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31/12/2018 | FRANCE | N°18BX01169

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 31 décembre 2018, 18BX01169


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...A...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du préfet de la Dordogne du 22 janvier 2018 portant transfert aux autorités italiennes et assignation à résidence.

Par un jugement n° 1800649 du 23 févier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé les arrêtés précités du préfet de la Dordogne et lui a enjoint de réexaminer la demande d'asile présentée par M. A...B....

Procédure devant la cour :>
Par une requête, enregistrée le 21 mars 2018, le préfet de la Dordogne demande à la cour d'annule...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...A...B...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du préfet de la Dordogne du 22 janvier 2018 portant transfert aux autorités italiennes et assignation à résidence.

Par un jugement n° 1800649 du 23 févier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé les arrêtés précités du préfet de la Dordogne et lui a enjoint de réexaminer la demande d'asile présentée par M. A...B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2018, le préfet de la Dordogne demande à la cour d'annuler ce jugement du 23 février 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux.

Il soutient que :

- l'Italie a fait connaître son accord implicitement, pour reprendre en charge M. A... B...conformément aux dispositions de l'article 13§1 du règlement Dublin III ; c'est donc à bon droit que la décision de transfert est motivée au visa de cet article ; en effet, dès lors que les autorités françaises avaient connaissance du franchissement irrégulier de la frontière d'un Etat-membre en provenance d'un Etat tiers et que l'intéressé ne pouvait plus entrer dans les critères du chapitre III dudit règlement, l'Etat-membre dans lequel se trouve l'étranger ne peut qu'adresser une demande de reprise en charge à l'Etat responsable, comme le prévoit le règlement Dublin III ; le tribunal administratif de Bordeaux a déjà confirmé la légalité de ses décisions similaires fondées sur une requête de prise en charge en application de l'article 13 § 1 du règlement précité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2018, M. F...A...B..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Dordogne de lui remettre une attestation de demande d'asile et à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans le délai de 72 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que les écritures du préfet en sont que la reproduction de ses écritures de première instance et qu'il ne critique pas le jugement ;

- les moyens soulevés par le préfet ne sont par ailleurs pas fondés.

Par une ordonnance en date du 23 avril 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mai 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement européen (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit " règlement Dublin III " ;

- le règlement européen (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

- l'avis du Conseil d'Etat, n° 420900, du 7 décembre 2018.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F...A...B..., ressortissant soudanais, né le 3 avril 1992, est entré en France irrégulièrement le 1er août 2017 selon ses déclarations. Le 25 octobre 2017, il a déposé une demande d'admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture de la Gironde. L'instruction de sa demande d'asile a fait apparaître que ses empreintes digitales avaient été enregistrées le 15 juillet 2017 en Italie. Le 13 novembre 2017, le préfet de la Gironde a alors saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge, en application de l'article 13 § 1 du règlement européen (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit " règlement Dublin III ", établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat-membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats-membres par un ressortissant de pays tiers. En l'absence de réponse des autorités italiennes dans le délai de deux mois fixé par le règlement précité, le préfet a considéré que ces autorités avaient accepté, par accord implicite du 14 janvier 2018, de prendre en charge M. A... B...pour statuer sur sa demande d'asile, conformément à l'article 22 dudit règlement. Le 22 janvier 2018, le préfet de la Dordogne a édicté à son encontre un arrêté portant transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et un arrêté portant assignation à résidence dans l'attente de l'exécution de l'arrêté de transfert. Ce même préfet fait appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux du 23 février 2018 qui a annulé ses deux arrêtés et lui a enjoint de réexaminer la demande d'asile présentée par M. A...B....

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul Etat, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet Etat, dit Etat membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 de son chapitre II. Si l'Etat membre responsable est différent de l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet Etat, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement.

3. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. CE, avis n° 420900 du 7 décembre 2018.

5. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger en provenance d'un pays tiers ou d'un apatride ayant, au cours des douze mois ayant précédé le dépôt de sa demande d'asile, pénétré irrégulièrement au sein de l'espace Dublin par le biais d'un Etat membre autre que la France, la décision de transfert à fin de prise en charge qui, après avoir visé le règlement, fait référence à la consultation du fichier Eurodac sans autre précision, une telle motivation faisant apparaître que l'Etat responsable a été désigné en application du critère énoncé à l'article 13 du chapitre III du règlement.

6. Pour prononcer l'annulation de la décision de transfert en date du 22 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a retenu le moyen tiré de l'insuffisance motivation de cette décision. Le premier juge, après avoir rappelé la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 juin 2016 (C-63-15) jugeant que le droit à un recours effectif pour les demandeurs d'asile faisant l'objet d'une décision de transfert doit leur permettre d'invoquer l'application erronée d'un critère de responsabilité, a relevé que la décision contestée ne précisait pas, parmi les critères de détermination de l'Etat responsable prévus au 1er et 2ème paragraphe de l'article 13 du règlement Dublin III, lequel avait été finalement retenu.

7. L'arrêté de transfert en litige vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève du 28 juillet 1951, les règlements (UE) n° 604/2013 et n°1560/2003 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il expose ensuite, notamment, que M. A...B...est entré irrégulièrement sur le territoire français, qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin a été remise à l'intéressé le 25 octobre 2017, puis renouvelée le 21 novembre 2017 en application des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la consultation du fichier Eurodac a permis de constater qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière de l'Italie le 15 juillet 2017, soit dans la période précédant les 12 mois du dépôt de sa première demande d'asile en France, que les autorités italiennes ont été saisies le 13 novembre 2017 d'une demande de prise en charge en application de l'article 13 paragraphe 1 du règlement Dublin III, qu'en l'absence de réponse des autorités italiennes dans le délai fixé par ledit règlement, celles-ci ont été regardées comme ayant donné leur accord implicite le 14 janvier 2018, que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A...B...ne peut le faire regarder comme relevant des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement Dublin III et qu'il n'est pas établi qu'il ait quitté le territoire des Etats membres pendant une durée au moins égale à trois mois depuis son entrée sur ce territoire. Par suite, et même si le préfet a conclu " qu'en application de l'article 3, du chapitre III et de l'article 13 du règlement UE n° 604/2013, les autorités italiennes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. A...B... ", l'ensemble des éléments sus-rappelés permettait de caractériser précisément la situation de l'intéressé et lui permettait, à la seule lecture de l'arrêté attaqué, de connaître sans ambiguïté le critère retenu par l'administration pour s'adresser aux autorités italiennes, à savoir le paragraphe 1 de l'article 13 du règlement Dublin III et d'être ainsi mis à même d'en contester, le cas échéant, la pertinence. Dans ces conditions, le préfet de la Dordogne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur une insuffisance de motivation, de nature à empêcher l'exercice d'un recours effectif au regard de la connaissance par l'intéressé du critère retenu pour la détermination de l'Etat membre responsable.

8. Par ailleurs, l'arrêté contesté a été signé par M. C...E..., sous-préfet, secrétaire général de la préfecture de la Dordogne, qui bénéficiait d'une délégation de signature en date du 21 décembre 2017, régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture.

9. Cependant, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la signature de cet arrêté, ce membre du corps préfectoral s'était vu délivrer, par l'article 2 d'un arrêté du préfet de la Dordogne en date du 21 décembre 2017, une délégation de signature qui s'appliquait " aux décisions suivantes relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : - la délivrance des titres de séjour et des documents provisoires de séjour (...) ; - toutes décisions d'éloignement et décisions accessoires s'y rapportant prises en application du livre V du CESEDA ; - tous actes pour la mise à exécution des mesures d'éloignement prises en application de la réglementation relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, de la convention d'application des accords de Schengen signée le 19 juin 1990, du code du travail, du code de la santé publique et du code pénal ; - les décisions d'assignation à résidence, de désignation du pays d'éloignement et de placement en rétention administrative ; - les titres de voyage, les sauf-conduits pour les demandeurs d'asile (...) ; - toutes correspondances concernant l'instruction des demandes de titres de séjour ou d'asile ; (...) ". Or ainsi que le relève l'intimé, cette liste limitative n'habilitait pas son signataire à procéder - ainsi qu'il l'a fait - à la signature des décisions de transfert des demandeurs d'asile prises sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, figurant au titre IV de son livre VII. D'ailleurs, ce n'est que par un nouvel arrêté du 15 mai 2018 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture N° 24-2018-018 du 16 mai suivant, que le secrétaire général de la préfecture de la Dordogne s'est vu accorder une délégation de signature à l'effet de signer " toutes décisions d'éloignement et décisions accessoires s'y rapportant prises en application du livre V et du livre VII du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Dès lors, l'arrêté de transfert a été pris par une autorité incompétente pour ce faire et encourt l'annulation pour ce motif ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté portant assignation à résidence de M.B..., lequel est privé de base légale.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée en défense, que le préfet de la Dordogne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé les deux arrêtés litigieux du 22 janvier 2018 et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de quinze jours à compter de la notification de ce jugement.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une quelconque somme à verser au conseil de M. B...sur le fondement de ces dispositions combinées.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Dordogne est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F...A...B..., au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2018, à laquelle siégeaient :

M. Gil Cornevaux, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Gil CornevauxLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

6

N° 18BX01169


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 18BX01169
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. CORNEVAUX
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : TREBESSES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-31;18bx01169 ?
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