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12/04/2019 | FRANCE | N°16BX00657

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre - formation à 3, 12 avril 2019, 16BX00657


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...D...et le groupement foncier agricole (GFA) Domaine de Calon ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", d'annuler cet arrêté, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste établissant le classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", d'ordonner à l'Institut national d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...D...et le groupement foncier agricole (GFA) Domaine de Calon ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", d'annuler cet arrêté, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste établissant le classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", d'ordonner à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) ou à l'Etat de produire différentes pièces et échantillons relatifs à l'organisation et au déroulement des opérations de classement et de condamner l'Etat à leur verser une somme de 7 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1300016 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté l'ensemble de ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 16 février 2016, le 27 mars 2017, le 30 octobre 2017 et le 30 octobre 2018, M. D... et le GFA Domaine de Calon, représentés par SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 décembre 2015 ;

2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans ce classement homologué ;

4°) à ce qu'il soit enjoint à l'INAO, ou à l'État, de produire l'identité de tous les échantillons de calage et des personnes les ayant choisis, la totalité des contrats de prestations de service conclus entre Qualisud et les personnes qui ont procédé aux dégustations, avec leurs annexes, et la date d'élaboration de la grille définitive du classement ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est entaché d'un vice de forme en ce qu'il est dépourvu des mentions permettant de vérifier que la composition de la juridiction était la même lors de l'audience et lors de la séance où l'affaire a été délibérée de sorte qu'il ne fait pas par lui-même la preuve de sa régularité ;

- il devra être établi que, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, la minute du jugement attaqué est bien revêtue des signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience, faute de quoi le jugement devra être annulé comme entaché d'une irrégularité substantielle ;

- le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement en s'abstenant de s'expliquer sur les raisons pour lesquelles les modifications apportées au décret du 11 février 2011 par le décret du 5 décembre suivant n'étaient pas inconciliables avec le règlement de classement adopté par l'arrêté du 6 juin 2011 ;

- le jugement est insuffisamment motivé concernant le traitement des modifications du cahier des charges de l'AOC " Saint-Emilion grand cru " homologué par le décret du 5 décembre 2011, que le tribunal administratif a considérées comme mineures pour écarter le moyen tiré de l'exception d'illégalité de ce décret non précédé d'une procédure nationale d'opposition ; que les premiers juges ont considéré que les modifications ne revêtaient pas un caractère majeur au seul motif que les règles relatives à la densité minimale de plantation et l'écartement maximal entre les rangs de vignes demeuraient inchangées ; que ce faisant, ils ont omis de statuer sur les autres modifications du cahier des charges détaillées par les exposants ;

- le tribunal a omis de répondre au moyen portant sur une violation du principe de transparence, en l'absence de notation et de pondération des sous-critères visés au règlement, notamment le sous-critère " modes de distribution " et le sous-critère " assiette foncière " ;

- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de l'irrégularité de la composition permanente du CNAOV lors de sa délibération du 16 juin 2011 ;

- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré d'une irrégularité entachant les travaux de la commission de classement, résultant du fait que la désignation des membres de la commission a été postérieure à sa première réunion ;

- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement des candidats lors du remplacement d'une bouteille bouchonnée ;

- le moyen d'ordre public qui lui a été communiqué par courrier du 5 mars 2019, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, n'est pas fondé ;

- le décret du 5 décembre 2011 qui introduisait des modifications majeures au cahier des charges de l'appellation, dès lors que quatre d'entre elles prises conjointement concouraient à une diminution des exigences qualitatives des conditions de production, n'a pas fait l'objet d'une procédure nationale d'opposition et les premiers juges auraient dû retenir l'exception d'illégalité ;

- le comité national des appellations d'origine n'a pas siégé dans une composition régulière au cours de ses séances du 10 février 2011 et du 6 septembre 2012 ;

- l'avis du Conseil des vins de Saint-Emilion n'a pas été donné par l'assemblée générale et est irrégulier ;

- le principe d'impartialité a été méconnu en raison de la participation de M. H...et de M. E...aux délibérations du comité national des appellations d'origine ;

- les principes de transparence et d'égalité de traitement entre les candidats ont été méconnus ;

- ces principes ont été méconnus au regard du traitement des fusions-absorptions ;

- ces principes ont été méconnus au regard de l'existence de chais indépendants ;

- l'appréciation des candidatures a été opérée en méconnaissance des sous-critères dont l'un d'entre eux n'a fait l'objet d'aucune notation ;

- la grille de notations et les critères qu'elle contenait n'ont été portés à leur connaissance que par le courrier de l'INAO proposant de ne pas retenir le Château Corbin-Michotte parmi la liste des grands crus classés ;

- l'exigence d'anonymat des échantillons dégustés n'a pas été respectée ;

- la circonstance que certains candidats ont pu offrir certains millésimes en magnum pour la dégustation a porté atteinte au principe d'égalité de traitement ;

- la commission de classement a commencé ses travaux avant la désignation officielle de ses membres ;

- les règles d'étiquetage ont été méconnues par les candidats ;

- la commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne l'application du critère de la caractérisation de l'exploitation ;

- une erreur entache le choix des millésimes, le millésime 2010 ayant été exclu à tort ;

- la commission de classement a commis une erreur de lecture de la carte des sols établie en 1989 par Cornelis Van Leeuwen entachant la notation du critère de la caractérisation de l'exploitation ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2017, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les requérants n'ont pas intérêt à agir contre le classement homologué par l'arrêté du 29 octobre 2012 dans son ensemble ; qu'ils n'ont intérêt à agir contre cet arrêté qu'en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas sur la liste du classement ;

- les moyens relatifs au principe d'égalité et tiré du droit de la commande publique sont inopérants ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la demande tendant à l'injonction de communiquer divers documents devra être rejetée, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration ;

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour faisait droit à un moyen de la requête, elle ne pourrait annuler l'arrêté du 29 octobre 2012, qu'en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste homologuée par cet arrêté ;

- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour annulait l'arrêté du 29 octobre 2012 dans son entier, elle devrait différer les effets de son annulation dans le temps, en application de la jurisprudence Association AC ! de 2004, à une date qui ne pourrait être antérieure au 1er juillet 2018.

Par un mémoire enregistré le 23 juin 2017, le ministre de l'économie et des finances déclare n'avoir aucune observation à apporter dans cette instance.

Par des mémoires enregistrés le 29 août 2017 et le 4 décembre 2018, l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), représenté par la SCP Hélène Didier et FrançoisC..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le jugement est régulier, tous les moyens de régularité invoqués contre ledit jugement étant infondés ;

- les conclusions d'annulation présentées dans la demande de première instance sont irrecevables, en tant qu'elles sont dirigées contre l'ensemble de la liste homologuée par l'arrêté du 29 octobre 2012, dès lors que les requérants ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour en demander l'annulation ; qu'ils sont seulement recevables à demander l'annulation de l'arrêté litigieux, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans le classement homologué ;

- aucun des moyens venant au soutien des conclusions d'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2012 n'est fondé ;

Par une intervention enregistrée le 31 août 2017, le Conseil des vins de Saint-Emilion (CVSE), représenté par MeB..., demande que la cour rejette la requête de M. D...et du GFA Domaine de Calon.

Il fait valoir que :

- ayant intérêt au maintien du jugement attaqué et de l'arrêté contesté, son intervention est recevable ;

- la demande d'annulation totale de l'arrêté est irrecevable faute pour les requérants de justifier d'un intérêt leur donnant qualité pour demander cette annulation ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 5 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 décembre 2018 à 12h00.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la tardiveté des conclusions à fin d'annulation de l'arrêté d'homologation du 29 octobre 2012, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas sur la liste mentionnée dans cet arrêté, présentées plus de deux mois après la publication de cet acte au Journal officiel de la République française.

Vu le mémoire, enregistré le 19 mars 2019, par lequel M. D... et le GFA Domaine de Calon, représentés par SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, en réponse à la lettre qui leur a été adressée sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures.

Ils soutiennent que les demandes de première instance sont recevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la consommation ;

- le décret n° 2009-1195 du 7 octobre 2009 mettant la partie réglementaire du code rural en conformité avec la réglementation communautaire en matière vitivinicole et portant diverses adaptations ;

- le décret n° 2011-1779 du 5 décembre 2011 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " ;

- l'arrêté du 8 février 2007 portant nomination au comité national des vins, eaux-de-vie et autres boissons alcoolisées de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

- l'arrêté du 6 juin 2011 relatif au règlement concernant le classement des " premiers grands crus classés " et des " grands crus classés " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M.A...,

- les conclusions de Mme Ladoire, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., représentant M. D...et le GFA Domaine De Calon, de Me B...représentant Conseil Des Vins De Saint Emilion (CVSE) et de Me C...représentant l'INAO.

Considérant ce qui suit :

1. M. F...D..., en sa qualité de gérant de l'exploitation dénommée Château Corbin Michotte, et au nom du groupement foncier agricole (GFA) Domaine de Calon, propriétaire de cette exploitation, a fait acte de candidature en vue du classement de ce château en qualité de " grand cru classé " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". En application de l'article 3 de l'arrêté du 6 juin 2011 relatif au règlement concernant le classement des " premiers grands crus classés " et des " grands crus classés " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", le dossier de candidature a été déposé auprès des services de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). A la suite des travaux de la commission de classement des crus classés de l'appellation " Saint-Emilion grand cru ", instituée par l'article 2 du règlement précité, dont les membres ont été nommés par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des eaux de vie de l'INAO, la candidature présentée pour le Château Corbin Michotte a été écartée par décision du 7 juin 2012.

2. Par courrier du 14 juin 2012, reçu le 21 juin suivant, M. D...a sollicité, en vertu de l'article 7 du règlement précité, un nouvel examen de son dossier de candidature. Par décision du 5 septembre 2012, l'INAO a informé M. D...que la commission de classement avait, de nouveau, proposé de ne pas retenir le Château Corbin Michotte parmi la liste des " grands crus classés " de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". M. D...a formé, contre cette décision, un recours gracieux adressé à l'INAO et un recours hiérarchique adressé au ministre chargé de l'agriculture, le 7 septembre 2012.

3. Par arrêté du 29 octobre 2012, pris sur le fondement de l'article 7 du règlement précité, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et le ministre de l'économie et des finances ont homologué le classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", proposé par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées, et des eaux de vie de l'INAO, suivant la liste nominative figurant à l'article 1er de cet arrêté.

4. M. D...et le GFA Domaine de Calon ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation du classement homologué par cet arrêté et, dans un mémoire postérieur à la demande introductive d'instance, l'annulation de cet arrêté, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste établissant le classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ".

5. Par leur requête, M. D...et le GFA Domaine de Calon relèvent appel du jugement n° 130006 du 17 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté l'ensemble de leurs conclusions d'annulation. Ils demandent à la cour, outre l'annulation de ce jugement, à titre principal, l'annulation de l'arrêté interministériel du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", à titre subsidiaire, l'annulation du même arrêté en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans ce classement homologué, en tout état de cause et qu'il soit enjoint à l'INAO ou à l'État, de procéder à la communication de plusieurs documents.

Sur l'intervention du Conseil des vins de Saint-Emilion :

6. Aux termes de l'article 2 de ses statuts votés le 28 juin 2007, le Conseil des vins de Saint-Emilion a pour objet : " (...) / 1. de défendre les intérêts des A.O.C. Saint-Emilion, Saint-Emilion Grand cru et du classement attaché (...) " et " / 2. d'étudier et de défendre les droits ainsi que les intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par [ses] statuts ". Eu égard à cet objet, le Conseil des vins de Saint-Emilion a intérêt au maintien du jugement attaqué. Par conséquent, son intervention est recevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 10 du code de justice administrative : " Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus ". Aux termes de l'article R. 741-7 du même code : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ressort de la minute du jugement attaqué que celle-ci comporte, conformément aux dispositions précitées, le nom de chacun des trois magistrats ayant rendu la décision de première instance, ainsi que la signature du rapporteur, du président de la formation de jugement et du greffier d'audience. Si les requérants soutiennent, en outre, que le jugement attaqué est entaché d'un vice de forme en ce qu'il est dépourvu des mentions permettant de vérifier que la composition de la juridiction était la même lors de l'audience et lors du délibéré, il ressort des mentions portées sur ce jugement, lesquelles font foi jusqu'à preuve du contraire, qu'il a été " délibéré après l'audience publique du 8 décembre 2015 " à laquelle siégeaient les trois magistrats dont les noms ont été précisés. Ces mentions suffisent à établir que la composition de la juridiction était la même tant à l'audience qu'au délibéré.

8. En deuxième lieu, il ressort du point 8 du jugement attaqué que les premiers juges, après avoir relevé que le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " homologué par le décret n° 2011-1779 du 5 décembre 2011 avait modifié certaines dispositions du précédent cahier des charges de ladite appellation, homologué par le décret n° 2011-174 du 11 février 2011, ont estimé que les modifications apportées n'étaient pas inconciliables avec le règlement de classement adopté par l'arrêté du 6 juin 2011. Le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de la demande, a ainsi suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de ce que le règlement de classement homologué par l'arrêté du 6 juin 2011 ne pouvait constituer le fondement réglementaire de l'arrêté contesté du 29 octobre 2012.

9. En troisième lieu, il ressort du point 11 du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments de la demande, ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de ce qu'une procédure nationale d'opposition aurait dû être mise en oeuvre préalablement à l'homologation du cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", en indiquant les raisons pour lesquelles ils estimaient que les modifications apportées à ce cahier des charges ne pouvaient être regardées comme des " modifications majeures " au sens de l'article R. 614-20-1 du code rural et de la pêche maritime.

10. En quatrième lieu, dans le cadre de la contestation d'un acte réglementaire par voie d'exception, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Par conséquent, le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre au moyen tiré de l'irrégularité de la composition du comité national compétent en matière d'appellations d'origine relatives aux vins lors de sa délibération du 16 juin 2011, lequel moyen de procédure était inopérant.

11. En cinquième lieu, si les requérants ont invoqué, en première instance, un moyen auquel il n'a pas été répondu, tiré de ce que la première réunion de la commission de classement a eu lieu avant que ne soient désignés ses membres, il ressort des pièces du dossier que cette réunion n'avait qu'un caractère préparatoire et qu'elle n'a donné lieu à aucune décision ni aucun examen des candidatures. Le tribunal administratif n'était donc pas tenu de répondre à un tel moyen qui était inopérant.

12. En sixième lieu, si les requérants ont invoqué en première instance une violation des principes d'égalité et de transparence, il ressort du jugement attaqué que le tribunal, a écarté les moyens ainsi soulevés en indiquant les raisons pour lesquelles il estimait que ces principes généraux du droit n'avaient pas été méconnus. Le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués à l'appui du moyen tiré de la violation du principe d'égalité, a suffisamment motivé son jugement sur ce point. En particulier, les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à l'argumentation, développée en première instance, selon laquelle un candidat a bénéficié de l'ouverture d'une seconde bouteille de vin lors d'une dégustation, en raison du fait que la première bouteille était bouchonnée, dès lors que cette circonstance n'était pas, en tout état de cause, de nature à caractériser une rupture d'égalité entre les candidats à l'examen dont il s'agissait.

13. En septième lieu, il est vrai, ainsi que le font valoir les requérants, que le règlement du classement homologué par l'arrêté du 6 juin 2011 détaillait les éléments d'appréciation, tels que " les modes de distribution " ou " l'assiette foncière ", pouvant être pris en compte par la commission de classement des crus classés de l'appellation " Saint-Emilion grand cru " afin d'évaluer les quatre principaux critères de notation définis par ce règlement, à savoir, premièrement, le " niveau de qualité et [la] constance des vins ", deuxièmement, la " notoriété ", troisièmement, la " caractérisation de l'exploitation " et, quatrièmement, la " conduite de l'exploitation ". Toutefois, aucun texte ni aucun principe n'obligeait la commission de classement à pondérer ou à noter de manière individualisée ces éléments d'appréciation détaillés, lesquels ne constituaient pas, en eux-mêmes, les quatre critères de notation précités. Les premiers juges n'étaient donc pas tenus de répondre aux moyens tirés de l'absence de notation et de pondération de ces éléments, tels que " les modes de distribution " ou " l'assiette foncière ", alors même qu'ils étaient qualifiés de " sous-critères " par les requérants.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement est régulier.

Sur la recevabilité des demandes de première instance :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 octobre 2012 en ce qu'il homologue l'ensemble du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " :

15. Par une demande introductive d'instance enregistrée au tribunal administratif de Bordeaux le 4 janvier 2013, M. D...et le GFA Domaine de Calon ont présenté des conclusions d'excès de pouvoir contre l'arrêté du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", en demandant l'annulation de l'ensemble de la liste des " premiers grands crus classés " et " grands crus classés " annexée à cet arrêté.

16. D'une part, le règlement de ce classement, homologué par arrêté du 6 juin 2011, ne prévoit pas un nombre prédéterminé d'exploitants susceptibles de bénéficier du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". S'il est vrai que la liste des " premiers grands crus classés " et " grands crus classés " a été établie après que la commission de classement ait apprécié les mérites de l'ensemble des exploitations candidates, cette appréciation, quand bien même elle a donné lieu à des comparaisons entre les crus, n'a eu pour effet ni de limiter le nombre d'exploitations susceptibles de bénéficier du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", ni de hiérarchiser les bénéficiaires en fonction de leurs mérites respectifs. D'autre part, l'arrêté du 29 octobre 2012 a le caractère d'un acte collectif composé de plusieurs décisions à caractère individuel.

17. Si M. D...et le GFA Domaine de Calon disposent d'un intérêt à contester l'arrêté du 29 octobre 2012 en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste homologuée des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", ce qu'ils ont d'ailleurs fait par un mémoire ultérieur, ils ne justifient, en revanche, d'aucun intérêt personnel, direct et certain à l'annulation de l'ensemble des décisions individuelles contenues dans l'arrêté du 29 octobre 2012. En particulier, contrairement à ce que soutiennent les requérants, leur intérêt à agir contre l'ensemble de ces décisions ne saurait résulter de la circonstance alléguée que certaines exploitations viticoles auraient été indument classées parmi les crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". Par conséquent, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée à ces conclusions d'annulation par le ministre de l'agriculture et l'INAO.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 octobre 2012, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans le classement homologué des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru " :

18. M. D...et le GFA Domaine de Calon ont initialement demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2012 portant homologation du classement des crus de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ". A aucun moment, ils n'ont présenté au tribunal administratif une demande tendant à l'annulation de la décision du 5 septembre 2012 par laquelle la commission de classement a proposé de ne pas retenir le Château Corbin Michotte parmi la liste des " grands cru classé " et dont ils avaient connaissance, à tout le moins, dès le 7 septembre 2012, date de leur recours gracieux dirigé contre cette décision. Ce n'est que dans un mémoire enregistré au tribunal administratif le 8 février 2013 qu'ils ont complété leurs conclusions d'excès de pouvoir dirigées contre l'arrêté du 29 octobre 2012, en demandant, outre l'annulation de l'ensemble des décisions individuelles composant la liste homologuée des crus classés de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", l'annulation de cet arrêté, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans cette liste. C'est d'ailleurs ce que les requérants confirment dans leur mémoire enregistré au greffe de la cour le 19 mars 2019, produit en réponse au moyen d'ordre public qui leur a été communiqué en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

19. Ainsi qu'il a été dit au point 16, l'arrêté du 29 octobre 2012, qui se distingue de la décision du 5 septembre 2012 par laquelle la commission de classement a proposé de ne pas retenir le Château Corbin Michotte parmi la liste des " grands crus classés ", a le caractère d'un acte collectif composé de plusieurs décisions à caractère individuel. Or, le délai de recours contentieux contre un tel acte court à compter de la date de sa publication qui, en l'espèce, a été effectuée au Journal officiel de la République française le 7 novembre 2012. Les conclusions de M. D... et du GFA Domaine de Calon tendant à l'annulation de l'arrêté litigieux, en tant que le Château Corbin Michotte ne figure pas dans la liste homologuée des crus classés de l'appellation d'origine contrôlée " Saint-Emilion grand cru ", présentées au tribunal administratif plus de deux mois après la publication de l'arrêté du 29 octobre 2012, étaient donc tardives.

20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner les mesures d'instruction sollicitées à l'adresse de l'INAO et de l'État, que M. D...et le GFA Domaine de Calon ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention du Conseil des vins de Saint-Emilion est admise.

Article 2 : La requête de M. D... et du groupement foncier agricole Domaine de Calon est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...D..., au groupement foncier agricole Domaine de Calon, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'action et des comptes publics, au directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité et au Conseil des vins de Saint-Emilion. Copie en sera délivrée au groupement foncier agricole Geoffrion.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2019, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Pouzoulet, président,

M. David Katz, premier conseiller,

M. Romain Roussel, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 avril 2019.

Le rapporteur,

David A...

Le président,

Philippe Pouzoulet

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

8

N° 16BX00657


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00657
Date de la décision : 12/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Actes administratifs - classification - Actes individuels ou collectifs.

Procédure - Introduction de l'instance - Intérêt pour agir - Absence d'intérêt.

Procédure - Introduction de l'instance - Délais - Point de départ des délais - Publication - Journal Officiel.


Composition du Tribunal
Président : M. POUZOULET
Rapporteur ?: M. David KATZ
Rapporteur public ?: Mme LADOIRE
Avocat(s) : SCP PEIGNOT GARREAU BAUER VIOLAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-04-12;16bx00657 ?
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