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02/07/2019 | FRANCE | N°18BX03819

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre bis - (formation à 3), 02 juillet 2019, 18BX03819


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 août 2018 par lequel le préfet de la Dordogne a prononcé son transfert aux autorités espagnoles dans le cadre du traitement de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1804434 du 12 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 novembre 2018 et

18 janvier 2019, Mme A...demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 octobre 2018 du ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 août 2018 par lequel le préfet de la Dordogne a prononcé son transfert aux autorités espagnoles dans le cadre du traitement de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1804434 du 12 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 novembre 2018 et 18 janvier 2019, Mme A...demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 octobre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Dordogne du 24 août 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Dordogne de prendre en charge sa demande d'asile ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- les enfants mineurs auraient dû être entendus, conformément à l'article 6 du règlement UE n°604/2013 ;

- l'arrêté de transfert est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que l'organisme d'interprétariat ISM sollicité par téléphone disposait de l'agrément prévu par les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet ne justifie pas davantage la nécessité de recourir à ce service d'interprétariat par téléphone ; le service téléphonique apporte moins de garantie que la présence physique de l'interprète ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de droit au regard de l'article 23 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ; le préfet ne rapporte pas la preuve de la saisine des autorités espagnoles dans le délai de deux mois ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'appliquer la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; ses problèmes de santé n'ont pas été pris en compte par le préfet qui aurait dû s'assurer qu'elle peut bénéficier d'une prise en charge médicale en Espagne ; ainsi que le fait valoir le préfet, sa demande d'asile a été rejetée en Espagne ; son transfert vers les autorités espagnoles aura donc pour conséquence son renvoi vers la Syrie, son pays d'origine ; or, la Syrie est encore le théâtre d'un conflit généralisé ;

- le renvoi en Espagne expose sa famille à une mesure d'éloignement dans son pays d'origine, où elle serait exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 décembre 2018 et le 30 janvier 2019, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés, que Mme A...s'est vu notifier un plan de voyage à destination de l'Espagne dans le cadre de son transfert aux autorités espagnoles, qu'elle ne s'est pas présentée à l'embarquement, que Mme A...a, avec sa famille, quitté l'hébergement du Prahda de Montpon Ménestérol avec leur véhicule et qu'au vu de ses éléments, il a procédé à la déclaration de fuite auprès des autorités espagnoles, en application du règlement n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux du 29 novembre 2018.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné M. Guillaume de La Taille Lolainville pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marianne Pouget,

- et les observations de Me De Vernueil, avocat, représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B...A..., ressortissante syrienne née le 1er janvier 2000 à Homs, déclare être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 8 mai 2018. Le 17 mai 2018, l'intéressée s'est présentée à la préfecture de la Dordogne afin de solliciter l'asile. Constatant, au vu du résultat du relevé de ses empreintes décadactylaires, que l'intéressée avait introduit une demande d'asile en Espagne les 4 mai et 21 décembre 2017, l'autorité préfectorale a formé, le 8 juin 2018, une demande de reprise en charge auprès des autorités espagnoles, sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Les autorités espagnoles ont fait connaître leur accord explicite le 19 juin 2018. Par un arrêté du 24 août 2018, le préfet de la Dordogne a décidé du transfert de Mme A...aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Mme A...relève appel du jugement du 12 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

2. Mme A...a obtenu par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Bordeaux du 29 novembre 2018 l'aide juridictionnelle totale. Par suite, ses conclusions tendant à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) ". En vertu de l'article L. 742-3 dudit code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".

4. L'arrêté litigieux portant transfert aux autorités espagnoles de Mme A...vise les textes sur lesquels il se fonde, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604-2013 du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne, rappel fait de son identité et de ses conditions d'entrée en France, qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin a été remise à l'intéressée le 17 mai 2018, puis renouvelée le 9 août 2018 en application des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et que, dès lors qu'il ressortait du relevé de ses empreintes décadactylaires qu'elle avait déposé une demande d'asile en Espagne les 4 mai et 21 décembre 2017, les autorités espagnoles ont été saisies, le 8 juin 2018, d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2012 du 26 juin 2013, à laquelle elles ont donné leur accord explicite le 19 juin 2018, conformément à l'article 25 de ce même règlement. Ce même arrêté indique que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressée ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) 604/2013, l'Espagne ne constituant pas un Etat où des défaillances systémiques sont établies. Il précise qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale que Mme A...tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale dès lors que les autorités espagnoles ont accepté de reprendre en charge ses parents, qui font également l'objet d'un arrêté de transfert, qu'elle est célibataire, et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Espagne. Enfin, il indique que Mme A...n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Dès lors, l'arrêté portant transfert de l'intéressée aux autorités espagnoles, qui comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui le fondent, est suffisamment motivé au regard des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté en litige, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent que le préfet de la Dordogne a procédé à un examen particulier et attentif de la situation personnelle de MmeA..., et notamment qu'il a examiné l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de l'intéressée ainsi que la possibilité de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités espagnoles. Dès lors, le moyen tiré de ce que ledit arrêté serait entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. (...) / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

7. Il ressort des pièces du dossier MmeA..., qui a déclaré comprendre la langue arabe, a été reçue en entretien individuel conformément à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 précité, le 23 mai 2018, avant l'édiction de l'arrêté attaqué, au cours duquel elle a pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande d'asile et qu'elle a bénéficié tout au long de la procédure de l'assistance d'un interprète en langue arabe mandaté par l'association ISM interprétariat, laquelle bénéficie d'un agrément ministériel aux fins d'interprétariat et de traduction par décision du 5 avril 2018 régulièrement publié au Journal officiel de la République française. La circonstance que cette assistance ait été assurée par téléphone, ainsi que le permettent au demeurant les dispositions précitées de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas de nature à méconnaître le respect de la confidentialité, ni à porter atteinte aux garanties prévues par les dispositions précitées du règlement européen. Si Mme A...soutient que le service téléphonique apporte moins de garantie que la présence physique d'un interprète, elle n'établit toutefois pas qu'elle se serait trouvée dans l'impossibilité de faire état, au cours de cet entretien, d'éléments propres à sa situation personnelle de nature à faire obstacle à son transfert. Ainsi, et alors que l'intéressée ne fait état d'aucun élément, ni d'aucune circonstance particulière tenant au déroulement de cet entretien, de nature à démontrer que celui-ci aurait été mené en l'absence des garanties prévues par les dispositions précitées, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article 6 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les Etats membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. (...) 3. Lorsqu'ils évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant, les Etats membres (...) tiennent dûment compte, en particulier, des facteurs suivants : (...) d) l'avis du mineur en fonction de son âge et de sa maturité ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A...soit mère d'enfants mineurs. Dans ces conditions, elle ne peut utilement soutenir que l'arrêté de transfert serait entaché d'un vice de procédure dès lors que les enfants mineurs n'ont pas été entendus.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n o 603/2013. / Si la requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des éléments de preuve autres que des données obtenues par le système Eurodac, elle est envoyée à l'État membre requis dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale au sens de l'article 20, paragraphe 2. / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...s'est présentée, le 17 mai 2018, auprès des services de la préfecture de la Dordogne afin d'y solliciter l'asile. Informé par le ministère de l'Intérieur de ce que le relevé de ses empreintes effectué le 17 mai 2018 avait révélé qu'elle avait introduit une demande d'asile en Espagne les 4 mai et 21 décembre 2017, le préfet de la Dordogne a saisi le 8 juin 2018 les autorités espagnoles d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 23 du règlement n° 604/2013, comme en atteste l'accusé de réception Dublinet versé au dossier. De plus, le courrier du ministère de l'intérieur espagnol du 19 juin 2018 sur lequel sont mentionnés l'identité, la date de naissance et la nationalité de Mme A...ainsi que les références des dossiers français et espagnol atteste, à lui seul, de la réalité et de la date de saisine des autorités espagnoles. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert aurait été pris en méconnaissance de l'article 23 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 en l'absence de preuve de la saisine des autorités espagnoles dans le délai de deux mois doit être écarté.

11. En sixième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de :... b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ". Aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique "DubliNet" établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) no 1560/2003, l'État membre antérieurement responsable, l'État membre menant une procédure de détermination de l'État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. L'État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. ".

12. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants. ". Ces stipulations font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressée s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

13. Il résulte de ces dispositions que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressée courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de Mme A...a été définitivement rejetée en Espagne. Si elle affirme que son transfert en Espagne l'expose à un retour forcé en Syrie, elle ne démontre pas avoir fait l'objet en Espagne, à la date de l'arrêté attaqué, d'une décision d'éloignement à destination de la Syrie qui serait, au surplus, devenue définitive. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités espagnoles n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressée, les risques auxquels elle serait exposée en cas de retour en Syrie. Par ailleurs, la circonstance invoquée par MmeA..., selon laquelle sa famille est intégrée en France, ne suffit pas, à elle seule, à établir que le préfet a, à tort, refusé de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Si Mme A...fait valoir ses problèmes de santé et se prévaut à ce titre d'un compte-rendu d'examen en date du 26 septembre 2018 faisant état d'une échographie abdomino-pelvienne dans le service de radiologie de l'imagerie médicale de la vallée de l'Isle de Montpon, ce compte-rendu, au demeurant postérieur à l'arrêté attaqué, concerne uniquement l'état de santé de son père et n'apporte ainsi aucune précision quant à la réalité et à la gravité des problèmes de santé dont se prévaut MmeA.... Elle ne produit pas davantage d'élément indiquant qu'elle ne pourrait voyager sans risque ni qu'il lui serait impossible de bénéficier de soins appropriés à son état de santé en Espagne. Par suite, les circonstances invoquées par MmeA... ne suffisent pas à établir qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Dordogne se serait livré à une appréciation manifestement erronée de sa situation personnelle.

15. Mme A...soutient qu'elle encourt en Espagne le risque d'être éloignée en Syrie qui se trouve en situation de conflit généralisé. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point précédent, elle n'établit pas que la demande d'asile déposée en Espagne aurait été définitivement rejetée ni qu'elle ferait l'objet de mesure d'éloignement à destination de la Syrie prise par les autorités espagnoles et devenue définitive. Dès lors, en l'absence de toute mesure d'éloignement, les risques allégués par l'appelante ne peuvent être regardés comme étant, à la date de l'édiction de l'arrêté attaqué, réels et actuels. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 août 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par Mme A...tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme A...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2019, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Pouget, présidente,

M. Paul-André Braud, premier conseiller,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 2 juillet 2019.

Le premier assesseur,

Paul-André Braud

Le président-rapporteur,

Marianne Pouget

Le greffier,

Florence Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

7

N° 18BX03819


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

.

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme POUGET M.
Rapporteur ?: Mme Marianne POUGET M.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre bis - (formation à 3)
Date de la décision : 02/07/2019
Date de l'import : 16/07/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18BX03819
Numéro NOR : CETATEXT000038742952 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-07-02;18bx03819 ?
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