Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Blocfer a demandé devant le tribunal administratif de Limoges de condamner la région Limousin à lui verser une indemnité de 3 259 319 euros en réparation des préjudices subis du fait de subventions accordées par la région à la société Polytech.
Par un jugement n° 1301606 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 27 janvier 2016 et un mémoire ampliatif du 13 juillet 2016, la société Blocfer, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 novembre 2015 ;
2°) de condamner la région Limousin à lui verser une indemnité de 4 982 529 euros en réparation des préjudices subis du fait de subventions accordées par la région à la société Polytech ;
3°) de mettre à la charge de la région la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- que le jugement est entaché d'irrégularité, compte tenu de son insuffisance de motivation et de l'omission à statuer sur certains moyens par les premiers juges ; en effet, le tribunal administratif concernant les conclusions de la société fondées sur la responsabilité sans faute, s'est borné à les écarter au motif de l'inexistence d'un lien de causalité entre les aides financières apportées par la région et les pertes de marché et de personnel subies par la société, mais sans apporter d'élément de fait et de droit à l'appui de cette affirmation ; le tribunal concernant les conclusions de la société fondées sur la responsabilité pour faute, n'a pas répondu à son moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 3231-1 du code général des collectivités territoriales selon lequel l'intervention économique du département n'est autorisée que " sous réserve de la liberté du commerce et de l'industrie " et " du principe d'égalité des citoyens devant la loi ", le tribunal ne s'étant placé que sur le terrain des articles L. 1511-1 et L. 3231-1 du code général des collectivités territoriales, sans répondre au moyen invoqué par la société relatif à la violation du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; le jugement est par ailleurs entaché d'une contradiction de motifs dès lors que le tribunal admet que les aides financières ont aidé la société Polytech à se développer mais refuse d'admettre que ce développement s'est fait au détriment de la société Blocfer ;
- en ce qui concerne le bien-fondé du jugement, la région Limousin a commis des fautes en accordant en 2009, une subvention pour la construction par Polytech, d'une unité neuve de fabrication de blocs-portes techniques, puis en refusant en 2012, de retirer cette subvention et d'en solliciter le remboursement auprès de Polytech ; lorsque la commission permanente du conseil régional a été saisie d'une demande de subvention dans le cadre du projet " Polytech ", M. C...A...avait déjà organisé le pillage industriel de la société Blocfer tout en dissimulant la nature réelle de son projet, qui était de créer une société directement concurrente de son employeur de l'époque, ayant au départ de façon mensongère indiqué que l'activité de Polytech serait concentrée sur les blocs-portes standard et non sur les blocs-portes techniques ; si la région n'était pas nécessairement informée de ces éléments lorsqu'elle a accordé par une première décision du 23 juin 2009 des subventions de plus de 700 000 euros, elle ne pouvait qu'avoir conscience des risques encourus pour sa propre responsabilité en accordant ces subventions ; la convention de subventionnement de février 2012, qui dans son article 11.2, indique que " " Les partenaires s'engagent à ne pas tirer parti de l'aide attribuée pour pratiquer des prix anormalement bas et plus généralement à ne pas détourner la clientèle des entreprises concurrentes par l'octroi d'avantages anormaux par rapport à ceux consentis habituellement " visait à ne pas concurrencer l'activité de la société Blocfer et donc en décidant d'accorder une aide financière, la région a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la région ne pouvait avoir conscience des agissements abusifs de la société Polytech et que la clause de non-concurrence ne pouvait à elle seule traduire la connaissance par la région d'un comportement répréhensible de la société Polytech ; de plus, alors même que les agissements de la société Polytech étaient officiellement révélés, quant au fait que M. C...A...avec d'autres associés de la société Blocfer, qui deviendront des salariés de la société Polytech, a détourné au profit de la société Polytech, des informations relatives à la société Blocfer, la région le 28 juillet 2011, lui a accordé une nouvelle aide indirecte ; selon le constat d'huissier du 2 juin 2009, M. C...A..., a en mars 2009, soit un mois avant l'immatriculation de la société Polytech le 17 février 2009, et un mois avant son départ de la société Blocfer, procédé à la copie sur son ordinateur de l'intégralité des données contenues sur le disque " blocfer/dfstroot " du serveur informatique de la société Blocfer ; dans ce fichier se trouvaient stockées toutes les informations relatives à la recherche et au développement, à la communication, au marketing et au commercial et à la qualité de l'entreprise certaines informations étant expressément qualifiées de confidentielles ; la détention de ces informations a permis à Polytech d'accélérer la certification de son site de production malgré la jeunesse du système logistique ; la région, pourtant informée de ces agissements, a persisté à soutenir la société Polytech, en juillet 2011, puis en février 2012, en signant une nouvelle convention ; la région a donné son aval par plusieurs décisions successives avec trois bénéficiaires différents ; le soutien de la région Limousin s'est également exprimé par la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par la société Blocfer le 11 décembre 2012 demandant le retrait de la subvention accordée à la société Auxifip pour la réalisation du projet Polytech ; aux dates des 28 juillet 2011, 28 février 2012 et à la date de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par la société Blocfer le 11 décembre 2012, la Région disposait de l'ensemble des éléments qui auraient du la conduire à retirer les subventions accordées en vue de la réalisation du projet de la société Blocfer ; la responsabilité de la région est également susceptible d'être engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité ; lorsqu'une subvention est attribuée même légalement par une collectivité territoriale à une entreprise, le préjudice subi par un tiers du fait du versement de cette subvention est susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité dès lors que le préjudice présente un caractère anormal et spécial ; la responsabilité de la région doit donc être également engagée sur ce terrain ; l'octroi des subventions par la région, qu'il soit ou non fautif, est directement à l'origine du préjudice subi par la société Blocfer ; à la date de la première délibération de la région accordant une subvention à Polytech, cette société venait de se former, n'ayant été constituée qu'en février 2009 ; une fois la subvention accordée Polytech a pu démarcher les salariés de Blocfer, puis solliciter les banques et les fournisseurs, ce qui lui a permis de réaliser un chiffre d'affaires important passant de 1 300 euros en 2011 à près de 2 millions d'euros en 2012, plus de 6,3 millions d'euros en 2013, et plus de 9,6 millions en 2014 ; ce chiffre d'affaires n'a pu se réaliser qu'au détriment de la société Blocfer, ce qu'a estimé la société Sorgen dans son étude réalisée en mai 2013 ; le lien de causalité entre les subventions accordées par la région et le préjudice subi est donc établi ; en ce qui concerne le préjudice subi, il est établi par le fait que la fabrication et la commercialisation des blocs-portes techniques représente 95% du chiffre d'affaires réalisé chaque année par la société Blocfer, et que le positionnement de Polytech sur le marché est exactement le même que celui de Blocfer, et que la société Blocfer a été pillée de son savoir-faire par la société Polytech ; cette société par les subventions dont elle a bénéficié, a proposé à la clientèle des prix de vente sensiblement plus bas que ceux de Blocfer, grâce à des écarts du coût de fabrication de l'ordre de 20 à 25 % ; dans le même temps, par le fait de la région, Blocfer a subi une perte de chiffre d'affaires et une perte de taux de marge ainsi que des surcoûts liés au remplacement de personnes qui ont quitté l'entreprise ; le préjudice constaté et potentiel s'élève à 7,97 millions d'euros, le préjudice résultant du détournement de savoir-faire à 7,7 millions d'euros, le préjudice résultant des surcoûts occasionnés à Blocfer, par les actes de concurrence déloyale, à 900 000 euros ; le préjudice subi par la société Blocfer s'établit donc au total à la somme de 16,57 millions d'euros ; compte tenu de ce que le département et l'Union européenne ont également financé le projet, la part de responsabilité de la région s'établi à 19,67 % du montant du préjudice, soit à la somme de 3 259 319 euros.
Par un mémoire du 8 août 2016, la région Aquitaine, représentée par MeD..., conclut à titre principal au rejet de la requête de la société Blocfer, à titre subsidiaire à la désignation d'un expert, et à ce que soit mise à la charge de la société Blocfer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir, que contrairement à ce que soutient la société Blocfer, le jugement est suffisamment motivé, en ce qu'il se fonde sur l'inexistence d'un lien de causalité avec le préjudice invoqué ; la convention n'interdit pas à la société Polytech d'intervenir sur un marché concurrentiel, mais s'oppose uniquement à la violation des principes essentiels de la concurrence ; la cour d'appel de Limoges par un arrêt du 16 avril 2015 a débouté la société Blocfer de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale ; dans ces conditions la région n'a commis aucune faute en accordant une subvention à la société Polytech et en refusant de la retirer ; le préjudice invoqué n'est imputable qu'à la propre négligence de la société et non à une quelconque faute de la région ; par ailleurs, le juge d'instruction du TGI de Brive-la-Gaillarde a rendu une ordonnance de non-lieu le 19 mai 2014, concernant M. A...ancien salarié de Blocfer et dirigeant de Polytech, le juge d'instruction ayant considéré qu'il n'avait commis aucun abus de confiance au détriment de la société Blocfer ; le régime de responsabilité sans faute invoqué par la société Blocfer n'est pas applicable en l'espèce ; la société requérante n'établit pas l'existence d'un préjudice anormal et spécial ; le lien de causalité entre l'attribution de subventions à la société Polytech et le préjudice allégué n'est pas établi, la seule circonstance de l'arrivée d'un nouveau concurrent sur le marché ne permettant pas d'établir le lien de causalité entre le préjudice invoqué et les subventions versées par la région ; c'est au contraire l'incapacité de la société Blocfer à adapter son offre à l'évolution du marché et à l'entrée de concurrents qui explique les pertes subies par la société Blocfer ; la société ne justifie pas du préjudice subi, la société ne faisant que se plaindre de l'application des principes de la concurrence ; elle tente d'arguer d'une situation anciennement quasi-monopolistique dans son secteur, pour caractériser un préjudice ; or d'après le jugement du tribunal de commerce de Limoges du 1er juillet 2013, il n'existe pas de brevet déposé auprès de l'INPI concernant la fabrication des blocs-portes techniques par la société Blocfer, qui ne peut pas se prévaloir d'un monopole d'exploitation ; en ce qui concerne les surcoûts engendrés par la perte de personnel, rien n'interdisait à la société Polytech de déposer des offres d'emploi, et à cet égard, la cour d'appel de Limoges a considéré que la société Polytech n'avait pas procédé à une politique de débauchage massif du personnel de Blocfer ; si du personnel de Blocfer a quitté la société de manière spontanée, c'est en raison de son incapacité à conserver le personnel ; en tout état de cause, à supposer le préjudice établi, il ne pourrait être considéré comme spécial dès lors que ce serait tout le secteur des bloc portes national et européen qui serait concerné et non la seule société Blocfer ; le préjudice allégué par Blocfer, qui s'établit à 16,57 millions d'euros repose sur un rapport commandé par la société Blocfer et seule une expertise judiciaire pourrait à le supposer établi, déterminer le préjudice qui aurait été subi par la société Blocfer.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., représentant la société Blocfer.
Une note en délibéré présentée pour la société Blocfer a été enregistrée le 17 décembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. La société Blocfer fait appel du jugement du 26 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la région Limousin à lui verser une indemnité de 3 259 319 euros en réparation des préjudices subis du fait de subventions accordées par la Région à la société Polytech.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, faute pour la société Blocfer d'avoir invoqué devant les premiers juges, le moyen tiré de l'atteinte portée par la région à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe d'égalité des citoyens devant la loi, le moyen invoqué en appel tiré de l'absence de réponse par le tribunal administratif à ce moyen, ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, en ce qui concerne la réponse du tribunal administratif au moyen invoqué par la société Blocfer, sur le fondement de la responsabilité sans faute, tiré de l'existence d'un lien de causalité entre les aides financières apportées par la région et les pertes de marché et de personnel subies par la société, les premiers juges en relevant que " (...) les pertes de marché et de personnel subies par la société Blocfer sont la conséquence normale des règles de la concurrence ou, à les supposer établis, des agissements reprochés à la société Polytech et à son dirigeant, auxquels la région Limousin n'a pris aucune part ; que, dans ces conditions, la responsabilité de la région Limousin ne peut être recherchée sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques (...) " ont en tout état de cause suffisamment répondu au moyen invoqué par la société Blocfer.
4. En troisième lieu, le moyen invoqué par la société Blocfer tiré de la contradiction entre les motifs du jugement qui admet d'une part que les aides financières avaient aidé la société Polytech à se développer mais d'autre part refuse d'admettre que ce développement s'était fait au détriment de la société Blocfer, est inopérant dès lors que la contradiction de motifs n'affecte en tout état de cause que le bien-fondé du jugement et non sa régularité.
5. Les moyens invoqués par la société Blocfer tirés de l'irrégularité du jugement doivent donc être écartés.
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires :
6. Si la société Blocfer demande compte tenu de la situation de concurrence déloyale qu'elle aurait subie à raison du développement de l'activité de la société Polytech, la condamnation de la région Aquitaine à l'indemniser des préjudices subis du fait des illégalités fautives qui entacheraient les subventions accordées par la région à la société Polytech à hauteur de la somme de 431 310 euros, ainsi qu'au titre de la responsabilité sans faute, elle ne justifie en tout état de cause ni de l'existence d'un lien de causalité entre les fautes attribuées à la collectivité et les préjudices allégués, ni de l'existence d'un préjudice, à défaut pour la société Blocfer, d'invoquer et de justifier, une dégradation de ses résultats postérieurement à l'attribution de la subvention par la région à la société Polytech.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société Blocfer doit être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Région Aquitaine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Blocfer demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la région Aquitaine présentées sur le même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Blocfer est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la région Aquitaine présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Blocfer et à la région Nouvelle Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2018.
Le rapporteur,
Pierre Bentolila
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX00375