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06/11/2018 | FRANCE | N°16BX00589

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 06 novembre 2018, 16BX00589


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47), la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine) et l'Union des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) d'Aquitaine ont demandé au tribunal administratif

de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 30 août 2013 par lequel les préfets de la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47), la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine) et l'Union des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) d'Aquitaine ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 30 août 2013 par lequel les préfets de la Gironde et de la Charente-Maritime ont approuvé le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) " Estuaire de la Gironde et milieux associés ".

Par un jugement n° 1304178/1304252 du 15 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 février 2016 sous le n° 16BX00589, la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47), la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine), représentées par MeA..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2015 ;

2°) d'annuler l'arrêté interpréfectoral du 30 août 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le jugement n'est pas revêtu des signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

Elles soutiennent, en ce qui concerne leur intérêt à agir à l'encontre de l'arrêté du 30 août 2013, que :

- le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) en litige porte atteinte à leur situation eu égard aux impacts de ce document sur les terres cultivées, en termes de constructibilité et de limitations de prélèvements d'eau, situées dans son périmètre ;

Elles soutiennent, en ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté du 30 août 2013, que :

- la composition de la commission locale de l'eau, chargée de donner un avis sur le projet de SAGE, était irrégulière car les collèges des membres la composant étaient répartis illégalement ; le nombre d'agriculteurs siégeant au sein de cette commission n'a pas été augmenté alors que cela se justifiait au regard de l'impact particulier du projet de SAGE sur les activités agricoles ;

- les règles de convocation de la commission locale de l'eau n'ont pas été respectées à l'occasion des réunions de cette instance des 15 février 2007, 25 janvier 2010 et 18 novembre 2013 ;

- la composition de la commission a été modifiée par un arrêté du 13 juin 2013, ce qui était incompatible avec la règle selon laquelle les ordres du jour des séances de la commission sont envoyés quinze jours au moins avant la réunion ;

- la commission était partiale car à la demande de son président, la possibilité de vote à bulletin secret a été supprimée, ce qui a eu une influence sur le dernier vote, favorable au SAGE, de cette instance le 17 juin 2013 ;

- la commission locale de l'eau ne se réunit pas plus deux fois par an et, au moins une fois par an, depuis le 19 novembre 2012 en vertu de l'article R. 212-32 du code de l'environnement ; cette règle n'a pas été respectée ;

- les rapports d'activité de la commission ont été élaborés a posteriori et n'ont pas été adoptés en séance plénière contrairement aux exigences de l'article R. 212-34 du code de l'environnement ; les comptes-rendus de séance n'ont pas été présentés ni validés lors des différentes réunions de la commission ;

- les consultations préalables des personnes publiques intéressées sur le projet de SAGE ont été insuffisantes ; aucune concertation réelle n'a été organisée lors de l'élaboration de ce document, comme l'a fait remarquer le commissaire-enquêteur dans son rapport ;

- le SAGE a été adopté dans des conditions irrégulières dès lors qu'aucune évaluation environnementale au titre des zones Natura 2000 n'a été réalisée en application de l'article R. 414-19 du code de l'environnement ;

- il n'est pas établi que la demande d'ouverture de l'enquête publique adressée par le préfet au président du tribunal administratif de Bordeaux précisait l'objet de l'enquête, la période de sa réalisation et comportait le résumé non technique de l'évaluation environnementale ;

- le dossier concernant le projet de SAGE soumis à enquête publique était incomplet car il y manquait l'indication des phases de réalisation du schéma, l'évaluation des moyens financiers nécessaires ;

- le projet de SAGE a fait l'objet de modifications qui ont bouleversé son économie générale, ce qui imposait la réalisation d'une nouvelle enquête publique ; cette modification substantielle résulte de la suppression de l'atlas des zones humides du dossier d'enquête publique ;

Elles soutiennent, en ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté du 30 août 2013, que :

- l'absence dans le SAGE d'une cartographie des zones humides, alors que celle-ci a été élaborée dans le cadre du SDAGE Adour-Garonne, révèle une incompatibilité entre ces deux documents ;

- le SAGE ne respecte pas le principe de la gestion équilibrée de la ressource en eau énoncé à l'article L. 211-1 du code de l'environnement eu égard aux effets très restrictifs qu'il impose aux agriculteurs et aux terres cultivées au regard de l'usage de cette ressource ;

- le SAGE méconnaît le principe de la gestion équilibrée du point de vue de la faune piscicole car il n'aborde aucunement cette problématique ; il en va de même s'agissant du principe de gestion équilibrée du point de vue des risques de pollution ;

- le SAGE méconnaît la directive cadre sur l'eau car les masses d'eau correspondant à l'estuaire, à la Garonne et à la Dordogne n'y sont pas citées ; cela aurait permis d'étudier la problématique du bon état écologique de ces masses d'eau ;

- le SAGE empiète sur les compétences du préfet en matière de police des installations classées pour la protection de l'environnement en interdisant, dans les zones humides, les remblaiements, affouillements et autres opérations ; l'autorité préfectorale est en effet seule à même d'autoriser ou non des activités ayant de telles conséquences au regard de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le SAGE est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il a été adopté sans que les quatre réserves émises par le commissaire enquêteur aient été levées (problématique des zones humides, problématique des inondations, problématique des pollutions et risques technologiques, problématique des débits) ;

- le SAGE est aussi entaché d'erreur manifeste d'appréciation car sa volonté de favoriser l'efficacité des zones d'expansion des crues conduit à sacrifier de nombreuses surfaces cultivables ; il en va ainsi de la disposition I1 du SAGE ;

- le SAGE est entaché d'erreur manifeste car il ne propose aucune solution sur la question des pollutions dues aux PCB, HAP et cadmium et ne tient pas compte du risque de pollution encouru par l'Estuaire du fait de l'implantation d'entreprises Seveso ;

- le SAGE est encore entaché d'erreur manifeste en ce qu'il occulte la problématique liée à la navigation ;

- le débit de crise retenu par le SAGE, qui est le débit de référence en dessous duquel seules les exigences de la santé, de la salubrité, de la sécurité publique et de l'alimentation en eau potable, est manifestement erroné ;

- le SAGE est enfin entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il n'étudie pas la question du rapprochement avec les autres SAGE et le problème de la lutte contre les espèces invasives.

Par un mémoire en intervention, présenté le 30 septembre 2016, la chambre départementale d'agriculture de Lot-et-Garonne, la chambre d'agriculture de Charente-Maritime et la chambre d'agriculture de la Gironde, représentées par MeA..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 décembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le SAGE a été adopté au mépris des intérêts agricoles ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation car il n'a pas pris en compte les conséquences des dragages d'entretien du chenal et des ouvrages portuaires effectués par le Grand Port Maritime de Bordeaux ;

- le SAGE traduit la volonté d'occulter la problématique liée à la navigation.

Par ordonnance du 27 septembre 2016, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 31 octobre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville , rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant l'Union des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) d'Aquitaine.

Une note en délibéré présentée pour La fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47), la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine) a été enregistrée le 28 septembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 30 août 2013, le préfet de la Gironde et le préfet de la Charente_Maritime ont approuvé le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) " Estuaire de la Gironde et milieux associés ". La fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47) et la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine) ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cet arrêté du 30 août 2013. Elles relèvent appel du jugement rendu le 15 décembre 2015 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.

Sur l'intervention de la chambre départementale d'agriculture de Lot-et-Garonne, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime et de la chambre d'agriculture de la Gironde :

2. En vertu de l'article L. 510-1 du code rural et de la pêche maritime, les chambres d'agriculture sont investies d'une fonction de représentation des intérêts de l'agriculture auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales. A cet égard, il ressort des pièces du dossier qu'un représentant de la chambre d'agriculture de la Gironde et un représentant de la chambre d'agriculture de la Charente-Maritime sont membres de la commission locale de l'eau chargée d'élaborer le SAGE litigieux. Par suite, les chambres d'agriculture justifient d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien des conclusions d'appel des fédérations requérantes tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux et de l'arrêté d'approbation du SAGE.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le rapporteur, le président et le greffier, conformément aux dispositions précitées. La circonstance que l'ampliation de la décision notifiée aux appelants ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 30 août 2013 :

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant de la commission locale de l'eau :

Quant à sa composition :

5. Aux termes de l'article L. 212-4 du code de l'environnement : " I. - Pour l'élaboration, la révision et le suivi de l'application du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, une commission locale de l'eau est créée par le préfet. (...) II. - La commission locale de l'eau comprend : 1° Des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, des établissements publics locaux et, s'il existe, de l'établissement public territorial de bassin, situés en tout ou partie dans le périmètre du schéma visé à l'article L. 212-3, qui désignent en leur sein le président de la commission ; 2° Des représentants des usagers, des propriétaires fonciers, des organisations professionnelles et des associations concernées, établis dans le périmètre du schéma visé à l'article L. 212-3 ; 3° Des représentants de l'Etat et de ses établissements publics intéressés. Les représentants de la catégorie mentionnée au 1° détiennent au moins la moitié du nombre total des sièges et ceux de la catégorie mentionnée au 2° au moins le quart (...) ". Aux termes de l'article R. 212-29 du même code : " La composition de la commission locale de l'eau est arrêtée par le préfet (...) ". Aux termes de l'article R. 212-30 dudit code : " La commission locale de l'eau est composée de trois collèges distincts : 1° Le collège des collectivités territoriales, de leurs groupements et des établissements publics locaux est constitué pour moitié au moins de représentants nommés sur proposition des associations départementales des maires concernés et comprend au moins un représentant de chaque région et de chaque département intéressés ainsi que, le cas échéant, un représentant du parc naturel régional et un représentant de l'établissement public territorial de bassin désignés sur proposition de leurs conseils respectifs. 2° Le collège des usagers, des propriétaires fonciers, des organisations professionnelles et des associations concernées comprend au moins un représentant des chambres d'agriculture, un représentant des chambres de commerce et d'industrie territoriales, un représentant des associations syndicales de propriétaires ou des représentants de la propriété foncière ou forestière, un représentant des fédérations des associations agréées pour la pêche et la protection du milieu aquatique, un représentant des associations de protection de l'environnement et un représentant des associations de consommateurs ainsi que, s'il y a lieu, un représentant des producteurs d'hydroélectricité, un représentant des organismes uniques bénéficiant d'autorisations de prélèvement de l'eau pour l'irrigation et un représentant des associations de pêche professionnelle. 3° Le collège des représentants de l'Etat et de ses établissements publics intéressés comprend notamment un représentant du préfet coordonnateur de bassin et un représentant de l'agence de l'eau ainsi que, le cas échéant, un représentant du parc national et un représentant du parc naturel marin, désignés sur proposition respectivement du conseil d'administration ou du conseil de gestion du parc. ".

6. En premier lieu, par un arrêté du 30 janvier 2007, le préfet de la région Midi-Pyrénées, préfet coordonnateur du bassin Adour-Garonne, a délimité le périmètre du Syndicat Mixte pour le Développement Durable de l'Estuaire de la Gironde (SMIDDEST), qui constitue un établissement public de bassin. Il ressort des pièces du dossier que le SMIDDEST, dont le périmètre d'intervention recouvre celui du SAGE projeté, est le seul établissement public de bassin habilité à participer à l'élaboration du SAGE, à l'exclusion notamment du syndicat mixte d'étude et d'aménagement de la Garonne (SMEAG). Par suite, l'absence d'un représentant du SMEAG au sein de la commission locale de l'eau n'entache nullement d'irrégularité la procédure suivie. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'au 30 août 2013, date de l'arrêté en litige, le préfet de la Haute-Garonne avait répondu favorablement à la demande de reconnaissance en qualité d'établissement public de bassin présentée par le SMEAG.

7. En second lieu, la composition de la commission locale de l'eau a été renouvelée par un arrêté préfectoral du 12 octobre 2012 pris en application des dispositions précitées de l'article R. 212-30 du code de l'environnement. Il ressort des pièces du dossier que, lorsqu'elle s'est réunie le 17 juin 2013 pour adopter le SAGE, la commission locale de l'eau comportait notamment un collège des usagers de 26 personnes physiques. Au sein de ce collège, la chambre d'agriculture de la Gironde, la chambre d'agriculture de la Charente-Maritime, le syndicat des sylviculteurs du sud-ouest, deux associations syndicales autorisées et l'association spécialisée dans la mise en valeur, notamment agricole, des marais du Médoc disposaient chacun d'un représentant. Dans ces conditions, les fédérations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les intérêts agricoles étaient manifestement sous-représentés au sein de la commission locale de l'eau.

Quant au fonctionnement de la commission locale de l'eau :

8. En premier lieu, à l'appui de leurs moyens tirés de ce que, en méconnaissance des exigences de l'article R. 212-32 du code de l'environnement, la commission locale de l'eau se serait réunie dans des conditions irrégulières le 15 février 2007, 25 janvier 2010, 19 novembre 2012, 17 juin 2013 et 9 novembre 2013, les requérantes ne se prévalent devant la cour d'aucun motif de droit ou de fait nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 12 et 13 leur décision. Il en va de même du moyen tiré de ce que la commission locale de l'eau ne s'est pas réunie, en 2011 et 2012, autant de fois que le prévoit l'article R. 212-32 du code de l'environnement compte tenu de la réponse pertinente qu'en a donnée le tribunal au point 15 de sa décision.

9. En deuxième lieu, en réponse au moyen tiré de ce que le fonctionnement de la commission locale de l'eau n'a pas respecté les exigences de l'article R. 212-34 du code de l'environnement, le tribunal a jugé, au point 17 de sa décision, que les requérants " se bornent à alléguer, en se fondant sur la date des fichiers accessibles sur le site internet dédié au schéma d'aménagement et de gestion des eaux en litige, que la commission locale de l'eau a réalisé postérieurement ses rapports annuels d'activités et ne les a pas approuvés en séances ; qu'en tout état de cause, à supposer qu'elles soient établies, ces irrégularités sont étrangères à l'arrêté attaqué dans la présente instance ". Il y a lieu d'adopter ces motifs à l'encontre desquels les appelants n'invoquent en appel aucun élément de droit ou de fait nouveau.

10. En troisième lieu, les règles d'organisation et de fonctionnement de la commission locale de l'eau sont régies par les articles R. 212-29 à 34 du code de l'environnement et par le règlement intérieur de cette instance. Ces règles ne prévoient pas d'obligation de présenter des comptes-rendus de séance retranscrivant les interventions de chacun des membres présents au cours des réunions de la commission. Ce moyen doit, dès lors, être écarté en tout état de cause.

Quant à la " partialité " de la commission locale de l'eau :

11. A l'appui de ce moyen, les requérantes ne se prévalent devant la cour d'aucun motif de droit ou de fait nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 9 de leur décision.

S'agissant de la " concertation " :

12. Aux termes de l'article L. 212-6 du code de l'environnement : " La commission locale de l'eau soumet le projet de schéma d'aménagement et de gestion des eaux à l'avis des conseils généraux, des conseils régionaux, des chambres consulaires, des communes, de leurs groupements compétents et, s'il existe, de l'établissement public territorial de bassin ainsi que du comité de bassin intéressés. Hormis celui du comité de bassin, ces avis sont réputés favorables s'ils n'interviennent pas dans un délai de quatre mois ".

13. En application de ces dispositions, la commission locale de l'eau a transmis pour avis le projet de SAGE aux personnes publiques intéressées, soit 254 structures en tout. Il ressort des pièces du dossier que sur les 78 avis expressément rendus, 37 étaient favorables au projet de SAGE contre 38 avis défavorables. Les organismes consultés qui n'ont pas rendu d'avis étaient réputés être favorables au projet de SAGE conformément aux dispositions précitées de l'article L. 212-6. Contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, le sens de ces avis et le fait que les observations émises par les chambres d'agricultures n'aient pas été prises en compte par la commission locale de l'eau ne révèlent pas, à eux seuls, une absence de " concertation " susceptible d'entacher d'irrégularité la procédure suivie.

S'agissant de l'évaluation environnementale :

14. En application des articles R. 122-17, R. 122-20, R. 414-19 et L. 122-4 du code de l'environnement, le SAGE a fait l'objet d'une évaluation environnementale établie par le bureau d'études SOGREAH. Cette étude comporte une évaluation des incidences du futur SAGE sur les différentes zones Natura 2000 présentes à l'intérieur de son périmètre. Il en ressort que, eu égard à son objet même qui est d'assurer la préservation de la ressource en eau et des écosystèmes aquatiques, le SAGE aura des incidences positives sur les zones Natura 2000 existantes et les espèces animales qu'elles abritent. De leur côté, les requérantes ne produisent aucun élément permettant d'estimer que l'étude réalisée serait insuffisante ou erronée.

S'agissant de l'enquête publique :

15. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'en application de l'article R. 123-8, alors en vigueur, du code de l'environnement, le préfet de la Gironde a adressé au président du tribunal administratif de Bordeaux un courrier daté 9 juin 2011 sollicitant la désignation d'un commissaire-enquêteur pour mener l'enquête publique sur le projet de SAGE. Ce courrier précisait l'objet de l'enquête et la période retenue pour l'organisation conformément aux exigences de l'article R. 123-8. Il a été suivi d'un arrêté préfectoral prescrivant l'enquête publique du 18 juillet 2011. Comme l'a jugé à bon droit le tribunal au point 33 de sa décision, le courrier transmis le 9 juin 2011 n'avait pas à être accompagné d'un résumé non technique du SAGE dès lors que cette formalité, instituée par le décret n° 2011-2018 du 29 décembre 2011, ne concerne que les enquêtes publiques dont l'arrêté d'ouverture est publié à compter du 1er juin 2012.

16. En deuxième lieu, il ressort des pièces produites au dossier, notamment les certificats d'affichages établis par les maires des communes intéressées et les extraits de journaux locaux, que les formalités de publicité de l'arrêté prescrivant l'ouverture de l'enquête, prévues par l'article R. 123-14 du code de l'environnement, ont été respectées.

17. En troisième lieu, le plan de gestion et d'aménagement durable du SAGE, joint au dossier soumis à l'enquête publique, comportait un calendrier prévisionnel de mise en oeuvre de ce document ainsi que l'évaluation de son coût, conformément à l'article R. 212-46 du code de l'environnement.

18. En quatrième lieu, il est constant que l'atlas des zones humides a été retiré du dossier d'enquête après la clôture de l'enquête publique. Toutefois, il n'est nullement établi que le retrait de l'atlas aurait eu une incidence sur le traitement, par le plan d'aménagement et de gestion durable du SAGE, de la problématique des zones humides à laquelle ce document consacre un chapitre entier. De plus, l'atlas des zones humides ne constituait qu'un simple outil d'information et de sensibilisation de la population sur la question des zones humides et sa présence parmi les pièces composant le SAGE n'était pas obligatoire ainsi que l'a rappelé à bon droit le tribunal au point 39 de sa décision. Par suite, le retrait de ce document n'a pas modifié l'économie générale du projet de SAGE qui aurait rendu obligatoire une nouvelle enquête publique, comme l'allèguent les requérantes.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant de la violation de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (directive cadre sur l'eau) :

19. Si les requérantes se prévalent de la méconnaissance, par l'arrêté en litige du 30 août 2013, de la directive 2000/60/CE, ce moyen est inopérant dès lors qu'à la date de la décision contestée, cette directive avait été transposée en droit interne par la loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 dont il n'est pas allégué qu'elle aurait méconnu les objectifs ou des dispositions précises et inconditionnelles de la directive ou qu'elle l'aurait incomplètement transposée.

S'agissant de l'erreur de droit alléguée :

20. Aux termes du II de l'article L. 212-5-1 du code de l'environnement : " Le schéma comporte également un règlement qui peut : (...) 2° Définir les mesures nécessaires à la restauration et à la préservation de la qualité de l'eau et des milieux aquatiques (...) ". Aux termes de l'article R. 212-47 du même code : " Le règlement du schéma d'aménagement et de gestion des eaux peut : (...) 3° Edicter les règles nécessaires : (...) c) Au maintien et à la restauration des zones humides d'intérêt environnemental particulier prévues par le 4° du II de l'article L. 211-3 (...) ".

21. En application de ces dispositions, le règlement du SAGE (règle R 1) pouvait légalement interdire dans les zones humides, sans empiéter illégalement sur le domaine dévolu au préfet en matière de police des installations classées pour la protection de l'environnement, " les remblaiements, affouillements, exhaussements, dépôts de matériaux, assèchements, drainage et mises en eau ".

S'agissant de l'incompatibilité du SAGE avec l'orientation C 44 du SDAGE Adour-Garonne :

22. A l'appui de ce moyen, les requérantes ne se prévalent devant la cour d'aucun motif de droit ou de fait nouveau par rapport à l'argumentation développée devant le tribunal. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 47 et 48 de leur décision.

S'agissant des erreurs manifestes d'appréciation alléguées :

Quant au principe de gestion équilibrée de la ressource en eau :

23. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion (...) vise à assurer : 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides (...) 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution (...) 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ;4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique (...) ainsi que la répartition de cette ressource ; 6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ; 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; 3° De l'agriculture (...) ". Aux termes de l'article R. 212-46 du même code : " Le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques comporte : (...) 3° La définition des objectifs généraux permettant de satisfaire aux principes énoncés aux articles L. 211-1 et L. 430-1 (...) ".

24. En premier lieu, le plan d'aménagement et de gestion durable du SAGE prend en compte la problématique de la gestion intégrée des risques d'inondation en vue de réduire leurs conséquences sur la sécurité des personnes, les activités économiques et l'environnement. Il se réfère au programme d'actions et de prévention contre les inondations élaboré par le SMIDDEST et validé par l'Etat. Le SAGE prévoit aussi l'élaboration d'un schéma de prévention des inondations fluviomaritimes dans les deux ans suivant sa publication. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le SAGE aurait omis de prendre en compte cette problématique en méconnaissance de l'article L. 211-1 précité du code de l'environnement. Et dès lors qu'il n'a pas vocation à définir directement des actions de prévention des inondations, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que le SAGE créerait des contraintes manifestement excessives sur les activités des agriculteurs.

25. En second lieu, le plan d'aménagement et de gestion durable comporte des dispositions consacrées à l'identification, au suivi et à la préservation de l'écosystème estuarien et de la ressource halieutique. Ces questions sont aussi traitées au niveau du règlement du SAGE, lequel comporte un article R. 5 " Prise en compte des impacts sur la faune piscicole et zooplanctonique des prélèvements ou rejets d'eau dans l'estuaire ". Il ne résulte aucunement de l'instruction que la prise en compte de ces préoccupations par le SAGE serait insuffisante au regard du principe de la gestion équilibrée de la ressource en eau.

26. En troisième lieu, le plan d'aménagement et de gestion durable traite des objectifs du SAGE en matière de lutte contre les pollutions chimiques, des conditions de réalisation de ces objectifs et des modalités d'un programme d'action. Il ne résulte pas de l'instruction que le SAGE aurait insuffisamment analysé la problématique des pollutions chimiques au regard du principe de gestion équilibrée de la ressource en eau.

27. Il résulte de ce qui précède que le SAGE contesté n'a pas manifestement méconnu le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.

Quant aux autres erreurs manifestes d'appréciation alléguées :

28. Les requérantes allèguent que le SAGE est entaché d'erreurs manifestes au motif que les quatre réserves émises par le commissaire-enquêteur n'ont pas été levées. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges au point 56 de leur décision, à supposer qu'effectivement, ces réserves n'aient pas été levées et que les conclusions du commissaire-enquêteur devaient ainsi être regardées comme défavorables, cette circonstance ne révèlerait pas, à elle seule, l'erreur manifeste invoquée dès lors que l'avis du commissaire-enquêteur ne lie pas l'autorité compétente pour approuver le SAGE.

29. Au demeurant, il résulte de l'instruction, et n'est pas sérieusement contesté en appel, que les réserves du commissaire-enquêteur, relatives à l'identification des zones humides, à la prise en compte des risques inondation, de pollution, d'atteinte à la sécurité publique et à l'impact de la navigation sur l'estuaire ont été suffisamment prises en compte dans le SAGE soumis à l'approbation ainsi que l'ont relevé les premiers juges aux points 56, 57 et 58 de leur décision. En appel, les requérantes, qui se bornent pour l'essentiel à faire état des critiques émises par les chambres d'agriculture sur le traitement de ces problématiques par le projet de SAGE, n'apportent en appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges. Par suite, le moyen tiré de ce que le SAGE est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation doit être écarté par adoption des motifs pertinemment retenus par le tribunal.

30. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le SAGE en litige serait entaché d'erreur manifeste au motif qu'il n'aurait pas suffisamment pris en compte l'impact sur la ressource en eau des aménagements prévus sur l'estuaire ou des opérations d'entretien menées par le Grand Port Maritime de Bordeaux.

31. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Enfin, les chambres d'agriculture de la Gironde, du Lot-et-Garonne et de la Charente-Maritime ne sont pas, en tant qu'intervenantes, parties à l'instance d'appel au sens de l'article L. 761-1. Par suite, leurs conclusions présentées sur ce fondement doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la chambre départementale d'agriculture de Lot-et-Garonne, de la chambre d'agriculture de Charente-Maritime et de la chambre d'agriculture de la Gironde est admise.

Article 2 : La requête de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime (FNSEA 17), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde (FDSEA 33), la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne (FDSEA 47), la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine (FRSEA Aquitaine) est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des chambres d'agricultures de la Gironde, du Lot-et-Garonne et de la Charente-Maritime présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de la Charente-Maritime, à la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Gironde, à la fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de Lot-et-Garonne et à la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Aquitaine, à l'Union des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) d'Aquitaine, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, à la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne, à la chambre d'agriculture de Charente-Maritime et à la chambre d'agriculture de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 novembre 2018.

Le rapporteur,

Frédéric FaïckLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Florence Deligey

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX00589


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00589
Date de la décision : 06/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

27-05-05 Eaux. Gestion de la ressource en eau. Schémas directeurs et schémas d'aménagement et de gestion des eaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : ATMOS AVOCATS SELARL ; SCP BOIVIN et ASSOCIES ; ATMOS AVOCATS SELARL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-11-06;16bx00589 ?
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