise Dumez doit assumer la charge définitive à l'égard de ce cabinet d'architecture.

Sur les dépens :

16. Il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée en référé à la charge des constructeurs condamnés par le présent arrêt, à proportion de leurs parts respectives de responsabilité finale, soit 60% à la charge du bureau d'études Trouvin, 20% à la charge de la société Atelier d'architecture du Prieuré, 15% à la charge de la société entreprise générale Dumez Sud et 5% à la charge de la société Socotec.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Université Paul Sabatier Toulouse III qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que la société entreprise générale Dumez Sud, la société Atelier d'architecture du Prieuré et la société Socotec demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de ces trois parties, ainsi que du bureau d'études Trouvin ingénierie, la somme de 3 000 euros au titre de ces mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1303071 du tribunal administratif de Toulouse en date du 4 avril 2017 est annulé.

Article 2 : La société Entreprise générale Dumez Sud, la société Atelier d'architecture du Prieuré, le bureau d'études Trouvin ingénierie et la société Socotec sont solidairement condamnés à verser à l'Université Paul Sabatier Toulouse III la somme de 224 319,04 euros TTC en réparation des désordres résultant du défaut d'étanchéité du sol de la cuisine de la " Maison des personnels ".

Article 3 : La somme de 224 319,04 euros portera intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2007. Les intérêts seront capitalisés au 24 juin 2013 pour produire eux-mêmes intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 4 : Le bureau d'études Trouvin ingénierie est condamné à garantir respectivement la société entreprise générale Dumez Sud, la société Atelier d'architecture du Prieuré et la société Socotec à hauteur de 60 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre par le présent arrêt.

Article 5 : La société Atelier d'architecture du Prieuré est condamnée à garantir respectivement la société entreprise générale Dumez Sud et la société Socotec à hauteur de 20 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre par le présent arrêt.

Article 6 : La société entreprise générale Dumez Sud est condamnée à garantir respectivement la société Atelier d'architecture du Prieuré et la société Socotec à hauteur de 15 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre par le présent arrêt.

Article 7 : La société Socotec est condamnée à garantir respectivement l'Atelier d'architecture du Prieuré et la société entreprise générale Dumez Sud à hauteur de 5 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre par le présent arrêt.

Article 8 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé sont mis à la charge du bureau d'études Trouvin à hauteur de 60%, de la société Atelier d'architecture du Prieuré à hauteur de 20%, de la société entreprise générale Dumez Sud à hauteur de 15% et à la charge de la société Socotec à hauteur de 5%.

Article 9 : La société entreprise générale Dumez Sud, le bureau d'études Trouvin ingénierie, l'" Atelier d'architecture du Prieuré du Prieuré et Associés " et la Socotec sont condamnés solidairement à verser à l'Université Paul Sabatier Toulouse III la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 10 : Les conclusions de la société entreprise générale Dumez Sud dirigées contre les

sociétés Soprema et Delvaux Combalie sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 11 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 12 : Le présent arrêt sera notifié à l'Université Paul Sabatier Toulouse III, à la société entreprise générale Dumez Sud, au bureau d'études Trouvin ingénierie, au bureau d'études Beterem ingénierie, à la SAS TPF Ingénierie, à la société Atelier d'architecture du Prieuré, à la société Socotec, à la société Soprema et à MeA..., liquidateur de la société Delvaux Combalie.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 25 juillet 2019.

Le président-assesseur,

Laurent POUGET Le président-rapporteur

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'Education Nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

17BX001725


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Aymard DE MALAFOSSE
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : SCP FOUCAUD TCHECKHOFF POCHET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 25/07/2019
Date de l'import : 06/08/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17BX01725
Numéro NOR : CETATEXT000038844425 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-07-25;17bx01725 ?
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