Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G...C...a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle le ministre chargé du travail a, d'une part, annulé la décision du 26 juin 2015 de l'inspecteur du travail de la Haute-Vienne rejetant la demande de la société Caillaud frères tendant à l'obtention de l'autorisation de procéder à son licenciement et, d'autre part, délivré cette autorisation.
Par un jugement n° 1600317 du 23 mars 2017, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision du 4 janvier 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête complétée par des pièces enregistrés les 22 mai et 9 juin 2017, la société Caillaud frères, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 mars 2017 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter l'ensemble des demandes de M.C... ;
3°) de mettre à la charge de M. C...la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable en raison du défaut de mention, dans le corps de la requête, des numéros des pièces visées, de l'absence de numérotation des pièces jointes en pied de requête, et du défaut de mention du fondement juridique justifiant la demande d'annulation de la décision litigieuse ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges, nonobstant la reconnaissance pleine et entière par le salarié d'au moins deux faits - voire même trois faits - particulièrement graves de violence verbale et physique, a cru devoir juger qu'il existait un doute quant à la réalité des violences perpétrées par le salarié alors que celles-ci sont avérées et reconnues ;
- en outre, l'intéressé a agressé à de nombreuses reprises plusieurs de ses collègues de travail, ainsi qu'il ressort de plusieurs attestations versées au dossier et des éléments récoltés lors de l'enquête contradictoire et récapitulés dans la décision litigieuse, sachant que, dans une première décision de refus d'autorisation de licenciement du 26 juin 2015, l'inspecteur du travail avait relevé le comportement violent de M.C... ;
- ainsi, dès lors qu'il n'existait aucun doute sur la matérialité des faits reprochés, M. C... ne saurait tenter d'opposer les dispositions de l'article L. 1235 du code du travail en vertu desquelles en cas de doute, celui-ci doit profiter au salarié ;
- de même, l'intéressé ne saurait davantage se prévaloir des dispositions de l'article L. 1233-4 du même code, qui disposent que les faits fautifs ne peuvent donner lieu à une sanction que dans un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, dès lors qu'il ne fait aucun doute que les faits décrits par l'ensemble des témoins ont été portés à la connaissance de l'employeur dans les deux mois précédant l'enclenchement de la procédure disciplinaire ;
- la nullité des sanctions prononcées en l'absence du règlement intérieur prévu par l'article L. 1311-2 du code du travail dans les entreprises d'au moins vingt salariés ne s'applique pas aux licenciements disciplinaires ;
- enfin, la société Caillaud frères n'a nullement cherché à licencier ce salarié en raison de son mandat représentatif.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2017, M. G...C..., représenté par MeF..., conclut à la confirmation du jugement attaqué et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Caillaud frères sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- sa demande de première instance n'était pas irrecevable dès lors que, d'une part, il s'est conformé à l'article R. 412-2 du code de justice administrative en produisant un bordereau de pièces jointe à celle-ci et que, d'autre part, elle contenait l'exposé de moyens au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 janvier 2016, conformément à l'article R. 411-1 du même code ;
- s'agissant de son prétendu comportement fautif, les faits de violences à l'égard de M. B...qui lui sont reprochés ne peuvent être retenus dès lors que, d'une part, ils ne sont corroborés par aucun témoignage circonstancié et que, d'autre part, ils étaient prescrits puisque l'employeur avait connaissance de l'incident survenu avec ce salarié ;
- en ce qui concerne l'agression prétendue à l'encontre de M.A..., qui aurait consisté en des menaces téléphoniques et une agression physique de sa part lors d'un trajet routier, lesquelles ne sont pas établies, il convient de relever, d'une part, que celui-ci n'a diligenté aucune poursuite disciplinaire alors qu'il était chef d'équipe et disposait du pouvoir hiérarchique en sa qualité de représentant de l'employeur sur les chantiers et que, d'autre part, la conduite à une vitesse excessive de l'intéressé, connue de longue date par l'employeur, a été à l'origine de l'altercation ;
- en ce qui concerne M.E..., le ministre du travail a estimé qu'il avait été violent à son égard au cours d'un chantier, sans précision de date envers ce prestataire et sans que l'on sache précisément la consistance et le contexte des menaces alléguées, étant précisé, d'une part, qu'il dément avoir agressé M. E...et son conducteur de travaux lequel était tellement alcoolisé qu'il n'a pu le ramener à son véhicule et que, d'autre part, il est pour le moins surprenant qu'un prestataire de service qui se serait fait agresser par un salarié de son cocontractant ne porte pas immédiatement à sa connaissance de tels faits ;
- par ailleurs, alors que l'entreprise Caillaud comprend plus de 20 salariés et devait dès lors être assujettie à un règlement intérieur conformément à l'article L. 1311-2 du code du travail, le ministère du travail n'a pas recherché si l'entreprise disposait d'un tel dispositif définissant notamment les règles générales et permanentes relatives à la discipline, en particulier la nature et l'échelle des sanctions applicables, ce qui entache la décision litigieuse d'illégalité ;
- le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et son mandat est révélé par la multiplication de différentes procédures menées en quelques semaines à son encontre afin de le contraindre à partir de l'entreprise, en l'occurrence deux tentatives de rupture conventionnelle du contrat de travail et deux tentatives de licenciement pour faute grave, toutes deux rejetées par l'inspecteur du travail ;
- l'employeur ne démontre pas que la connaissance des faits allégués est postérieure à la première tentative de licenciement dont il a fait l'objet, ni même que la mise à pied de trois jours intervenue le vendredi 23 janvier 2015 permette d'établir avec précision le motif de cette sanction, ainsi que les faits visés par cette dernière, de sorte que les faits reprochés doivent être regardés comme prescrits sur le fondement de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
- ainsi, c'est à bon droit que la DIRECCTE a considéré que ces faits sont largement antérieurs à plus de deux mois et, pour certains, à plusieurs années, et que son comportement ne peut être regardé comme étant d'une gravité suffisante pour empêcher le maintien de son contrat de travail.
Par ordonnance du 8 août 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Axel Basset,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;
- et les observations de MeD..., représentant la société Caillaud frères.
Considérant ce qui suit :
1. Par une lettre en date du 7 mai 2015, la société Caillaud frères, qui a pour activité les travaux de terrassement courants et travaux préparatoires, a sollicité de l'administration du travail l'autorisation de procéder au licenciement pour faute de M.C..., salarié recruté par contrat à durée indéterminée en qualité de conducteur d'engins et ouvrier VRD à compter du 29 juin 2009 puis promu au poste de chef d'équipe au 1er janvier 2012 et titulaire du mandat représentatif de délégué du personnel depuis le 3 août 2013. L'inspectrice du travail de la 11ème section de l'unité territoriale de la Haute-Vienne ayant, par une décision du 26 juin 2015, refusé de délivrer cette autorisation au motif tiré de ce que le comportement fautif de M. C...n'était pas d'une gravité suffisante pour empêcher le maintien du contrat de travail, la société Caillaud frères a, par une lettre du 21 juillet 2015, formé un recours hiérarchique contre cette décision auprès du ministre du travail. Du silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours est né, le 23 novembre 2015, une décision implicite de rejet, conformément à l'article R. 2422-1 du code du travail. Toutefois, par une décision expresse du 4 janvier 2016, le ministre chargé du travail a, d'une part, annulé la décision du 26 juin 2015 de l'inspecteur du travail susmentionnée et, d'autre part, délivré l'autorisation de licenciement sollicitée. La société Caillaud frères relève appel du jugement du 23 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers, saisi par M. C..., a annulé cette décision du 4 janvier 2016.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel ; (...). ". D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge de l'excès de pouvoir sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié protégé, ce doute profite au salarié.
3. Pour solliciter, par la lettre susmentionnée du 7 mai 2015, l'autorisation de procéder au licenciement pour faute de M.C..., la société Caillaud frères a indiqué que consécutivement à un premier refus d'autorisation de licenciement opposé par l'inspecteur du travail dans une décision du 3 avril 2015, impliquant la réintégration de l'intéressé dans l'entreprise, jusqu'alors mis à pied à titre conservatoire, pas moins de cinq salariés ont avisé la direction de ce qu'ils avaient fait l'objet de violences physiques et verbales émanant de M.C..., une proportion importante des salariés ayant par ailleurs évoqué leur intention de démissionner de leurs fonctions en cas de retour de l'intéressé.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
4. Il ressort des pièces du dossier que lors d'un déplacement en véhicule avec plusieurs autres salariés de l'entreprise effectué au cours de l'année 2011, M. C...a pris violemment par le cou un salarié de l'entreprise (M.A...), aux fins de mettre un terme à sa conduite inappropriée, fait d'agression physique dont l'intimé a admis la matérialité au cours de l'enquête diligentée par l'inspection du travail. Il ressort également des pièces du dossier que dans le cadre d'un chantier organisé sur le centre aquatique de Limoges au début de l'année 2012, M. C... a empoigné violemment un autre salarié de l'entreprise (M.B...) au niveau du bras dans la cabine d'un engin, au motif qu'il n'intervenait pas sur les bonnes machines, puis maintenu par la force l'intéressé qui tentait de se dégager, conduisant à son départ prématuré du chantier en état de choc et avec des douleurs aux côtes. A cet égard, la décision de l'inspecteur du travail du 26 juin 2015 relève que " M. C...a alors tenté de retenir M. B...en lui appuyant sur l'épaule très fermement pour l'asseoir dans la cabine de la machine. Il reconnaît qu'à ce moment sa réaction était trop dure envers M. B.... Il explique qu'à cette époque, il privilégiait l'avancée du chantier quoi qu'il en coûte ". Dès lors, l'existence de ces faits d'agression physique commis à l'encontre des deux salariés concernés, que ne remettent pas utilement en cause les attestations d'autres collègues de travail produits par M. C...soulignant son amabilité, doit être regardée comme établie.
5. Il s'ensuit qu'ainsi que le soutient l'appelante, c'est à tort que, pour annuler la décision litigieuse du ministre du travail du 4 janvier 2016, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de ce qu'un doute subsiste quant à l'existence de faits de violence de nature à justifier un licenciement.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal administratif de Limoges.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M.C... :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Il résulte de ces dispositions que ce délai commence à courir lorsque l'employeur a une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé.
8. En l'espèce, et contrairement à ce que soutient M.C..., il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la société Caillaud frères aurait eu une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé, mentionnés au point 4, tant en ce qui concerne M. B...que M.A..., avant le mois d'avril 2015, date à laquelle la direction de l'établissement a été saisie de diverses plaintes provenant de salariés de l'entreprise. Dès lors, les faits d'agression physique perpétrés par M. C...à l'encontre de ces deux salariés n'étaient pas prescrits lors de l'engagement des poursuites disciplinaires en mai 2015.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs ni établi ni même allégué par M.C..., que ces deux agressions physiques auraient été provoquées par une agression dont il aurait été lui-même la victime lors des divers chantiers concernés. En outre, ces agissements, qui revêtent un caractère de gravité certain, ont été commis pour partie alors que M.C..., qui ne totalisait que six années dans l'entreprise Caillaud frères, avait été promu, à compter du 1er janvier 2012, sur le poste de chef d'équipe, lequel l'astreignait à une obligation d'exemplarité. Il s'ensuit que le ministre du travail a pu considérer, pour ces seuls motifs, que le comportement de l'intéressé était constitutif d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement (CE, n° 80940, 11 juillet 1990, BOUGHANMI), sans que M. C...puisse utilement se prévaloir, pour tenter de minimiser sa responsabilité, de la circonstance que l'entreprise Caillaud n'aurait pas fait référence, lors des poursuites disciplinaires engagées à son encontre, au règlement intérieur requis par les dispositions de l'article L. 1311-2 du code du travail dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins vingt salariés.
10. En troisième lieu, M. C...soutient que le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et son mandat de délégué du personnel est révélé par la multiplication de différentes procédures menées en quelques semaines à son encontre afin de le contraindre à partir de l'entreprise, en l'occurrence deux tentatives de rupture conventionnelle du contrat de travail et deux tentatives de licenciement pour faute grave, toutes deux rejetées par l'inspecteur du travail. Toutefois, il ne ressort au contraire pas des pièces du dossier que la présente demande d'autorisation de licenciement de ce salarié protégé, motivée notamment par les faits de violence susmentionnés, serait en lien avec l'exercice de ce mandat.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance, que la société Caillaud frères est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Limoges a annulé la décision contestée du ministre du travail du 4 janvier 2016 portant, d'une part, annulation de la décision du 26 juin 2015 de l'inspecteur du travail de la Haute-Vienne rejetant la demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. C...et, d'autre part, délivrance de ladite autorisation.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Caillaud frères, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de mettre à la charge de M. C...la somme que la société Caillaud frères demande sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1600317 du 23 mars 2017 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Limoges et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société Caillaud frères tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Caillaud frères, à M. G...C...et au ministre du travail. Copie en sera transmise à la DIRECCTE de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 avril 2019.
Le rapporteur,
Axel BassetLe président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 17BX01613