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28/06/2019 | FRANCE | N°17BX03546

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 28 juin 2019, 17BX03546


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler les arrêtés du 30 octobre 2014 et du 12 novembre 2014 par lesquels le maire de la commune de Roquefort-sur-Garonne a mis fin à sa période de stage, a prononcé son licenciement et l'a radiée des cadres, ainsi que la décision du 16 février 2015 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'enjoindre à la commune de la réintégrer dans son emploi à compter du 1er octobre 2014 en reconstituant sa carrière.

Par un

jugement n° 1501838, 1501839, du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...B...a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler les arrêtés du 30 octobre 2014 et du 12 novembre 2014 par lesquels le maire de la commune de Roquefort-sur-Garonne a mis fin à sa période de stage, a prononcé son licenciement et l'a radiée des cadres, ainsi que la décision du 16 février 2015 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, d'enjoindre à la commune de la réintégrer dans son emploi à compter du 1er octobre 2014 en reconstituant sa carrière.

Par un jugement n° 1501838, 1501839, du 19 septembre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 12 novembre 2014 du maire de la commune de Roquefort-sur-Garonne en tant qu'elle prononce le licenciement de MmeB..., ainsi que la décision du 16 février 2015 rejetant le recours gracieux de cette dernière, et a enjoint à la commune de Roquefort-sur-Garonne de réexaminer la situation administrative de l'intéressée dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 novembre 2017 et un mémoire enregistré le 18 juillet 2018, la commune de Roquefort-sur-Garonne, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif exerce un contrôle restreint sur une décision de licenciement en fin de stage pour insuffisance professionnelle ; or, le tribunal a exercé un contrôle normal ne relevant pas de son office ;

- l'arrêté de licenciement n'avait pas à être motivé ; au demeurant, il est suffisamment motivé ;

- les faits relevés à l'encontre de l'intéressée, matériellement établis, caractérisent une insuffisance professionnelle ; en effet, elle n'était pas autorisée à introduire son époux dans les locaux du service, elle-même n'était pas autorisée à s'y trouver en dehors des heures de service, elle a omis de verrouiller la salle du coffre-fort et le coffre, enfin elle a commis des erreurs dans la tenue de la comptabilité ;

- au regard de l'ensemble de ces éléments, sa non-titularisation était justifiée et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ; les attestations que produit Mme B...en sa faveur ont été établies pour les besoins de la cause et sont de pure complaisance ;

- l'illégalité du refus de licenciement en fin de stage n'entraîne pas nécessairement une titularisation de l'agent.

Par des mémoires enregistrés les 26 juin 2018 et 4 mars 2019, MmeB..., représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la commune de Roquefort-sur-Garonne de la titulariser avec effet au 30 octobre 2014 dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, et demande qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens éventuels.

Elle fait valoir que :

- le tribunal a exercé un contrôle restreint sur la légalité des décisions ;

- l'agression a main armée dont elle a été victime lui a causé un choc traumatique important ; les premiers reproches se font jour à compter de sa reprise de travail ;

- c'est en raison de son appréhension naturelle que son époux l'a accompagnée une seule fois le jour de sa reprise de travail ;

- elle ignorait qu'elle devait demander une autorisation pour rester dans les locaux durant sa pause déjeuner ; elle a demandé une telle autorisation dès qu'elle a su qu'elle était nécessaire ; elle s'est d'ailleurs vue accorder cette autorisation ;

- ce n'est qu'à une seule occasion qu'elle a omis de verrouiller le coffre et la salle dans laquelle il se trouve ;

- le manquement au devoir de réserve reproché n'est pas établi, de même que les soi-disant plaintes des administrés sur sa manière de servir ; il n'est pas davantage établi que qu'elle aurait omis de fermer les volets de l'agence, alors qu'une employée venait par ailleurs y faire le ménage ;

- à aucun moment le maire de la commune ne lui a fait des remontrances ni ne l'a interpellé sur ses prétendues carences professionnelles, mais a monté un dossier à charge dès sa reprise du travail ;

- le grief tenant à des erreurs de gestion comptable est nouveau ; il n'est pas avéré ;

- son insuffisance professionnelle n'est pas avérée ; elle n'a commis aucun manquement réitéré ; au contraire elle a toujours exercé son service avec compétence ; c'est à juste titre que le tribunal a estimé que son licenciement était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- les arrêts litigieux sont insuffisamment motivés ;

- rien ne fait obstacle à sa titularisation immédiate.

Par une ordonnance du 6 mars 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 avril 2019 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2000-321 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec 1'administration ;

- le décret n° 92-1194 du 4 novembre 1992 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires stagiaires de la fonction publique territoriale ;

- le décret n° 2006-1690 du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emploi des adjoints administratifs territoriaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant la commune de Roquefort-sur-Garonne et les observations de M.A..., représentant MmeB....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B...a été recrutée le 4 juin 2012 par la commune de Boussens en tant qu'adjoint administratif de 2ème classe stagiaire pour assurer les services postaux et financiers au sein de l'agence postale communale. A compter du 1er février 2013, elle a fait l'objet d'un recrutement sur un emploi similaire par la commune voisine de Roquefort-sur-Garonne et a dès lors partagé son temps de travail entre les deux collectivités locales. Le 13 mars 2013, elle a été victime d'une agression à main armée alors qu'elle se trouvait dans les locaux de l'agence postale de Roquefort-sur-Garonne et, compte tenu du choc traumatique causé par cet évènement, a été placée en congé de maladie jusqu'au 3 novembre 2013. A compter de sa reprise du travail, les maires des deux communes ont estimé que Mme B...n'accomplissait plus ses fonctions avec les diligences requises et, au constat d'un certain nombre de manquements, ont parallèlement engagé des procédures visant à son licenciement. Après une prolongation de la période de stage jusqu'au 31 octobre 2014, recommandée par la commission administrative paritaire, les maires de Boussens et de Roquefort-sur-Garonne ont notifié à l'intéressée son licenciement par des arrêtés du 30 octobre 2014, par la suite rapportés et remplacés par des arrêtés du 12 novembre 2014. Les 16 et 23 février 2015, les deux maires ont rejeté les recours gracieux exercés à l'encontre de ces arrêtés par MmeB.... Saisi par cette dernière, le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 19 septembre 2017, a annulé les arrêtés du 12 novembre 2014 et enjoint aux deux communes de réexaminer la situation administrative de Mme B...dans un délai de deux mois. La commune de Roquefort-sur-Garonne relève appel de ce jugement en tant qu'il annule la mesure de licenciement prise par son maire. Par la voie de l'appel incident, Mme B...demande qu'il soit enjoint à la commune de la titulariser avec effet au 31 octobre 2014.

Sur la légalité de la mesure de licenciement :

2. Aux termes de l'article 46 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 : " (...) La titularisation peut être prononcée à l'issue d'un stage dont la durée est fixée par le statut particulier ; (...) ". Aux termes de l'article 7 du décret n°2006-1690 du 22 décembre 2006 : " Les candidats recrutés en qualité d'adjoint administratif territorial sur un emploi d'une collectivité territoriale (...) sont nommés stagiaires par l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination pour une durée d'un an. (...) ". Aux termes de l'article 9 du même décret : " A l'issue du stage, les stagiaires dont les services ont donné satisfaction sont titularisés par décision de l'autorité territoriale investie du pouvoir de nomination (...) ; Les adjoints administratifs territoriaux stagiaires et les adjoints administratifs territoriaux principaux de 2e classe stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire, ou dont le stage complémentaire n'a pas été jugé satisfaisant, sont soit licenciés s'ils n'avaient pas auparavant la qualité de fonctionnaire, soit réintégrés dans leur grade d'origine. ".

3. L'arrêté litigieux du 12 novembre 2014, qui prononce le licenciement de Mme B... à compter du 1er novembre 2014, c'est-à-dire à l'issue de la période de stage, au motif que cette période " n'a pas été probante ", constitue un licenciement en fin de stage.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'il a été reproché à Mme B...par le maire de Roquefort-sur-Garonne d'avoir introduit son époux dans les locaux de l'agence postale le 4 novembre 2013, d'avoir quitté son lieu de travail en laissant les volets du local ouvert, le 22 novembre suivant, et d'avoir donné au public de fausses informations sur le système de protection de l'agence en apposant des affichettes faisant état d'un système de vidéosurveillance inexistant. L'intéressée reconnaît la matérialité de ces faits mais souligne qu'ils sont tous contemporains de sa période de reprise du travail, alors qu'elle était encore traumatisée par le braquage dont elle avait été victime quelques mois plus tôt, et dont les auteurs n'avaient pas été retrouvés. Il est exact que c'est uniquement le jour même de cette reprise que son époux l'a accompagnée sur son lieu de travail et est resté quelques heures avec elle dans l'agence sans y être autorisé. Si la commune fait valoir que rien ne justifiait cette présence dans la mesure où le local avait été équipé d'un dispositif anti-intrusion depuis l'agression de mars 2013 et qu'il était prévu qu'un autre agent communal soit présent avec Mme B...les mardi et vendredi, il n'est pas contesté que cet agent n'était pas sur place le lundi 4 novembre, alors que le médecin de prévention avait stipulé dans son avis du 19 juin 2013 qu'un accompagnement de l'intéressée pendant une semaine serait nécessaire à la reprise de ses fonctions. Par ailleurs, il est constant que les affichettes factices faisant état d'une vidéosurveillance ont été immédiatement retirées par Mme B...dès que son employeur lui a fait remarquer leur caractère inapproprié. Si ces incidents constituent des manquements de l'agent à ses obligations professionnelles, ceux-ci ne sauraient toutefois être regardés comme véritablement significatifs compte tenu du contexte très particulier dans lequel ils sont intervenus. C'est toujours dans ce même contexte de fragilité psychologique de Mme B...qu'il a été constaté par des riverains que les volets de l'agence postale étaient restés ouverts le 22 novembre 2013, aucun incident de même nature n'ayant ensuite été relevé jusqu'au terme de sa période probatoire, près d'un an plus tard, ainsi que l'a relevé le tribunal. Aussi, dans les circonstances particulières de l'espèce, les griefs considérés ne révèlent pas de la part de l'agent une inaptitude à l'exercice des fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée en qualité d'adjoint administratif. Si la commune de Roquefort-sur-Garonne met en cause la véracité des attestations produites par Mme B...soulignant ses qualités professionnelles, elle ne fait pour sa part état d'aucun élément concret ni ne produit aucune pièce tendant à établir que des administrés se seraient plaints de ne pas avoir eu entière satisfaction de ses services, ainsi que le maire lui en faisait grief, sans davantage de précisions, dans le courrier du 16 février 2015 rejetant son recours gracieux. Enfin, Mme B...produit de nombreuses attestations et une pétition faisant état de la satisfaction des usagers du bureau de poste quant à sa manière de servir. Dans ces conditions, et alors que les premiers juges ne se sont pas mépris sur le degré du contrôle qu'ils devaient exercer sur le bien-fondé de la mesure de licenciement en litige, c'est à juste titre que le tribunal a regardé ladite mesure comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Roquefort-sur-Garonne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel n'est pas entaché d'omission à statuer, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 12 novembre 2014 mettant un terme au stage de Mme B...et prononçant le licenciement, ainsi que la décision du 16 février 2015 rejetant son recours gracieux.

Sur les conclusions de Mme B...à fin d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution ".

7. Eu égard au motif d'annulation de la mesure de licenciement et dès lors qu'il n'est pas allégué par la commune de Roquefort-sur-Garonne que l'emploi de Mme B...aurait été supprimé, ladite annulation implique, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la titularisation de l'intéressée au 1er novembre 2014. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

8. Mme B...est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse à rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Roquefort-sur-Garonne de procéder à sa titularisation.

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Roquefort-sur-Garonne une somme de 1 000 euros à verser à Mme B...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par ladite commune, qui a la qualité de partie perdante. Enfin en l'absence de dépens exposés dans le cadre de la présente instance, les conclusions présentées par Mme B...au titre de l'article R. 761-1 du même code ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Roquefort-sur-Garonne est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint à la commune de Roquefort-sur-Garonne de prononcer la titularisation de Mme B...avec effet au 1er novembre 2014.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 19 septembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : La commune de Roquefort-sur-Garonne versera la somme de 1 000 euros à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Roquefort-sur-Garonne et à Mme D...B....

Délibéré après l'audience du 6 juin 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique le 28 juin 2019.

Le rapporteur,

Laurent POUGET Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 17BX03546


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX03546
Date de la décision : 28/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-06-01 Fonctionnaires et agents publics. Cessation de fonctions. Licenciement. Stagiaires.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CABINET URBI et ORBI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-06-28;17bx03546 ?
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