Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 19 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Brico-Dépôt à prononcer son licenciement pour inaptitude physique.
Par un jugement n° 1400579 du 20 octobre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision du 19 décembre 2013 et mis à la charge de l'Etat, à verser à MmeD..., la somme de 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées les 19 décembre 2016 et 19 mars 2018, la société Brico-Dépôt, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 octobre 2016 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si Mme D...a reproché à l'inspection du travail de n'avoir pas statué sur le caractère professionnel de son inaptitude physique, qui impliquait notamment la consultation des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement, la société Brico-Dépôt ne disposait d'aucun certificat médical établi pour maladie professionnelle ou accident du travail, ni au moment d'engager la procédure de licenciement, ni au moment d'adresser sa demande d'autorisation de licenciement à l'inspection du travail ;
- en effet, MmeD..., qui n'a jamais signalé à l'entreprise un quelconque accident du travail dans le délai prescrit par l'article R. 441-2 du code de la sécurité sociale, à savoir 24 heures après l'accident, a toujours été placée en arrêt maladie de droit commun d'origine non professionnelle à chaque reprise du 8 novembre au 2 décembre 2012, du 4 décembre 2012 au 10 février 2013 et du 5 avril au 9 juillet 2013 ;
- ainsi, le 21 novembre 2013, date à laquelle la société Brico-Dépôt a réceptionné la lettre recommandée datée du 20 novembre 2013 par laquelle la salariée a indiqué qu'elle aurait été victime d'un accident du travail le 5 novembre 2012, la procédure de licenciement menée par l'employeur était close puisque l'entretien préalable s'était tenu le 18 octobre et que la demande d'autorisation de licenciement avait été expédiée le 20 novembre 2013, de sorte que l'entreprise ne saurait se voir reprocher d'avoir omis une formalité préalable à l'engagement de la procédure ;
- à ce titre, c'est à tort que Mme D...prétend avoir adressé en temps utile à son employeur le certificat d'arrêt de travail sous la forme d'accident du travail et portant la date des 8 novembre 2012, 10 février 2013 et 5 avril 2013, dès lors que ces certificats, qui ont été antidatés, n'ont été établis que le 25 novembre 2013, aux fins d'être transmis à la caisse primaire d'assurances maladie pour l'instruction de sa demande de reconnaissance de l'accident du travail, que ladite caisse a d'ailleurs rejeté par décision du 16 avril 2014, en l'absence de lien de causalité entre le fait accidentel invoqué et son travail ;
- dans ces conditions, on ne voit pas comment le tribunal administratif de Bordeaux a pu reprocher à l'employeur d'avoir méconnu une protection qui n'a pas été accordée par la CPAM, et ceci d'autant plus que tant la commission de recours amiable, dans une décision du 10 juillet 2014, que le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Bordeaux, dans un jugement définitif du 19 janvier 2016, ont confirmé le refus de prise en charge faute pour la salariée de rapporter la preuve d'un fait accidentel survenu pendant le temps et sur le lieu de son travail ;
- en outre, dans un arrêt n° 392059 du 23 novembre 2016, le Conseil d'Etat a jugé que la protection du salarié s'apprécie, non pas à la date du licenciement, ni même à la date de la demande d'autorisation auprès de l'inspection, mais à la date de convocation à l'entretien préalable, soit en l'espèce le 7 octobre 2013, date à laquelle la société Brico-Dépôt ignorait l'origine potentiellement professionnelle de l'accident ;
- la décision contestée est suffisamment motivée dès lors que, d'une part, il n'appartient pas à l'inspection du travail de se prononcer sur l'origine de l'inaptitude physique et que, d'autre part, elle mentionne que l'employeur a effectué des recherches de reclassement et qu'aucun poste disponible correspondant au profil de Mme D...n'a pu être trouvé, de sorte que la société Brico-Dépôt se trouve dans l'impossibilité de reclasser la salariée ;
- si Mme D...estime que les délégués du personnel auraient dû être consultés avant son licenciement, sur le fondement de l'article L. 1226-10 du code du travail, une telle formalité ne s'impose qu'en matière d'inaptitude d'origine professionnelle, laquelle n'est aucunement établie en l'espèce ;
- sur le fond, c'est à juste titre que l'inspection du travail a estimé, en se fondant sur les dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, que l'employeur justifiait de l'impossibilité de reclasser MmeD..., dès lors que dans sa lettre du 13 août 2013, la société Brico-Dépôt avait interrogé la salariée sur sa mobilité géographique dans le cadre de sa recherche de reclassement, qui n'était pas limitée au seul territoire national, que la salariée a répondu dans le questionnaire qui lui avait été communiqué qu'elle n'était pas mobile géographiquement, signifiant clairement qu'elle s'opposait à un reclassement en Angleterre, en Allemagne ou en Turquie, mais aussi en dehors du dépôt de Biganos, ce qui n'a pourtant pas empêché l'employeur d'effectuer des recherches de reclassement en interrogeant, le 23 août 2013, l'ensemble des établissements Brico-Dépôt et Castorama ainsi que les filiales dont le siège est établi à Templemars ;
- à cet égard, dès lors que, d'une part, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste de responsable rayon et préconisé un reclassement en dehors des surfaces commerciales et que, d'autre part, la société Brico-Dépôt et la société Castorama sont avant tout des sociétés commerciales dont la quasi-totalité des emplois s'exercent en surface commerciale, le reclassement de Mme D...ne pouvait s'envisager qu'au siège social de Longpont Sur-Orge ou Templemars ;
- si la salariée produit la bourse interne à l'emploi de la société Brico-Dépôt et de la société Castorama, dans le but de mettre en lumière des opportunités de reclassement, aucun poste n'était à pourvoir à Biganos ou Bordeaux, soit dans le périmètre de mobilité défini par la salariée elle-même, la plupart des offres étaient postérieures au 20 novembre 2013, date de clôture de la période de recherche de reclassement, et, pour la dizaine de postes offerts pendant la période de reclassement, six concernaient la surface commerciale et n'étaient donc pas compatibles avec son état de santé, de sorte que ne restaient que cinq postes situés essentiellement à Longpont-Sur-Orge et qui ne correspondaient pas à ses aptitudes professionnelles, sachant que deux d'entre eux étaient déjà pourvus.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire enregistrés les 31 janvier et 9 mars 2018, MmeD..., représentée par MeB..., conclut à la confirmation du jugement attaqué du 22 octobre 2016, à l'annulation de la décision litigieuse de l'inspecteur du travail du 19 décembre 2013 et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Brico-Dépôt sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la jurisprudence rappelle que si la légalité d'une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, il incombe cependant au juge de l'excès de pouvoir de tenir compte, le cas échéant, d'éléments objectifs antérieurs à cette date mais révélés postérieurement ;
- or en l'espèce, elle avait, par une lettre en date du 20 novembre 2013 antérieure à la décision de l'inspectrice du travail, informé son employeur qu'elle faisait un recours devant la caisse primaire d'assurance maladie pour voir reconnaître son accident du travail du 5 novembre 2012, étant précisé qu'elle avait adressé à la société Brico-Dépôt la succession de ses arrêts maladie modifiés en arrêts pour accident du travail, établis par le docteur Galie les 8 novembre 2012, 10 février 2013 et 5 avril 2013 ;
- ainsi, il appartenait à la société Brico-Dépôt, avant la notification du licenciement prononcé le 2 janvier 2014, de reprendre la procédure de licenciement et de consulter les délégués du personnel compte tenu de cette information substantielle afférente à l'accident du travail qu'elle avait subi le 5 novembre 2012, sans qu'importe en l'espèce la circonstance que la caisse primaire d'assurance maladie ait refusé le reconnaissance au travail de cet accident par une décision du 16 avril 2014 ;
- la décision contestée de l'inspectrice du travail est insuffisamment motivée dès lors que, d'une part, elle ne précise à aucun moment la nature de l'arrêt de travail à l'origine de sa saisine, c'est-à-dire un arrêt maladie ou un arrêt consécutif à un accident du travail, alors que cette situation est particulièrement importante et que, d'autre part, elle ne fait pas mention des démarches de reclassement en France et à l'étranger effectuées par l'employeur ainsi que le contrôle qui aurait dû être assuré précisément par l'inspectrice du travail ;
- si, ainsi que le fait valoir l'administration, il n'appartient pas à l'inspectrice du travail de statuer sur l'origine professionnelle, elle doit, en revanche, sous peine d'erreur de droit, être informée si la situation d'inaptitude relève de la maladie ordinaire ou d'un accident du travail avant de rendre sa décision ;
- il appartenait à la société Brico-Dépôt d'aviser officiellement l'inspectrice du travail de la contestation faite par la salariée auprès de la caisse primaire d'assurance maladie avant qu'elle fasse son enquête et avant qu'elle prenne la décision du 19 décembre 2013 dès lors qu'elle connaissait parfaitement la situation d'accident du travail en cause, ayant, d'une part, été informée des crises survenues sur son lieu de travail les 8 novembre 2012, 19 novembre 2012, 3 décembre 2012 et 5 avril 2013 et, d'autre part, notifié à la salariée une lettre du 3 octobre 2013 indiquant les raisons pour lesquelles elle était dans l'impossibilité de la reclasser, sur le fondement des textes sur la protection des accidentés du travail, à savoir l'article L. 1226-12 du code du travail ;
- sur le fond, la société Brico-Dépôt, qui appartient au groupe KingFischer, n'apporte pas la preuve qui lui incombe du respect de son obligation de reclassement dans toutes les sociétés du groupe en France et à l'étranger, dès lors qu'elle n'a pas demandé à la salariée ses souhaits pour des postes à l'étranger, que plusieurs enseignes du groupe n'ont pas été contactées, qu'elle a tenu compte de sa volonté de ne pas être mobile dans les régions sans lui faire des propositions de reclassement écrites, précises et personnalisées ni en France, ni à l'étranger et que, compte tenu du nombre très important de salariés engagés soit dans le cadre de contrats à durée indéterminée pour une hôtesse de caisse à temps partiel, soit pour les autres postes de réceptionnaires et de vendeurs et les autres hôtesses de caisse, il appartenait à l'employeur, d'une part, d'interroger le médecin du travail pour savoir si elle pouvait occuper ces postes, y compris les postes précaires et, d'autre part, de produire tous les registres du personnel des établissements ainsi que les registres du personnel de toutes les sociétés du groupe KingFischer ;
- à cet égard, d'une part, la lettre circulaire adressée le 23 août 2013 à l'attention de l'ensemble des établissements du groupe n'est pas une lettre personnalisée et ne comporte à aucun moment sa qualité de salarié protégé en tant que déléguée du personnel et, d'autre part, il ressort de sa lettre du 3 octobre 2013 que l'employeur s'est cantonné au territoire national et, uniquement, aux enseignes Brico-Dépôt et Castorama ;
- on ne saurait inférer du questionnaire qui lui avait été remis, dont son employeur se prévaut, d'une part, que le terme de " région " ne faisait pas référence à la région administrative mais à un périmètre de mobilité pouvant excéder les frontières le cas échant, ni, d'autre part, qu'elle se serait opposée à un reclassement à l'étranger, étant précisé que son employeur ne lui a à aucun moment demandé si elle parlait une langue étrangère, alors que son curriculum vitae démontre qu'elle a obtenu le baccalauréat A2 (mention langues étrangères) en 1994 ;
- quant à la société Castorama, qui appartient au même groupe de sociétés, les justificatifs produits sont imprécis, dans la mesure où les réponses proviennent non pas de chaque établissement de cette société mais région par région, qui regroupent plusieurs magasins établissements, sans autres précisions à l'exception de la région Nord.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 mars 2018, la ministre du travail conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux.
Il fait valoir que :
- la décision de l'inspectrice du travail du 19 décembre 2013 est suffisamment motivée dès lors qu'elle relève que la salariée a été déclarée, les 10 et 24 juillet 2013, inapte à poste de travail mais apte à un autre emploi " en dehors des surfaces commerciales ", que la société Brico-Dépôt avait effectué des recherches de reclassement en prenant en compte les préconisations du médecin du travail et qu'aucun lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de Mme D...ne pouvait être retenu ;
- si la salariée a soutenu que les délégués du personnel aurait dû être consultés sur les recherches de reclassement entreprises par son employeur, celui-ci n'avait pas connaissance, même partiellement, de l'origine professionnelle de l'inaptitude de l'intéressée, lorsqu'il a effectué, le 20 novembre 2013, sa demande d'autorisation de licenciement ;
- dès lors que, le 14 juillet 2013, Mme D...a informé son employeur qu'elle n'était pas mobile géographiquement, l'employeur a, par lettre du 23 août 2013 et mail du 27 août, restreint ses recherches de reclassement et a, ainsi, sollicité l'ensemble des établissements du groupe implantés en France dans le but de la reclasser ;
- toutefois, l'ensemble des entreprises sollicitées relevant des sociétés Brico Dépôt et Castorama ayant répondu qu'elles n'avaient aucun poste disponible conforme aux prescriptions médicales, l'employeur s'est trouvé dans 1'impossibilité de la reclasser.
Par ordonnance du 20 février 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Axel Basset,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public ;
- et les observations de MeC..., représentant la société Brico Dépôt, et de Me B..., représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. Par une lettre du 20 novembre 2013, le directeur du magasin relevant de l'enseigne Brico-Dépôt situé à Biganos (33380), ayant pour activité le commerce de détail de quincaillerie, peinture et verre en grande surface, a sollicité de l'administration du travail l'autorisation de licencier pour inaptitude physique Mme E...D..., recrutée à compter du 4 janvier 2006 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée afin d'exercer les fonctions de vendeuse puis, à la suite de la signature d'un avenant le 26 février 2009, de responsable de rayon, et titulaire du mandat représentatif de délégué du personnel titulaire depuis le 23 juin 2011. Par une décision du 19 décembre 2013, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation de licencier cette salariée protégée. La société Brico-Dépôt relève appel du jugement du 20 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par MmeD..., a annulé cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. ". Aux termes de l'article L. 1226-10 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. (...) ". En vertu de l'article L. 2411-1 de ce même code, alors applicable : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2411-5 dudit code : " Le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. (...) ".
3. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, cette obligation s'imposant que l'inaptitude physique revête ou non un caractère professionnel au sens des dispositions précitées des articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. La circonstance que l'avis du médecin du travail, auquel il incombe de se prononcer sur l'aptitude du salarié à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment ou à exercer d'autres tâches existantes, déclare le salarié protégé " inapte à tout emploi dans l'entreprise " ne dispense pas l'employeur, qui connaît les possibilités d'aménagement de l'entreprise et peut solliciter le groupe auquel, le cas échéant, celle-ci appartient, de rechercher toute possibilité de reclassement dans l'entreprise ou au sein du groupe (CE, n° 334211, A, 7 avril 2011, Société Weleda).
4. Il est constant que la société Brico Dépôt appartient au groupe Kingfisher, qui constitue le premier distributeur européen - et le troisième au niveau mondial - de produits d'aménagement de la maison, comprenant plus de 860 magasins dans huit pays en Europe et en Asie. Outre les entités implantées sur le territoire français, composées des sièges sociaux de Brico Dépôt et Castorama, situés respectivement à Longpont-Sur-Orge (Essonne) et Templemars (Nord), ainsi que 104 magasins relevant des deux réseaux des enseignes Brico Dépôt et Castorama, les marques commercialisées par le groupe Kingfisher en France et à l'étranger comportent notamment les marques BetQ et Screwfix au Royaume Uni, Koctas en Turquie et Hornbach en Allemagne, le groupe Kingfisher détenant à ce titre des participations financières dans plusieurs filiales localisées dans ces pays. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir adressé à Mme D...un questionnaire, joint à une lettre du 13 août 2013, destiné à évaluer les possibilités de reclassement de cette salariée protégée, la société Brico Dépôt a entrepris de contacter, à partir du 23 août 2013, de nombreux établissements situés en France relevant tant de la marque Brico Dépôt que Castorama ainsi que le siège situé à Templemars, en tenant compte de ce que le médecin du travail avait, les 10 et 24 juillet 2013, estimé que Mme D...était inapte à l'exercice de ses fonctions au sein du magasin de Biganos mais apte au travail en dehors des surfaces commerciales. En revanche, et ainsi qu'elle l'admet d'ailleurs elle-même en appel, la société Brico Dépôt, qui ne conteste pas qu'une permutation de tout ou partie du personnel pouvait être effectuée dans les entreprises du groupe en raison de leur organisation, de leurs activités ou de leur lieu d'exploitation, a limité ses recherches de reclassement aux seules entreprises du groupe Kingfisher situées sur le territoire national, sans les étendre à celles implantées à l'étranger, en considération de ce que Mme D...avait indiqué, dans le questionnaire rempli par ses soins le 14 août 2013, qu'elle n'était pas mobile géographiquement. Toutefois, la circonstance que la salariée ait formulé cette indication n'exonérait pas l'employeur de son obligation de recherche de reclassement dans toutes les entreprises et établissements du groupe auquel appartient sa société, susceptibles de lui permettre d'exercer des fonctions comparables, un salarié investi de fonctions représentatives ne pouvant renoncer par avance aux dispositions protectrices d'ordre public instituées en sa faveur et l'employeur ne pouvant pas limiter ses propositions de reclassement en fonction de la volonté présumée de l'intéressée de les refuser (CE, n° 162597, 17 octobre 1997, BANQUE INDUSTRIELLE ET MOBILIERE PRIVEE). Au demeurant, la lettre du 13 août 2013 adressée par la société Brico Dépôt se bornait à lui demander de renseigner les " régions sur lesquelles une mutation est envisageable ", sans indiquer précisément à la salariée que les recherches de reclassement pouvaient être étendues à l'ensemble des entreprises du groupe Kingfisher, y compris celles situées à l'étranger. Il ressort de l'examen de la décision contestée du 19 décembre 2013 que l'inspecteur du travail a seulement indiqué qu'aucun poste correspondant au profil de Mme D...n'était disponible, sans exercer l'entier contrôle qui lui incombait en recherchant si la société Brico-Dépôt avait satisfait à ses obligations de reclassement découlant, en particulier, de son appartenance à un groupe ayant des filiales à l'étranger. Ce faisant, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'administration du travail a entaché cette décision d'erreur de droit.
5. Dès lors que ce motif suffisait à lui seul à entraîner l'annulation de la décision litigieuse du 19 décembre 2013 et justifier légalement le dispositif du jugement attaqué, la contestation, effectuée par la société appelante, du second motif retenu par le tribunal administratif de Bordeaux, et tiré du défaut de saisine des délégués du personnel sur le fondement des dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, qui revêtait en l'espèce un caractère surabondant, doit être écartée comme inopérante.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Brico Dépôt n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 19 décembre 2013 de l'inspecteur du travail.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Brico-Dépôt est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme D...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brico Dépôt, à Mme E...D...et au ministre du travail. Copie en sera transmise à la direction régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi de la région Nouvelle Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.
Le rapporteur,
Axel Basset
Le président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX04163