Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprises de la société Bois Debout SA ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision 20 mars 2018, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu au plan de sauvegarde de l'emploi déposé par la société Bois Debout.
Par un jugement n° 1800301 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande présentée par la Confédération générale des travailleurs de la Guadeloupe (CGTG) et par le comité d'entreprises de la société Bois Debout SA.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2018, la Confédération générale des travailleurs de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprises de la société Bois Debout SA, représentés par MeE..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 28 juin 2018 ;
2°) d'annuler la décision 20 mars 2018, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu au plan de sauvegarde de l'emploi déposé par la société Bois Debout.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise (CE) a été irrégulière au regard des articles L. 1233-57-3, L. 1233-57-4 et L. 1233-58 du code du travail ; si ces articles prévoient notamment que l'administrateur judiciaire doit organiser une seule réunion du CE afin de recueillir son avis sur le PSE, la cour de cassation considère que lorsque le CE fait le choix de se faire assister d'un expert, alors au moins deux réunions doivent être tenues, sinon cela priverait la procédure de recours à un expert de tout intérêt ; lorsqu'un expert est désigné, son rapport doit être transmis à la DIECCTE avant qu'elle se prononce ; en effet, les conditions dans lesquelles le projet a été discuté est un élément essentiel de la qualité du dialogue social et, partant, de la régularité de la procédure car le CE soit pouvoir formuler ses avis en toute connaissance de cause ; en l'espèce, cela n'a pas été le cas, car l'administrateur judiciaire a, lors de la réunion du 9 février, refusé de rendre effectif le droit pour le CE de se faire assister d'un expert en n'organisant qu'une seule réunion et en présentant la demande d'homologation le jour même de la réunion ; si le 19 mars, l'administrateur judiciaire a de nouveau validé le principe du recours à l'expert, il a tout de même sollicité l'avis du CE le jour même ; les membres du CE n'étant pas des professionnels du droit, la mission de l'expert a pour objet de lui permettre de rendre un avis éclairé et doit donc se dérouler avant le rendu de l'avis du comité ; par conséquent, le DIECCTE aurait dû refuser d'homologuer le plan ; à cet égard, l'interprétation des textes faite par le jugement, et en particulier de l'article L. 1233-58, est erronée ; il est en effet impossible de considérer comme il l'a fait que le projet aurait été " repris " et que la réunion du CE du 19 mars serait une poursuite de la procédure, dès lors qu'elle s'est déroulée plus de quinze jours après la décision du DIECCTE du 28 février et que seule une reprise dans les trois jours de la procédure permet de se prévaloir d'une situation de poursuite ; c'est également à tort que le tribunal a considéré que le CE avait disposé d'un délai de deux mois pour se prononcer puisqu'en réalité, il n'a disposé que d'une seule réunion pour donner son avis et que cela a empêché la mission de l'expert de se dérouler ; la procédure d'information/consultation est donc entachée d'un vice substantiel ;
- le document unilatéral homologué par la décision du 20 mars 2018 ne fait apparaître aucune définition des catégories professionnelles, contrairement à ce que prévoient les dispositions du 4° de l'article L. 1233-24-2 du code du travail ; l'article L. 1233-58 ne fait apparaître à cet égard aucune dérogation pour les entreprises placées en liquidation judicaire ; ainsi, la légalité de l'homologation est subordonnée à ce que les catégories professionnelles ont bien été délimitées à partir de considérations tenant à la compétence professionnelle et non en fonction des seuls intitulés des fiches de paie, de l'organigramme ou encore de l'ancienneté dans les fonctions ; en l'espèce, le document homologué le 20 mars 2018 ne fait apparaître aucune définition des catégories professionnelles, puisque seule y figure une répartition de l'effectif par statuts ; un tel découpage ne permet pas d'apprécier l'existence de permutabilité entre les salariés et est donc contraire au but de la mention des catégories professionnelles, qui est de s'assurer de l'objectivité du choix du salarié licencié ; cela est d'autant plus vrai que dans la population des ouvriers, il existe un nombre important de postes de travail différents ;
- les critères d'ordre n'ont pas été appliqués à l'ensemble des catégories professionnelles concernées par le projet de licenciement ; le critère de l'aptitude technique a été appliqué à la seule catégorie des ouvriers agricoles ; l'administration avait d'ailleurs retenu cette illégalité pour refuser d'homologuer le 19 février 2018 le précédent document unilatéral ; or, il appartient à l'autorité administrative saisie de la demande d'homologation de vérifier la conformité des critères d'ordre et de leurs règles de pondération par rapport aux dispositions législatives et conventionnelles applicables ; en n'appliquant le critère de l'aptitude technique qu'à la seule catégorie des ouvriers agricoles, le DIECCTE a ainsi commis une erreur d'appréciation, car cela entraîne une inégalité de traitement pour les autres salariés ;
- il existe également une inégalité de traitement entre les volontaires et les non volontaires, tirée de la référence à la rémunération des salariés pour fixer le montant des mesures d'accompagnement ; le principe d'égalité de traitement doit en effet être appliqué en matière de PSE et s'il est possible de réserver un avantage à certains salariés, c'est à la condition que tous les salariés placés dans une situation identique puissent en bénéficier ; or, en l'espèce, des mesures d'aide à la création d'entreprise et à la formation ainsi qu'une prime de retour à l'emploi ne sont envisagées que pour les seuls volontaires ; pourtant, tous les salariés subissent la perte d'emploi, qu'ils soient volontaires ou non ;
- de même, des primes pour les volontaires ont été prévues en fonction du niveau de la catégorie d'emploi ; ce faisant, la somme affectée par l'entreprise aux mesures d'accompagnement a été fixée par référence à la rémunération des salariés et donc au niveau d'emploi et de qualification, alors que le budget servant à l'accompagnement des salariés licenciés ne s'apprécie pas en fonction de la rémunération ; mais du coût de la mesure et des objectifs poursuivis ; fixer un montant par référence à la rémunération revient à traiter différemment les salariés, alors qu'aucune justification objective ne permet d'accorder un budget de formation plus important à ceux dont la rémunération est plus élevée, tous étant placés dans la même situation au regard de l'avantage et de la situation de perte d'emploi ; le caractère inégalitaire de ce dispositif est ainsi incompatible avec les objectifs poursuivis par le PSE, dès lors qu'il entraîne une rupture du principe d'égalité de traitement entre salariés touchés par la même mesure, à savoir la perte d'emploi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2018, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé ;
- le délai de trois jours de l'article L. 1233-58 a bien été respecté pour réunir le comité d'entreprise après le refus d'homologation du 28 février et en tout état de cause, son dépassement n'est assorti d'aucune conséquence légale ; l'expert, qui en tout état de cause n'a pas été désigné lors de la première réunion du CE le 19 janvier 2018, a poursuivi la même mission malgré les deux premiers refus d'homologation ; la circonstance qu'il ait rendu son rapport hors délai n'est pas de nature à reporter les délais de la procédure ; la procédure d'information et de consultation a été régulière ;
- les qualifications retenues correspondent à une réalité objective tenant aux spécificités de l'entreprise et la société n'a pas abusivement pris en compte l'organisation fonctionnelle de celle-ci ; en outre, les catégories socio-professionnelles n'ont pas été déterminées dans le seul but de permettre de licenciement de certains salariés ; la prise en compte du statut des salariés n'est de toutes façons pas interdite ; enfin, l'appréciation des qualités professionnelles de la catégorie professionnelle des ouvriers tient compte de la polyvalence des salariés ;
- ce PSE comporte trois sous-critères permettant d'apprécier les qualités professionnelles visées au 4° du L. 1233-5 du code du travail, le dernier, l'aptitude technique étant spécifique à la catégorie des ouvriers agricoles ; sans omettre de critère, la société a fait usage de sa faculté de modulation au sein d'une catégorie professionnelle donnée, les textes n'interdisant pas de retenir des éléments différents, selon les catégories professionnelles, pour apprécier les qualités professionnelles ;
- s'agissant de la prétendue inégalité de traitement entre volontaires et non volontaires, la mise en place de mesures différentes n'est pas interdite, dès lors que les salariés ne sont pas placés dans la même situation ; s'agissant de la prise en compte de la rémunération et du niveau d'emploi, tous les salariés ne sont pas, en raison de leur statut, de leur ancienneté et de leur formation, placés dans une situation identique ; aucun texte n'impose la mise en place d'indemnités identiques pour tous les salariés ; en outre, un grand nombre de primes ou d'indemnités légales ou conventionnelles sont calculées par rapport à la rémunération ; ainsi, les requérants ne sont-ils pas fondés à invoquer des inégalités de traitement.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 septembre 2018, M. A...C..., administrateur judiciaire de la société Bois Debout, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des appelants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé ;
- la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise n'est entachée d'aucune irrégularité ; les modifications introduites par l'employeur à la suite des refus d'homologation revêtent le caractère de simples modifications du PSE initial et ne conféraient ainsi pas au nouveau document le caractère d'un nouveau plan ; lors de la première réunion du CE, qui s'est prolongée avec le même ordre du jour via plusieurs réunions ultérieures, le comité n'a pris aucune décision formelle de recourir à l'assistance d'un expert-comptable ; ainsi, ce dernier, qui a été ultérieurement désigné par le CE ne saurait être regardé comme ayant été désigné au titre des articles L. 1233-34 et L. 2325-35 du code du travail ; par suite, la circonstance que cet expert aurait respecté les délais prévus par l'article L. 1233-35 sans que l'employeur respecte en retour les délais qui y sont prévus, et n'aurait ainsi pas disposé, pour rendre son rapport, des délais légaux, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure ;
- l'avis du CE a donc été régulièrement recueilli, nonobstant la tardiveté de l'intervention de l'expert-comptable, qui ne peut être reprochée à l'administrateur judiciaire ; la DIECCTE a de toutes façons homologué le plan, ce qui prouve que les règles procédurales ont bien été respectées ;
- le jugement doit également être confirmé sur les autres moyens.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 septembre 2018, la société Bois Debout, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants.
Elle fait valoir que :
- aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé ;
- la nomination de l'expert aurait dû avoir lieu lors de la première réunion le 19 janvier 2018 ; l'expert n'a été désigné que lors de la réunion du 22 février 2018 alors que le délai de deux mois mentionné au 1° de l'article L. 1233-30 II a commencé à courir dès la première réunion le 19 janvier 2018 ; il n'a rendu son rapport que le 23 avril 2018, c'est-à-dire après expiration du délai de deux mois précité ;
- s'agissant de la définition des catégories professionnelles, en l'absence de convention collective, il y avait lieu de se référer à l'organisation fonctionnelle de la société ; seuls les ouvriers agricoles exercent des fonctions comparables et leur appliquer à eux seuls le critère de l'aptitude technique ne traduit pas un traitement inégalitaire ;
- chaque salarié étant libre de partir de manière volontaire ou non, le fait d'avoir mis en place des mesures différenciées pour les volontaires et les non volontaires ne traduit pas non plus une inégalité de traitement ;
- s'agissant des primes, le mode, de calcul était strictement identique pour chaque salarié concerné ; la circonstance que le mode de calcul ait été basé sur la rémunération ne constitue pas non plus une inégalité de traitement ;
- l'annulation de la décision d'homologation contestée aurait de graves conséquences pour la société, puisqu'elle freinerait son redressement et remettrait en cause les départs volontaires de quarante-trois salariés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant la Confédération générale des travailleurs de la Guadeloupe (CGTG), de MeB..., représentant la société Bois Debout SA et de MmeF..., représentant le ministère du travail.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme Bois Debout, entreprise exploitant une plantation de 240 ha dédiée à la production de bananes et de cannes à sucre sur le territoire de la commune de Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe) et employant 138 salariés, dont 118 ouvriers agricoles, 20 employés et 2 cadres, a été placée en redressement judiciaire par un jugement du 18 août 2017 du tribunal de commerce de Pointe-A-Pitre. L'administrateur judiciaire a considéré qu'eu égard aux prévisions de trésorerie et aux difficultés d'origine tant structurelles que conjoncturelles dont souffrait la société, que l'élaboration d'un projet de réduction des effectifs et d'un plan de sauvegarde de l'emploi étaient nécessaire. Le 30 janvier 2018, le comité d'entreprise a été convoqué par l'administrateur pour une réunion fixée le 9 février 2018 afin de lui présenter un plan de réduction des effectifs de 49 postes. A la suite de cette séance du 9 février 2018, à laquelle des membres salariés du comité d'entreprise ont refusé de siéger faute d'obtenir la fixation conjointe de l'ordre du jour de la réunion, l'administrateur judiciaire a cependant présenté une demande d'homologation du document unilatéral établissant le plan de sauvegarde de l'emploi auprès du directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) de la Guadeloupe et contenant le plan de réduction des effectifs accompagnant le projet de licenciements collectifs portant sur les 49 licenciements envisagés. Le 19 février 2018, le DIECCTE a refusé une première fois l'homologation sollicitée aux motifs notamment que le plan de sauvegarde de l'emploi ne comportait pas les moyens suffisants et adaptés permettant aux salariés de lever les freins auxquels ils seront confrontés dans leur démarche de retour à l'emploi et que la procédure d'information/consultation était affectée de plusieurs irrégularités substantielles. Le 22 février 2018, l'administrateur judiciaire a organisé une nouvelle réunion du comité d'entreprise afin de présenter un plan de sauvegarde modifié. Au cours de cette réunion, les membres du comité d'entreprise ont exprimé leur volonté de se faire assister d'un expert-comptable dans le cadre de la procédure et ainsi que cela avait été inscrit comme point à l'ordre du jour, expert qui a aussitôt été désigné. Le 28 février 2018, le DIECCTE refusait à nouveau d'homologuer le plan de sauvegarde faisant suite à la réunion du 22 février 2018, au motif de l'insuffisance des mesures de sauvegarde. Le 19 mars 2018, une nouvelle version du plan de sauvegarde a été présentée au comité d'entreprise. Par la décision attaquée du 20 mars 2018, le DIECCTE de la Guadeloupe a cette fois homologué le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi. La Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprise de la société Bois Debout font appel du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 28 juin 2018, qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision précitée du DIECCTE du 20 mars 2018.
Sur l'intervention de MeC..., administrateur judiciaire de la société :
2. Me C...est l'administrateur de la société Bois Debout placée en redressement judiciaire et, sans avoir été considéré par les premiers juges comme une partie à l'instance, son intervention a été admise en première instance au soutien des écritures en défense de la société. Il doit par suite être regardé comme recevable à intervenir en appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision d'homologation du 20 mars 2018 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre ". Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 1233-57-3 du même code que, saisie par l'employeur de la demande d'homologation du document fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient notamment à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise a été régulière.
4. Par ailleurs, d'une part, aux termes de l'article L. 2325-35 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expert-comptable de son choix :/ (...) 5° Lorsque la procédure de consultation pour licenciement économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours, prévue à l'article L. 1233-30 du code du travail, est mise en oeuvre ; (...)/ II. Le comité peut également mandater un expert-comptable afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations prévues aux articles L. 5125-1 et L. 1233-24-1. Dans ce dernier cas, l'expert est le même que celui désigné en application du 5° du I ". En vertu des articles L. 2325-36 et L. 2325-37 du même code, l'expert-comptable désigné au titre des dispositions de l'article L. 2325-35 a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes pour opérer toute vérification ou tout contrôle portant sur les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise. L'article L. 2325-39 dispose qu'il a libre accès dans l'entreprise. L'article L. 2325-40 dispose qu'il est rémunéré par l'entreprise. Aux termes de l'article L. 1233-34 du même code: " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le comité d'entreprise peut recourir à l'assistance d'un expert-comptable en application de l'article L. 2325-35. Le comité prend sa décision lors de la première réunion prévue à l'article L. 1233-30 (...) ". L'article L. 1233-35 du même code dispose que : " L'expert désigné par le comité d'entreprise demande à l'employeur, au plus tard dans les dix jours à compter de sa désignation, toutes les informations qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L'employeur répond à cette demande dans les huit jours. Le cas échéant, l'expert demande, dans les dix jours, des informations complémentaires à l'employeur, qui répond à cette demande dans les huit jours à compter de la date à laquelle la demande de l'expert est formulée. / L'expert présente son rapport au plus tard quinze jours avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 1233-30 ". Enfin, aux termes de l'article R. 1233-3-1 du même code : " Lorsque l'expert du comité d'entreprise est saisi, l'absence de remise du rapport mentionné à l'article L. 1233-35 ne peut avoir pour effet de reporter le délai prévu à l'article L. 1233-30 ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles citées au point 3 que, pour se faire assister d'un expert-comptable bénéficiant, en conséquence, des droits mentionnés au présent point le comité d'entreprise doit en avoir pris la décision de principe dès la première réunion mentionnée à l'article L. 1233-30 du même code. Sauf circonstance de nature à justifier le report de la désignation de l'expert-comptable à une réunion ultérieure, il appartient également au comité d'entreprise de procéder, dès cette première réunion, à cette désignation.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 1233-30 du même code dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, s'agissant d'une entreprise qui n'avait pas, à la date du plan en litige, mis en place un comité social et économique, et sous réserve des dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail relatif aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire : " I.- (...) l'employeur réunit et consulte le comité d'entreprise sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif (...) Le comité d'entreprise tient au moins deux réunions espacées d'au moins quinze jours. (...) Le comité d'entreprise rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de sa première réunion au cours de laquelle il est consulté sur les 1° et 2° du I, à : / 1° Deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent (...) ". Ces dispositions s'appliquent sous réserve de celles de l'article L. 1233-58 dudit code relatif aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire prévoyant que dans l'hypothèse d'un redressement judiciaire, une seule réunion d'information et de consultation est obligatoire et qu'en outre : " En cas de décision défavorable de validation ou d'homologation, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur consulte le comité social et économique dans un délai de trois jours. Selon le cas, le document modifié et l'avis du comité d'entreprise ou un avenant à l'accord collectif sont transmis à l'autorité administrative, qui se prononce dans un délai de trois jours ".
6. Lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. Il appartient en particulier à ce titre à l'administration de s'assurer que l'employeur a adressé au comité d'entreprise, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause. Lorsque l'assistance d'un expert-comptable a été demandée selon les modalités prévues par l'article L. 1233-34 du même code, l'administration doit également s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que celui-ci a pu exercer sa mission dans des conditions permettant au comité d'entreprise de formuler ses avis en toute connaissance de cause.
7. Les requérants font valoir que, alors que le comité d'entreprise a, de façon réitérée, réclamé la désignation d'un expert-comptable à l'issue de chaque réunion, l'administrateur a par deux fois immédiatement soumis le projet à la DIECCTE, privant ainsi le comité d'une seconde réunion et donc privant d'intérêt le recours à l'expert, de sorte que ledit comité n'a jamais été en mesure d'émettre un avis éclairé avant la décision d'homologation, intervenue dans des délais beaucoup trop brefs. Ils soutiennent en effet que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le comité d'entreprise n'a pas bénéficié de plusieurs réunions, mais d'une seule avant la décision contestée, dès lors que les deux refus d'homologation ont impliqué une reprise de la procédure, et qu'ainsi, il n'a été valablement réuni qu'une seule fois, le 19 mars, sans être en possession de l'avis de l'expert-comptable et en outre, dans un délai supérieur à 3 jours à la précédente décision du DIECCTE, en violation des dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail.
8. D'une part, il résulte de l'instruction que le comité d'entreprise a été convoqué les 19 janvier, 9 février, 22 février, 5 mars, 19 mars et 23 avril 2018. Toutefois, il en résulte également que lors, de la réunion du 19 janvier, les membres du comité d'entreprise ont refusé de siéger, si bien que le comité n'a ainsi donné aucun avis, et que d'ailleurs, aucun procès-verbal de cette réunion ne figure au dossier. Au surplus, l'administrateur de la société a lui-même fait valoir, dans ses écritures de première instance, qu'il n'a ouvert la procédure tendant à solliciter la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi que par courrier du 30 janvier 2018, demandant la convocation d'une réunion extraordinaire du CE le 9 février, courrier dont la notification à Mme H...en sa qualité de membre du comité a d'ailleurs été signifiée par huissier de justice. Cependant, lors de la réunion prévue le 9 février, les membres du comité ont à nouveau refusé de siéger, si bien que, comme le relève le DIECCTE dans son premier refus en date du 19 février 2018, au vu du procès-verbal de ce qu'il considère être " l'unique réunion du comité d'entreprise ", cette réunion n'a pas eu lieu et il y a donc " absence d'avis rendu par ses membres ". Un des motifs du refus d'homologation opposé est d'ailleurs tiré de ce " qu'il apparaît, alors même que les membres du CE souhaitent nommer un expert, qu'ils n'ont pas pu procéder à cette nomination " et de ce que la procédure devait être considérée comme irrégulière. Dans ces conditions, le comité d'entreprise doit être regardé comme n'ayant été valablement réuni et ne s'étant valablement prononcé pour la première fois que le 22 février 2018. La convocation à cette réunion, également notifiée par voie d'huissier à MmeH..., comporte au point D de son ordre du jour un vote " sur la désignation d'un expert-comptable au titre de l'article L. 23325.35.I-5° du code du travail sur le projet de restructuration de réduction des effectifs ", et un vote " sur le choix de l'expert-comptable désigné " au titre de ce même article, ainsi qu'au point F un vote sur les " missions de l'expert-comptable désigné pour assister le comité d'entreprise ". Le procès-verbal de cette réunion du 22 février fait apparaître qu'un vote favorable a été émis sur la désignation d'un expert-comptable. Il résulte de l'instruction que cet expert a été désigné le jour même et qu'il a transmis sa lettre de mission à l'administrateur judiciaire le 27 février. Par suite et dans les circonstances particulières de l'espèce, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, pour écarter leur moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'information/consultation, le tribunal administratif a estimé que l'expert-comptable désigné le 22 février 2018 par le comité d'entreprise ne saurait être regardé comme ayant été désigné au titre des dispositions des articles L. 1233-34 et L. 2325-35 du code du travail et comme bénéficiant, en conséquence, des droits qui découlent des dispositions précitées, au motif que la réunion du 22 février n'aurait pas été la première au cours de laquelle le comité d'entreprise aurait pu décider d'y avoir recours.
9. D'autre part cependant, même si, en cas de redressement judiciaire, une seule réunion du comité d'entreprise est normalement prévue par l'article L. 1233-58, le recours à un expert-comptable, destiné à éclairer l'avis du comité d'entreprise, est, aux termes des dispositions de l'article L. 1233-34 du code du travail, un droit pour ce dernier, ce qui justifie qu'il soit réuni une seconde fois, afin de ne pas priver d'effet le recours audit expert. En l'espèce, il est constant que l'expert-comptable, désigné lors de la réunion du 22 février, n'a pourtant rendu son rapport que le 23 avril 2018, soit hors du délai imparti par cet article et par l'article L. 1233-30 du même code, alors qu'il n'est pas contesté que l'employeur lui a fourni, dans le délai imparti par l'article L. 1233-35 précité du code du travail, les documents nécessaires à sa mission. Toutefois, même si, contrairement à ce que font valoir les requérants, le comité d'entreprise a été effectivement réuni à nouveau le 19 mars, la décision d'homologation du DIECCTE, le 20 mars 2018, est, en tout état de cause, intervenue avant le terme du délai imparti à l'expert-comptable par l'article L. 1233-30 pour rendre son rapport, s'il l'avait respecté. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que, le DIECCTE ayant statué sans laisser la possibilité au comité d'entreprise de recevoir l'avis de l'expert-comptable, la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise est entachée d'irrégularité et à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision du DIECCTE du 20 mars 2018 ayant homologué le PSE en litige.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprise de la société Bois Debout sont fondés à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 28 juin 2018.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge des requérants, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, une quelconque somme au titre des frais exposés par la société Bois Debout et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros que demandent la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et le comité d'entreprise de la société Bois Debout sur ce fondement. En revanche, les conclusions présentées sur le même fondement par l'administrateur judiciaire de la société Bois Debout, qui n'est pas une partie mais un intervenant, doivent en tout état de cause être rejetées comme irrecevables.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de MeC..., administrateur judiciaire de la société Bois Debout SA est admise.
Article 2 : Le jugement n° 1800301 du 28 juin 2018 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé.
Article 3 : La décision du 20 mars 2018, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu au plan de sauvegarde de l'emploi déposé par la société Bois Debout est annulée.
Article 4 : Il est mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au profit de la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et du comité d'entreprise de la société Bois Debout.
Article 5 : Les conclusions de la société Bois Debout et de M. C...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG), au comité d'entreprise de la société Bois Debout SA, au ministre du travail, à la société Bois Debout SA. Copie en sera transmise à M. A...C..., administrateur judiciaire de cette société et à la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2018.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 18BX02854