Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 15 mai 2017 par lequel le préfet de la Charente a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 1701517 du 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2018, M.A..., représenté par Me Rahmani, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 novembre 2018
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Charente du 15 mai 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2019, le préfet de la Charente conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est irrecevable dès lors qu'elle constitue une reprise des écritures de première instance, ne contient aucune critique utile du jugement et que les moyens sont dirigés exclusivement contre son arrêté et, pour le surplus, que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Déborah de Paz pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeB...,
- et les observations de M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C...A..., ressortissant géorgien, né le 7 décembre 1975, est entré irrégulièrement en France au cours de l'année 2001. Sa demande d'asile présentée le 31 juillet 2001 a été rejetée le 26 novembre 2001 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 13 février 2003. Il a été condamné à quinze années de réclusion criminelle pour homicide volontaire par un arrêt du 14 octobre 2004 de la cour d'assises des Landes. Après le rejet de sa demande de titre de séjour par un arrêté du préfet de la Charente du 19 février 2015, dont la légalité a été définitivement confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 juin 2016, il a présenté le 3 octobre 2016 une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 mai 2017, le préfet de la Charente a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. M. A...relève appel du jugement du 15 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. La requête d'appel comporte des conclusions à fins d'annulation du jugement de première instance, ne constitue pas la reprise littérale de la demande de première instance et comporte des critiques du jugement attaqué. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Charente doit être écartée.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 mai 2017 :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
4. Il appartient à l'autorité administrative de délivrer, lorsqu'elle est saisie d'une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui remplit les conditions prévues par les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du demandeur. Lorsque l'administration lui oppose ce motif pour refuser de faire droit à sa demande, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
5. M. A...a été condamné à une peine de quinze ans d'emprisonnement pour assassinat par un arrêt de la cour d'assises des Landes en date du 14 octobre 2004 et a fait l'objet d'une interdiction définitive du territoire français. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a bénéficié d'aménagements de peine, ayant été placé par jugement du tribunal de l'application des peines de la Rochelle du 10 août 2012, sous surveillance électronique à compter du 31 août 2012 puis admis au bénéfice de la libération conditionnelle le 27 mai 2014, en raison des garanties d'insertion qu'il présentait du fait de ses efforts sérieux de réadaptation sociale, de ses forts liens familiaux lui permettant d'étayer son projet de sortie, de son bon comportement en détention, de sa faible dangerosité et de la formation professionnelle acquise en prison. Par un arrêt du 23 octobre 2012, la cour d'appel de Pau a confirmé la décision de relevé de l'interdiction définitive du territoire français prononcée par le juge de l'application des peines au motif qu'elle était parfaitement justifiée et de nature à inciter M. A...à poursuivre les efforts méritoires de réinsertion dont il faisait preuve depuis plusieurs années. La commission du titre de séjour a, dans son avis du 31 mars 2017, émis un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour à M.A.... Il ressort en effet des pièces du dossier que M. A...est entré en France en 2001 et qu'il est marié avec une ressortissante géorgienne, titulaire d'une carte de résident de dix ans, laquelle travaille à la mairie d'Angoulême, et que de cette union sont nés trois enfants, le premier en Géorgie en 1997 et les deux suivants en France en 2002 et 2015. A la suite de la réclamation faite à son nom par ses parents en application de l'article 21-11 alinéa 2 du code civil, l'enfant né en 2002 a obtenu la nationalité française courant 2015. Il ressort également des pièces du dossier que pendant sa détention, M. A...a maintenu des liens étroits avec son épouse et ses enfants par le biais des parloirs et des unités de vie familiale et qu'il est bien inséré professionnellement comme en attestent les formations qu'il a suivies et les promesses d'embauche sérieuses qu'il verse au dossier. Dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard aux efforts de réinsertion de M. A...et compte tenu de l'ancrage en France de sa vie privée et familiale, le préfet de la Charente n'a pu estimer que le requérant ne justifiait pas en France d'une situation personnelle et familiale à laquelle son arrêté du 15 mai 2017 ne porterait pas une atteinte disproportionnée au regard de la gravité du trouble à l'ordre public dont il s'est rendu responsable dans le passé. Ainsi, cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 mai 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Compte tenu de ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Haute-Vienne délivre à M. A...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Charente de délivrer ce titre au requérant, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rahmani, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rahmani de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701517 du 15 novembre 2018 du tribunal administratif de Poitiers et l'arrêté du préfet de la Charente du 15 mai 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Charente de délivrer à M. A...un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Rahmani une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de Me Rahmani à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Charente et à Me Rahmani.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président- rapporteur,
M. Paul-André Braud, premier-conseiller,
M. Romain Roussel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 juin 2019.
Le premier-conseiller,
Paul-André BraudLe président-rapporteur,
Marianne B...
Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04401