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24/06/2019 | FRANCE | N°17BX02266,17BX02317

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 24 juin 2019, 17BX02266,17BX02317


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Le Richelieu a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 735 006,57 euros euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de la cessation de l'activité de son camping, situé 73 route de la plage à Aytré, après le passage de la tempête Xynthia.

Par un jugement n° 1500809 du 18 mai 2017, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à la SAS Le Richelieu une indemnité de 74 252,29 euro

s, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Le Richelieu a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 735 006,57 euros euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de la cessation de l'activité de son camping, situé 73 route de la plage à Aytré, après le passage de la tempête Xynthia.

Par un jugement n° 1500809 du 18 mai 2017, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à la SAS Le Richelieu une indemnité de 74 252,29 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable du 22 décembre 2014, et rejeté le surplus de sa demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête enregistrée les 17 juillet 2017 sous le n° 17BX02266, la SAS Le Richelieu, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 mai 2017 en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à la somme de 74 252,29 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 660 754,28 euros en réparation de préjudices, assortie des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- alors que l'arrêté du 1er juillet 2010 interdisant l'exploitation du camping a signé l'arrêt de mort de leur camping, rendant strictement impossible pour eux, à partir de cette date, d'exercer leur profession ou même de pouvoir résider dans leur domicile, l'Etat n'a pas pris en considération la nécessité de procéder sans délai à leur indemnisation et a commis, ce faisant, une faute engageant sa responsabilité, sachant que les trois propositions de l'Etat formulées les 15 décembre 2010, 17 décembre 2013 et 16 mai 2014 étaient manifestement insuffisantes et ne couvraient que la valeur des outils de production, non la perte d'exploitation subie pendant la durée de la procédure, de sorte qu'ils étaient fondés à les refuser ;

- ainsi, la procédure d'expropriation judiciaire aurait dû être mise en oeuvre dès leur refus de la première proposition du 15 décembre 2010 et non, comme cela a été le cas en l'espèce, à compter du 23 octobre 2012, étant précisé que l'enquête publique ne s'est déroulée que plusieurs mois après, sur la période du 29 avril au 29 mai 2013 ;

- c'est donc à juste titre que le tribunal a admis que le délai écoulé entre le mois de juillet 2011, date à laquelle les ministres concernés ont donné leur accord pour la mise en oeuvre d'une procédure d'expropriation, et le 21 octobre 2013, date de l'arrêté de cessibilité, constituait un délai anormalement long ;

- en revanche, c'est à tort que le tribunal a limité la période de responsabilité de l'Etat à ces deux dates, dès lors que l'Etat, d'une part, s'est borné, dans ses propositions amiables, à sous-évaluer la valeur de leur camping, ce qui a rallongé le délai de mise en oeuvre de la procédure d'expropriation judiciaire et, d'autre part, n'a jamais daigné saisir le juge de l'expropriation à la suite des échecs des tentatives d'indemnisation à l'amiable ;

- par ailleurs, il est étonnant qu'au vu du délai écoulé entre l'arrêté du 1er juillet 2010 et le lancement de la procédure d'expropriation judiciaire, le 23 octobre 2012, aucune enquête publique afin de déterminer les " autres moyens envisageables de sauvegarde et de protection des populations " n'ait été réalisée ;

- l'Etat a commis une deuxième faute en autorisant l'ouverture du camping et son aménagement, par le biais de la délivrance d'une autorisation d'urbanisme, alors qu'il se situait dans une zone dangereuse, cet agissement, qui révèle en outre un exercice défaillant du contrôle de légalité, étant de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement du régime de responsabilité pour faute, mais également sur le terrain de la responsabilité sans faute, du fait de l'interdiction d'exploiter un terrain dont l'aménagement avait été préalablement autorisé ;

- enfin, c'est à tort que le tribunal a limité son préjudice indemnisable à la somme de 74 252,29 euros en indiquant que le résultat de l'exercice de 2009 constituait un résultat exceptionnel, alors que, d'une part, le juge n'a pas démontré la méthode de calcul qui lui permettait d'aboutir à un tel résultat et que, d'autre part, elle avait acheté le camping en 2006 et s'était endettée afin de pouvoir y réaliser les investissements nécessaires ;

- en réalité, en raison du retard dans la mise en oeuvre de la procédure d'expropriation jusqu'au rachat de l'outil de production, elle a supporté le coût de l'installation de l'ouvrage et les charges correspondantes sans pouvoir l'exploiter, la perte de l'excédent brut d'exploitation s'élevant ainsi à la somme de 1 446 726 euros pour les six années 2010 à 2015 ;

- par ailleurs, elle a dû supporter les intérêts des prêts bancaires qu'elle n'a pu régler du fait d'une absence de trésorerie et en l'absence de versement plus rapide de l'indemnité d'expropriation, ce qui a généré des intérêts de report depuis le mois d'octobre 2010, à hauteur de la somme de 288 280 euros.

Par ordonnance du 24 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 7 novembre 2018 à 12 h 00.

Un mémoire produit par le ministre de la transition écologique et solidaire a été enregistré le 7 novembre 2018 à 12 h 27, postérieurement à la clôture d'instruction.

II. Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif enregistrés les 19 juillet et 22 août 2017 sous le n° 17BX02317, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500809 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter les demandes de la SAS Le Richelieu présentées devant le tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative, dès lors qu'il n'explicite pas l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice invoqué par la SAS Le Richelieu, les raisons pour lesquelles le délai raisonnable de mise en oeuvre de la procédure d'expropriation ne pouvait être supérieur à un an et les modalités de calcul de la somme de 74 252,29 euros demandée au titre du préjudice financier tiré de la perte d'exploitation ;

- sur le fond, les conclusions indemnitaires présentées contre l'Etat sont mal dirigées dès lors que les préjudices dont la SAS Le Richelieu demande réparation résultent directement de la seule fermeture définitive du camping, prononcée par le préfet au nom de la commune, par décision du 1er juillet 2010, sur le fondement de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales ;

- ainsi, les intéressés auraient dû rechercher la responsabilité de la commune, soit sur le fondement de la responsabilité pour faute, soit sur celle de la responsabilité sans faute ;

- en tout état de cause, c'est à tort que les premiers juges ont, semble-t-il, considéré qu'il existait une certaine forme de continuité juridique entre la mise en oeuvre par le préfet de mesures relevant des pouvoirs de police du maire, en application de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, et l'enclenchement de la procédure d'expropriation prévue par l'article L. 561-1 du code de l'environnement, fondant apparemment leur raisonnement sur la théorie des opérations complexes, dès lors que l'édiction d'une mesure de police ne saurait être regardée comme constituant la base légale nécessaire à l'enclenchement de la procédure d'expropriation, ni que cette dernière a été prise pour son application ;

- à cet égard, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé, dans un arrêt n°15BX01289 du 13 décembre 2016, MmeA..., qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement ayant créé l'expropriation des biens exposés à des risques naturels que le recours à cette procédure est une simple faculté offerte à l'État, dont l'opportunité s'apprécie au regard du coût de la mesure d'acquisition par rapport à la mise en oeuvre d'autres moyens de protection, en cas de menace grave pour les vies humaines " exclusivement imputable aux éléments naturels " ;

- en outre, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que la mise en oeuvre de la procédure d'expropriation doive être effectuée en respectant un quelconque délai et, encore moins, un délai raisonnable, sauf à admettre qu'il pourrait exister une obligation d'exproprier ;

- à supposer qu'une telle décision de mise en oeuvre de la procédure d'expropriation aurait dû se faire dans un délai précis, l'État a fait preuve, en l'espèce, de toute la diligence nécessaire tout au long des étapes de la procédure, compte tenu de la nécessité, en premier lieu, de réaliser des études préalables afin de déterminer les zones qui, en raison de leur exposition aux risques et en l'absence de parades techniques de protection, ne pouvaient plus donner lieu à une occupation humaine pérenne, puis, en second lieu, de privilégier une solution d'acquisition amiable des biens concernés motivée tant par la volonté de prévenir le choc psychologique induit par une procédure d'acquisition forcée que par un souci d'un règlement rapide de la transaction en cas d'accord ;

- il en va de même de la réalisation des différentes étapes de la procédure d'expropriation, une fois la demande des ministres parvenue au préfet de Charente-Maritime, sachant que les intéressées ne disposaient d'aucun droit acquis à ce que la procédure d'expropriation aille à son terme ;

- en tout état de cause, à supposer que l'État aurait commis une faute du fait du dépassement du délai raisonnable dont il disposait pour engager la procédure d'expropriation, les préjudices invoqués par la SAS Le Richelieu résultent uniquement de la décision de fermeture définitive du camping prise au nom de la commune ;

- en outre, si une condamnation devait être prononcée contre l'Etat, le tribunal ne pouvait allouer à la SAS Le Richelieu la somme de 74 252,29 euros, correspondant au préjudice invoqué au titre des intérêts des prêts bancaires sur une période d'un an, trois mois et 23 jours, dès lors que la somme totale de 266 851,37 euros demandée, qui correspondrait au report d'intérêts que la société a dû opérer depuis le mois d'octobre 2010, n'est justifiée que par un document établi par le président de la SAS Le Richelieu, qui fait en outre état d'une somme supérieure sans fournir de justificatifs.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2017, la SAS Le Richelieu, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle reprend l'ensemble des moyens et arguments déjà exposés ci-dessus dans le cadre de la requête n° 17BX02266 et ajoute que le préjudice qu'elle invoque ne résulte pas directement et simplement de la seule fermeture définitive du camping mais également du fait que dans le même temps, l'Etat a mis en place la procédure d'expropriation dans un délai excessif, procédure qu'il était tenu de mettre en oeuvre dès lors que les trois conditions cumulatives requises par l'article L. 561-1 du code de l'environnement étaient remplies en l'espèce, à savoir un risque naturel, une menace grave pour les vies humaines ainsi que l'absence de solution alternative moins coûteuse.

Par ordonnance du 24 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 7 novembre 2018.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Axel Basset,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant la SAS Le Richelieu.

Une note en délibéré présentée pour la société Richelieu a été enregistrée le 28 mai 2019.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du passage de la tempête Xynthia, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, qui a provoqué une surélévation du niveau de la mer et l'inondation des trois campings de la commune d'Aytré bordant le front de mer, le préfet de la Charente-Maritime a prononcé, par arrêté en date du 1er juillet 2010, la fermeture définitive au public du camping " Le clos de Richelieu ", exploité par la SAS Le Richelieu, sur un terrain d'une superficie de 28 496 m², dont elle a fait l'acquisition en 2006 et situé 73 route de la plage, sur le territoire communal. Le 15 décembre 2010, une proposition de rachat amiable du terrain d'assiette et du bâti a été adressée à la SAS Le Richelieu, qui l'a rejetée le 10 mars 2011. Le 8 novembre 2011, le préfet de la Charente-Maritime a proposé au ministre chargé de la prévention des risques de mettre en oeuvre la procédure d'expropriation pour risques naturels majeurs, cadre dans lequel il a édicté un arrêté du 21 octobre 2013 portant déclaration de cessibilité du terrain. Saisi par la SAS Le Richelieu le 7 octobre 2014, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de la Rochelle a, par un jugement du 15 mai 2015 rectifié par un jugement du 5 février 2016 puis confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 27 avril 2016, alloué à la SAS Le Richelieu une somme totale de 7 054 321,40 euros. Parallèlement, la SAS Le Richelieu a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de la cessation de l'activité de son camping et non indemnisés par le juge de l'expropriation, et notamment son préjudice commercial. Par une requête n° 17BX02317, le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 18 mai 2017 par lequel ce tribunal a condamné l'Etat à verser à la SAS Le Richelieu une indemnité de 74 252,29 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable du 22 décembre 2014. Par une requête enregistrée sous le n° 17BX02266, la SAS Le Richelieu demande la réformation de ce jugement en ce qu'il a limité son préjudice indemnisable à ladite somme de 74 252,29 euros.

2. Les requêtes n°s 17BX02266, 17BX02317 sont relatives à la contestation d'un même jugement, présentent à juger des questions connexes et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions indemnitaires :

S'agissant de la mise en oeuvre et du contrôle a priori de la législation en matière d'urbanisme :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 443-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les autorisations et actes relatifs à l'aménagement de terrains de camping, destinés à l'accueil de tentes, de caravanes, de résidences mobiles de loisirs et d'habitations légères de loisirs, et au stationnement des caravanes et des résidences mobiles de loisirs, sont délivrés dans les formes et conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat : a) Dans les communes où un plan local d'urbanisme ou une carte communale a été approuvé, au nom de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale ou de l'Etat, selon les cas et modalités prévus aux articles L. 421-2-1 à L. 421-2-8 (...) ". En vertu de l'article R. 111-2 de ce code : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".

4. Il est constant que lors de l'acquisition de son terrain, en 2006, par la SAS Le Richelieu, aux fins d'y exploiter une activité de camping, la commune d'Aytré était couverte par un plan local d'urbanisme, dont elle avait d'ailleurs déjà assuré la révision à plusieurs reprises. Dès lors, si l'intéressée se prévaut de ce que la demande d'aménagement de son terrain aurait dû être refusée sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, compte tenu de la dangerosité de cette zone, une telle carence, à la supposer même établie, ne saurait être imputée à l'Etat mais à la seule commune d'Aytré, alors même que les services de l'Etat auraient été associés à l'instruction de sa demande d'autorisation individuelle d'occupation des sols. Il s'ensuit que la SAS Le Richelieu ne saurait utilement rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) ". En vertu de l'article L. 2131-2 de ce code : " Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants : (...) / 6° Le permis de construire, les autres autorisations d'utilisation du sol, le certificat d'urbanisme et le certificat de conformité délivrés par le maire (...) lorsqu'il a reçu compétence dans les conditions prévues à l'article L. 421-2-1 du code de l'urbanisme (...) ". Aux termes de l'article L. 2131-6 dudit code : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (...) ".

6. La SAS Le Richelieu soutient que les autorités locales avaient connaissance du risque d'inondation et de submersion marine dès lors que la zone où se situe le terrain d'assiette de son camping avait été classée en zone à risque dans le plan d'occupation des sols applicable en 1978 et 1981 et avait été inondé lors des deux tempêtes survenues les 26 et 27 décembre 1999, dénommées respectivement " Lothar " et " Martin ", de sorte que l'autorité préfectorale aurait dû s'opposer à sa demande de projet d'aménagement du terrain d'assiette de son camping. Toutefois, et ainsi que l'a déjà jugé la cour de céans, il résulte de l'instruction que, compte tenu de l'ampleur exceptionnelle de la tempête Xynthia, ce n'est qu'après le retour d'expérience consécutif à cet évènement que les services de l'Etat ont pu procéder à la révision du risque de submersion marine sur le territoire de la commune d'Aytré. Par suite, compte tenu de l'état des connaissances au moment de la délivrance de l'autorisation d'aménagement du terrain en cause, le préfet de la Charente-Maritime n'a pas commis de faute lourde dans l'exercice du contrôle de légalité en ne déférant pas cet acte au tribunal administratif.

S'agissant de la mise en oeuvre tardive de la procédure d'expropriation permettant l'indemnisation des sinistrés :

7. D'une part, aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de (...) submersion marine menace gravement des vies humaines, l'Etat peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-3 de ce code, alors en vigueur : " I. Le fonds de prévention des risques naturels majeurs est chargé de financer, dans la limite de ses ressources, les indemnités allouées en vertu des dispositions de l'article L. 561-1 ainsi que les dépenses liées à la limitation de l'accès et à la démolition éventuelle des biens exposés afin d'en empêcher toute occupation future. (...) / Les mesures de prévention susceptibles de faire l'objet de ce financement sont : 1° L'acquisition amiable par une commune, un groupement de communes ou l'Etat d'un bien exposé à un risque prévisible de (...) submersion marine menaçant gravement des vies humaines ainsi que les mesures nécessaires pour en limiter l'accès et en empêcher toute occupation, sous réserve que le prix de l'acquisition amiable s'avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations ; (...) / Le financement par le fonds des acquisitions amiables mentionnées au 1° et au 2° est subordonné à la condition que le prix fixé pour ces acquisitions n'excède pas le montant des indemnités calculées conformément au quatrième alinéa de l'article L. 561-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 561-2 de ce même code : " I.- Le préfet engage la procédure d'expropriation à la demande des ministres chargés, respectivement, de la prévention des risques majeurs, de la sécurité civile et de l'économie. / II.- Le dossier soumis à l'enquête publique en application du II de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est complété par une analyse des risques décrivant les phénomènes naturels auxquels les biens sont exposés, et permettant d'apprécier l'importance et la gravité de la menace qu'ils présentent pour les vies humaines (...) / III.- Cette analyse doit également permettre de vérifier que les autres moyens envisageables de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation. ". L'article R. 561-3 dudit code dispose : " L'enquête est menée dans les formes prévues par les articles R. 11-4 à R. 11-14 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. / Le dossier mentionné à l'article R. 561-2 du présent code est adressé également par le préfet, pour avis, à chaque commune dont une partie du territoire est comprise dans le périmètre délimitant les immeubles à exproprier. (...) ". Aux termes de l'article R. 561-4 de ce code : " L'utilité publique est déclarée par arrêté préfectoral. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 561-5 dudit code : " Le préfet transmet au ministre chargé de la prévention des risques majeurs l'indication des montants des indemnités fixés par accord amiable ou par le juge de l'expropriation. (...) ".

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs. ". En vertu de l'article L. 2212-2 de ce code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; (...) / L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. / Le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté. (...) ".

9. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 1, à la suite du passage de la tempête Xynthia, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, le préfet de la Charente-Maritime a, après mise en demeure du maire de la commune d'Aytré du 8 avril 2010 restée sans résultat, prononcé, par arrêté en date du 1er juillet 2010, la fermeture définitive au public du camping " Le clos de Richelieu ", exploité par la SAS Le Richelieu, sur le fondement des dispositions précitées du 1° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, en considération de ce que des travaux de mise en sécurité ne pouvaient protéger ce camping en cas de submersion. Le 15 décembre 2010, une proposition de rachat amiable du terrain d'assiette et du bâti a été adressée à la SAS Le Richelieu sur le fondement de l'article L. 561-3 du code de l'environnement. Cette proposition ayant été rejetée le 10 mars 2011, le préfet a proposé, le 8 novembre 2011, au ministre chargé de la prévention des risques de mettre en oeuvre la procédure d'expropriation pour risques naturels majeurs prévue à l'article L. 561-1 du même code. Dans ce cadre, un arrêté portant déclaration de cessibilité du terrain en cause a été pris par le préfet de la Charente-Maritime le 21 octobre 2013 puis une proposition d'indemnité d'expropriation a été formulée par l'État, laquelle a été rejetée le 3 janvier 2014 par la SAS Le Richelieu. Saisi le 7 octobre 2014, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de la Rochelle a, par un jugement du 15 mai 2015 rectifié par un jugement du 5 février 2016 puis confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 27 avril 2016, alloué à la SAS Le Richelieu une somme totale de 7 054 321,40 euros au titre de l'expropriation des terrains situés sur le territoire de la commune Aytré (4 274 400 euros), de l'expropriation des immeubles (42 150 euros), de la perte du fonds de commerce (1 693 924 euros), de l'indemnité de remploi sur le foncier (469 455 euros) et de l'indemnité de remploi sur le fonds de commerce (169 392,40 euros). Au soutien de ses prétentions indemnitaires, la SAS Le Richelieu soutient que les autorités compétentes de l'Etat ont commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard en tardant à engager dans un délai raisonnable la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement, afin de permettre son indemnisation. Toutefois, d'une part, le préjudice commercial de cette société, consécutif à la fermeture du camping, ne trouve pas son origine dans la faute dont elle se prévaut mais dans la mesure de police administrative prise par le préfet de la Charente-Maritime par substitution au maire de la commune d'Aytré, dans un but de sécurité publique, mesure dont l'intéressée ne conteste ni le bien-fondé ni la nécessité dans le cadre des présentes instances. D'autre part, la SAS Le Richelieu demande une somme totale de 288 280 euros en réparation du préjudice financier lié aux intérêts des prêts bancaires dont elle soutient avoir dû s'acquitter en l'absence de trésorerie depuis le mois d'octobre 2010, en produisant à cet effet des bilans comptables afférents aux années 2010 à 2015 ainsi qu'une attestation du 27 mars 2015 de son président détaillant le " montant des intérêts courus sur emprunt au 31 décembre 2014 " au titre des quatre emprunts souscrits auprès du crédit maritime et du crédit agricole. Toutefois, alors qu'il résulte de l'instruction que le résultat courant de la SAS Le Richelieu était négatif s'agissant de l'année 2009, l'intéressée ne démontre pas que son incapacité à rembourser les emprunts ainsi souscrits auprès des organismes bancaires concernés résulterait de manière directe et certaine de la faute invoquée en matière de mise en oeuvre, par les autorités de l'Etat, de la procédure d'expropriation. Dès lors, et ainsi que le fait valoir le ministre de la transition écologique et solidaire, l'Etat ne saurait être redevable d'aucune somme envers l'intéressée à ce titre.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, que le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir, dans la cadre de sa requête n° 17BX02317, que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à la SAS Le Richelieu une indemnité de 74 252,29 euros en réparation de son préjudice financier. Pour les mêmes motifs, la SAS Le Richelieu n'est pas fondée, dans le cadre de sa requête n° 17BX02266, à demander la réformation de ce même jugement en tant qu'il a limité son préjudice indemnisable à cette somme de 74 252,29 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une quelconque somme à verser à la SAS Le Richelieu, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500809 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SAS Le Richelieu devant le tribunal administratif de Poitiers et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Le Richelieu et au ministre de la transition écologique et solidaire. Copie en sera transmise au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2019, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président assesseur,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 juin 2019.

Le rapporteur,

Axel Basset

Le président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N°s 17BX02266, 17BX02317


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX02266,17BX02317
Date de la décision : 24/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Expropriation pour cause d'utilité publique - Règles générales de la procédure normale.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Axel BASSET
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET FERRANT ; CABINET FERRANT ; CABINET FERRANT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-06-24;17bx02266.17bx02317 ?
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