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05/03/2019 | FRANCE | N°17BX00749

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 05 mars 2019, 17BX00749


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite du 13 février 2014 par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987.

Par un jugement n° 1401116 du 21 décembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 février 2017 et le 9 mars 2

018,

MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite du 13 février 2014 par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant au bénéfice de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987.

Par un jugement n° 1401116 du 21 décembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 février 2017 et le 9 mars 2018,

MmeD..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 décembre 2016 ;

2°) d'annuler la décision implicite du 13 février 2014 ;

3°) d'enjoindre au directeur de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC) de procéder à la liquidation de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987, augmentée des intérêts au taux légal à compter

du 13 février 2014, avec capitalisation des intérêts, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'ONAC une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la distinction à laquelle a procédé le tribunal, entre les anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie qui relevaient du statut civil de droit local, auxquels est réservé le bénéfice de l'allocation de reconnaissance, et les anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie qui relevaient du statut civil de droit commun, apparaît contraire à la jurisprudence du Conseil d'État

du 20 mars 2013 n° 345648 ;

- sa demande de versement de l'allocation de reconnaissance formée le 10 décembre 2013 et reçue par l'administration le 13 décembre 2013 ayant été introduite avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur la date de la décision implicite de rejet de cette demande pour estimer que la condition relative au statut civil des bénéficiaires lui était opposable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2017, le ministre des armées conclut à son incompétence pour défendre les décisions liées aux allocations et aides en faveur des anciens membres des formations supplétives, des rapatriés et de leur famille.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 février et 24 mai 2018, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC), représenté par la SCP Matuchansky Poupot Valdelievre, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de la méconnaissance de la décision du Conseil d'État du 20 mars 2013 est inopérant dès lors que cette décision a été rendue sous l'empire des dispositions de

l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013 réservant l'allocation de reconnaissance aux anciens harkis relevant du statut civil de droit local ;

- le silence du ministre sur sa demande du 13 décembre 2013 ayant fait naître une décision de rejet le 13 février 2014, il en résulte que la liaison du contentieux étant intervenue postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013, MmeD..., veuve de d'AlbertD..., ancien supplétif de statut civil de droit commun, n'était pas éligible à l'allocation de reconnaissance ;

- à titre subsidiaire, Mme D...ne démontre pas que sa demande aurait été reçue avant le 19 décembre 2013, faute de produire l'accusé de réception de sa demande, de sorte que ses conclusions tendant à l'octroi de l'allocation de reconnaissance sont vouées au rejet ;

- elle n'est en outre plus recevable à contester la décision implicite de rejet qui serait née de l'absence de réponse de l'administration à sa demande du 23 avril 2013 adressée à

la MIR par M. D...; elle ne peut non plus se prévaloir des dispositions de l'article 9 de la loi du 23 février 2005 qui dérogent à l'article 6 de la loi du 11 juin 1994 et sont applicables aux seules demandes formées dans le délai d'un an à compter de la publication du décret d'application intervenue le 18 mai 2005 ;

- Mme D...ne démontre pas que les conditions pour se voir octroyer les aides spécifiques au logement visées aux articles 6 à 9 de la loi du 11 juin 1994 seraient remplies ; en tout état de cause, ces aides spécifiques au logement ne sont pas accordées, contrairement à l'allocation de reconnaissance, au conjoint survivant du bénéficiaire.

Par ordonnance du 29 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 29 mai 2018.

Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 ;

- la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 ;

- la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

- la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 ;

- la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-504/505 QPC du 4 décembre 2015 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-522 QPC du 19 février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeA..., représentant Mme B...D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B...D..., veuve E...D..., ancien membre des formations supplétives de l'armée française en Algérie, relevant du statut civil de droit commun, a sollicité par lettre en date du 10 décembre 2013 le bénéfice de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificatives pour 2002 pour un montant de 30 000 euros.

Elle relève appel du jugement du 21 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de refus née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant au versement de l'allocation de reconnaissance.

Sur les conclusions en annulation :

2. Par une décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution les dispositions qui, dans le premier alinéa de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés, le dernier alinéa de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994, le paragraphe I bis de l'article 47 de la loi n° 99-1173

du 30 décembre 1999, les sixième et septième alinéas de l'article 6 et l'article 9 de la loi

du 23 février 2005, mentionnaient l'acquisition ou la possession de la nationalité française, dont celles qui, par les renvois qu'elles opéraient, réservaient aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de l'allocation de reconnaissance. Une telle condition tenant à la nature du statut civil dont devait bénéficier le demandeur de l'allocation de reconnaissance instituée par l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 a été réintroduite par les dispositions du I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

3. Aux termes de ce I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, l'allocation de reconnaissance prévue par l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 est ainsi réservée aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives " de statut civil de droit local ". Aux termes du II du même article, " Les dispositions du I sont applicables aux demandes d'allocation de reconnaissance présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée. ". L'article 6 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose par ailleurs : " I.- Les bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 (n° 2002-1576 du 30 décembre 2002) peuvent opter, au choix : - pour le maintien de l'allocation de reconnaissance dont le taux annuel est porté à 2 800 euros à compter du 1er janvier 2005 ; - pour le maintien de l'allocation de reconnaissance au taux en vigueur au 1er janvier 2004 et le versement d'un capital de 20 000 euros ;-pour le versement, en lieu et place de l'allocation de reconnaissance, d'un capital de 30 000 euros. En cas d'option pour le versement du capital, l'allocation de reconnaissance est servie au taux en vigueur au 1er janvier 2004 jusqu'au paiement de ce capital. À titre conservatoire, dans l'attente de l'exercice du droit d'option, l'allocation de reconnaissance est versée à ce même taux. (...) " .

4. Par une décision n° 2015-504/505 QPC du 4 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le I de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 en ce qu'il insérait les mots " de statut civil de droit local " au premier alinéa de

l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987. Par sa décision n° 2015-522 QPC du 19 février 2016, il a en revanche déclaré contraires à la Constitution les dispositions du II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, cette déclaration prenant effet à compter de la publication de sa décision et étant susceptible d'être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement. L'inconstitutionnalité de cette disposition a ainsi eu pour effet d'ouvrir droit au bénéfice de l'allocation de reconnaissance aux personnes qui ont formé une demande d'indemnité entre la publication de la décision n° 2010-93 QPC du Conseil constitutionnel et le 19 décembre 2013 et qui, à la suite du refus opposé par l'administration à cette demande, ont engagé une procédure contentieuse non définitivement close à la date de la décision n° 2015-522 QPC du 19 février 2016.

5. En l'espèce, il n'est pas contesté que le défunt époux de Mme D...ne remplissait pas la condition de statut civil de droit local. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'avis de réception de la lettre recommandée référencée 1A 092 872 6799-1 adressée à la mission interministérielle aux rapatriés, produit au dossier de première instance, que la demande de Mme D...tendant au bénéfice de l'allocation de reconnaissance a été reçue par les services du Premier ministre le 13 décembre 2013, soit avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013 et l'intéressée a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'un recours contentieux tendant à l'annulation de la décision implicite refusant de faire droit à cette demande le 14 mai 2014, avant que le Conseil constitutionnel ne censure les dispositions précitées du II de l'article 52 de cette loi. Dès lors, compte tenu de la date d'introduction de la demande d'allocation par Mme D...et de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée

le 19 février 2016 de l'application rétroactive de la condition de statut civil de droit local aux demandes présentées avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013, la condition tenant à la nature du statut civil du demandeur n'était pas opposable à l'appelante. Il suit de là que la décision implicite née du silence gardé sur la demande de Mme D...

du 13 décembre 2013, fondée sur l'appartenance de son époux au statut civil de droit commun doit être annulée.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite lui refusant le bénéfice de l'allocation de reconnaissance instituée en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ayant servi en Algérie.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et dans la mesure où il n'est pas contesté que Mme D...remplit l'ensemble des conditions d'éligibilité prévues par les dispositions des textes précités en vue de l'obtention de l'allocation de reconnaissance instituée en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ayant servi en Algérie, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que soit octroyé à l'appelante le bénéfice de cette allocation. Il y a donc lieu d'enjoindre à l'ONAC, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative de verser cette allocation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2013, date de réception par l'administration de la demande formée par

MmeD.... Il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'appelante, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC) demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

9. En second lieu et d'une part, MmeD..., pour le compte de qui les conclusions de la requête relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'État au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, son avocat n'a pas demandé que lui soit versée par l'ONAC la somme correspondant aux frais exposés et qu'il aurait réclamée à sa cliente si cette dernière n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision implicite du 13 février 2014 par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande de Mme D...tendant au bénéfice de l'allocation de reconnaissance mentionnée à l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 et le jugement n° 1401116-4 du 21 décembre 2016 du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à l'ONAC de verser à MmeD..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, l'allocation de reconnaissance instituée en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ayant servi en Algérie, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2013.

Article 3 : Les conclusions de la requête de Mme D...et les conclusions de l'ONAC présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D..., à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC) et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 5 mars 2019.

Le rapporteur,

Aurélie C...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX00749


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00749
Date de la décision : 05/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

46-07-04 Outre-mer. Aides aux rapatriés d'outre-mer. Diverses formes d`aide.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : AVELIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-03-05;17bx00749 ?
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