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22/03/2019 | FRANCE | N°18BX02711

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre bis - (formation à 3), 22 mars 2019, 18BX02711


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...alias B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 juin 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1802636 du 8 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2018, et un mémoire enregistr

é le 13 février 2019, M. D...aliasC..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...alias B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 juin 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1802636 du 8 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2018, et un mémoire enregistré le 13 février 2019, M. D...aliasC..., représenté par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 juin 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 5 juin 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier ; alors qu'il s'était prévalu des stipulations de l'accord franco-algérien et que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'erreur de droit au regard de cet accord, le jugement ne vise pas ce document ;

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation dès lors qu'il n'a pas répondu au moyen tiré de ce que, pouvant prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien, il ne pouvait se voir opposer une mesure d'éloignement ;

- le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier et entaché le jugement contesté d'erreur de fait et de droit ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- sa motivation est insuffisante au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, notamment en l'absence de visa de l'accord franco-algérien qui lui est directement applicable ;

- le préfet ne pouvait édicter une mesure d'éloignement à son encontre dès lors qu'il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour de plein droit sur le fondement de l'article 6 1) de l'accord franco-algérien ; il justifie de sa présence en France depuis plus de dix ans ;

- la même décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il apporte la preuve de l'ancienneté de son séjour sur le territoire français où il a tissé des liens forts ; il vit en couple avec une ressortissante française qui attend un enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est insuffisamment motivée, ce qui révèle un défaut d'examen particulier de sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par M. D...alias C...ne sont pas fondés.

Par une décision du 31 janvier 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M.D....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Cécile Cabanne pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F...a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...D...alias B...C..., ressortissant algérien, déclare être entré en France le 22 octobre 2003. Interpellé le 5 juin 2018 par les services de police, il a déclaré lors de son audition se nommer M. B...C.... Dès lors que l'intéressé, se prévalant de cette identité d'emprunt, a déclaré séjourner irrégulièrement sur le territoire français depuis le mois d'octobre 2000 sans avoir présenté de demande d'admission au séjour, le préfet de la Haute-Garonne a pris le 5 juin 2018 à son encontre, sous cette seconde identité, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de renvoi. M. D...alias C...relève appel du jugement du 8 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision n° 2018/014586 du 31 janvier 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par M.D.... Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".

4. M. D...aliasC..., de nationalité algérienne, est entré irrégulièrement en France et n'est pas titulaire d'un titre de séjour. Par suite, il se trouvait dans le cas où, en application du 1° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Haute-Garonne peut l'obliger à quitter le territoire français.

5. Toutefois, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : 1°) Au ressortissant algérien qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans (...) ". Ces stipulations, qui prescrivent que le ressortissant algérien remplissant les conditions prévues doit se voir attribuer de plein droit un certificat de résidence, font obstacle à ce que l'intéressé puisse légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement, alors même qu'il n'aurait pas sollicité la délivrance d'un tel titre.

6. M. D...soutient avoir résidé de manière ininterrompue sur le territoire français depuis 2007. Il produit de très nombreuses pièces au soutien de son affirmation. Parmi celles-ci figurent notamment des récépissés de demande de titre de séjour du 2 février 2007 au 3 août 2007, un certificat de résidence valable du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009, un contrat de travail à durée indéterminée établi le 12 juillet 2007, des bulletins de salaires pour les périodes de septembre 2007 et août 2010 et un contrat de location conclu le 19 novembre 2007 pour une période de trois ans pour un immeuble situé 100, avenue Jules Julien à Toulouse. Des pièces établissant le paiement de loyers pour l'occupation d'un logement situé 3 rue Montmorency à Toulouse ont également été fournies pour les mois de décembre 2012, janvier à juillet 2013, janvier à avril 2014, novembre et décembre 2016, toute l'année 2017 et le mois de janvier 2018. L'intéressé produit également l'avis de taxe d'habitation due au titre de ce logement au titre de l'année 2009. Le requérant produit encore ses avis d'impôt sur le revenu des années 2007 à 2017 à l'exception de celui de l'année 2008. Parmi les pièces versées au dossier, figurent également des factures d'électricité pour les années 2013 à 2017 et de téléphone pour les années 2014 à 2017, des attestations de droits et des remboursements de la caisse primaire d'assurance maladie, des attestations de son établissement de crédit et des mandats d'envoi d'argent. Au total, M.D..., qui produit pour chaque année de nombreuses pièces de toute nature dont rien ne permet de douter de l'authenticité ou de la véracité, doit être regardé comme établissant la réalité de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué et comme justifiant, dès lors, de ce que sa situation entre dans le champ d'application des stipulations de l'article 6-1° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne ne pouvait légalement prendre à son encontre une mesure d'éloignement sans méconnaître ces stipulations.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement et d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D...alias C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 5 juin 2018.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. Aux termes de l'article L 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ". L'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".

9. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Haute-Garonne délivre à M. D...dans un délai de quinze jours suivant sa notification, une autorisation provisoire de séjour ainsi que le prévoit l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il y a également lieu de prescrire à l'autorité compétente de procéder au réexamen de la situation administrative de M. D... au regard des motifs de la présente décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. D...de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1802636 du 8 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 5 juin 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a obligé M. D...alias C...à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. D... alias C...la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D...alias B...C..., au ministre de l'Intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 20 février 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Pouget, président,

M. Paul-André Braud, premier-conseiller,

Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 mars 2019.

Le rapporteur,

Nathalie Gay-SabourdyLe président,

Marianne Pouget

Le greffier,

Florence Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

18BX02711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre bis - (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 18BX02711
Date de la décision : 22/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUGET M.
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : BENHAMIDA DJAMILA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-03-22;18bx02711 ?
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